{{ temperature }}° C / {{ description }}

Cité introuvable.

LES GILETS JAUNES

Un mai 68 des "sans dents"

«Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe d'investir où il veut, le temps qu'il veut, pour produire ce qu'il veut, en s'approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales». Barnevick, ancien président de la multinationale ABB.

Vue sous cet angle plus simplement, on dirait que la mondialisation est la liberté du renard néolibéral dans le poulailler des classes vulnérables. La conséquence de la mondialisation est que les sociétés contemporaines deviennent de plus en plus interdépendantes et que le monde est soumis à de puissants processus d'uniformisation. Que peuvent faire les faibles dans un monde où la fortune de 6 milliardaires est plus importante que celle de 1,2 milliard de personnes? Est-ce moral que le revenu moyen annuel d'un Africain soit égal au revenu journalier d'un Suisse? (1)
Dans ce cadre en France, le mouvement de grogne des automobilistes, né ces dernières semaines avec la hausse du prix des carburants, s'est traduit par des pétitions en ligne et appels à manifestation autoproclamées «citoyennes» et apolitiques. Après un week-end de mobilisation et de blocages, l'exécutif cherche l'apaisement. Il a donné lieu cette semaine à quelques bouffées de colère qui peuvent être maîtrisées par une écoute réelle et un dialogue. Ceci dit, ce mouvement pose un problème de fond au-delà du fait que les concernés se sentent floués et ont l'impression que l'augmentation en principe prévu pour financer la transition énergétique est un moyen de leur ponctionner de l'argent, la transition énergétique - mal expliquée donc mal acceptée et en absence de transparence- est vue, est pour eux un prétexte. Le programme actuel s'il veut sortir de 40 ans d'immobilisme est, dit-on, sans état d'âme. Il accepte d'affronter la rue. C'est une politique dans la droite ligne d'une mondialisation-laminoir néo-libéraliste.

Les raisons de la colère
Ce mouvement, qui a sédimenté depuis longtemps, est en fait une manifestation qui a catalysé tous les déçus de la politique actuelle. Mais ici comme ailleurs, le gazole n'est qu'un détonateur. Car les «gilets jaunes» ont coagulé des mécontentements variés, souvent accumulés depuis longtemps. Et d'abord, bien sûr, cette impression qu'ont la plupart des manifestants de ne plus y arriver «à s'en sortir». Pour le sociologue, Jean-Pierre Le Goff, la révolte des «gilets jaunes» ne fait que catalyser tous les maux nés des bouleversements de la société française. Elle exprime le rejet de quatre décennies de libéralisme culturel et d'«adaptation» économique à marche forcée voulus par les élites. C'est l'homme qui avait tout vu. Depuis 1992 et son premier essai, Le Mythe de l'entreprise. Critique de l'idéologie managériale, le sociologue analyse les bouleversements problématiques de la société française. Il a écrit sur les dérives de la communication et de la transparence, l'héritage de Mai 68, les fractures françaises, la crise existentielle de la gauche française, la disparition du village et le malaise démocratique. Jean-Pierre Le Goff n'est guère surpris par le mouvement des «gilets jaunes». Pour lui, la révolte contre les taxes sur le carburant ne fait que catalyser tous les maux précédemment cités. La France des «gilets jaunes» n'est autre que la France périphérique sortie depuis trop longtemps des écrans radars médiatique et politique. Elle rejette la politique d'Emmanuel Macron, mais plus largement quatre décennies de libéralisme culturel et d'«adaptation» économique à marche forcée voulus par les élites» (2).
... Même constat de Dominique Reynié directeur général de la Fondapol: «La révolte des ´´gilets jaunes´´ est celle des classes moyennes qui se sentent piégées» (...), le mouvement des «gilets jaunes» montre que la crise de notre système politique atteint un niveau où aucun scénario ne peut plus être exclu.: «Mesurer l'importance de ce mouvement à l'aune du nombre de personnes qu'il met dans la rue serait se tromper de critère, même si, bien sûr, c'est un élément qui compte. Ce mouvement constitue un événement par son caractère spontané: des individus se sont mis en réseau pour le faire émerger ex nihilo dans un espace pourtant saturé de partis, de syndicats, d'associations diverses. C'est un signe de plus que la crise de notre système politique atteint un niveau où aucun scénario ne peut être exclu. Dire aux «gilets jaunes» «vous n'êtes pas très nombreux», c'est un message à éviter absolument, ne serait-ce que par prudence. Le sentiment d'abandon des classes moyennes n'est pas nouveau, mais jusqu'à présent elles n'allaient pas dans la rue. Pourquoi ce changement? Comme les classes moyennes ne posaient pas de problèmes, les gouvernants ont trop longtemps pensé qu'elles n'en avaient pas.» (3)

«Les élites parlent de fin du monde quand nous on parle de fin du mois»
Un témoignage émouvant rapporté par Olivier Demeulenaere, celui d'un «sans dent» dans l'échelle actuelle de ceux qui n'ont pas de monte «Daniel est assis sur un bidon rouillé, devant un feu de palettes dont les flammes dévorent un grand coin de trottoir. Dans sa main droite, une tartine de foie gras, dans la gauche un gobelet de vin blanc et par-dessus, un demi-sourire ouvert sur des dents abîmées.» «Quand j'y pense! Grâce à M. Macron, je mange du foie gras pour la première fois de ma vie...» Le mets est pour ainsi dire tombé du ciel, comme tous les aliments qui s'empilent sur une étagère improvisée, à quelques mètres de là - de quoi tenir un siège. Ils ont été déposés par des automobilistes de passage, des inconnus ou des amis venus ravitailler la cinquantaine de «gilets jaunes» qui occupaient toujours, vendredi 23 novembre, le péage d'Autechaux, juste avant la petite ville de Baume-les-Dames (Doubs). Pas de violence, pas d'intimidation à cette sortie de l'autoroute A36 qui file en direction de Mulhouse: aux barrages filtrants du week-end a succédé une simple désactivation du péage, «cadeau des ´´gilets jaunes´´». (...) Pourtant, beauté ou pas, la vie n'a rien de facile dans cette commune. Depuis que la plupart de ses habitants travaillent loin, à Besançon, Montbéliard, Belfort ou même en Suisse, Baume s'est transformée en ville dortoir, et beaucoup de Baumois en prisonniers du volant. Ceux-là, bien sûr, voient avec colère l'augmentation du prix des carburants.» (4)
De la grogne contre le prix des carburants jusqu'aux succès électoraux des populistes dans d'autres pays occidentaux, c'est un même phénomène de décomposition politique qui est à l'oeuvre, analyse le député MoDem. Jean-Louis Bourlanges invite Emmanuel Macron à dépasser la trop facile opposition entre conservateurs et progressistes. Pour Jean-Louis Bourlanges. - «Les ´´gilets jaunes´´, symptôme d'une société fragmentée et désenchantée.» «La volonté médiatique de fabriquer une bulle était évidente (..)» (5).
Dans ses discours, Emmanuel Macron se disait pourtant attentif à la détresse: «Faut savoir entendre tout ça, être au côté du peuple avec respect et tenir un cap. Donc s'il y a une chose que je veux que chacun de nos concitoyens comprenne profondément, c'est que je n'en abandonnerai aucun et que nous serons aux côtés de chacun, en particulier dans les territoires qui souffrent le plus.»
Il faut croire que le système néolibéral tient tout le monde en laisse Le système néolibéral est un système où
l'humain n'a de valeur que par sa productivité au bénéfice d'une oligarchie du toujours plus Ne pas réussir dans la vie, dans cette vision ce n'est pas ne rien avoir, c'est n'être rien. Tout est inédit dans ce mouvement qui a consacré le déclin «irréversible?» des anciennes instances d'intermédiation, les syndicats, qui a même échappé aux partis laminés depuis que la mondialisation se sent pousser des ailes. Tout a commencé avec François Hollande et son fameux cri de ralliement: «Je n'ai qu'un adversaire, la finance.» On sait ce qu'il en est sorti. L'héritier a au moins cet avantage de dire ce qu'il fait et de faire ce qu'il dit. Sa proposition de Haut Conseil pour le climat est a priori une bonne chose car elle permet de quantifier l'effort à faire tous ensemble, pas seulement les besogneux pour réussir cette transition énergétique et écologique. Il faut espérer qu'il soit encore temps et que cette annonce ramène le calme sans pour autant régler le problème de fond qui est celui de la place de l'humain dans cette nouvelle vision consumériste à outrance. «Est-ce ainsi que les hommes vivent?» dirait Aragon. Nous n'avons pas de réponse devant cette mondialisation qui ne fait pas de place aux faibles, aux besogneux, à tous les prolétaires du monde.

1. Chems Eddine Chitour https://www.legrandsoir.info/demondialisation-ou-mondialisation-a-visage-humain-le-vrai-debat.html
2.Alexandre Devecchio http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/11/22/31003-20181122ARTFIG00281-jean-pierre-legoff-la-revanche-de-ceux-que-l-on-a-traites-de-8220beaufs8221-et-de-8220ringards8221.php?
3.Dominique Reynié: Interview de Judith Waintraub La révolte des gilets jaunes, Le Figaro: 23/11/2018
4.http//olivierdemeulenaerewordpress.com/2018/11/24/les-élites-parlent-de-fin-du-monde-quand-nous-on-parle-de-fin-du-mois/
5.http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/11/19/31003-20181119ARTFIG00241-jean-louis-bourlangesles-8220gilets-jaunes8221-symptome-d-une-societe-fragmentee-et-desenchantee.ph

De Quoi j'me Mêle

Placeholder

Découvrez toutes les anciennes éditions de votre journal préféré

Les + Populaires

(*) Période 7 derniers jours