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PLUIES D'OR DE MOHAMED SARI

La fantasmagorie à l'épreuve du réalisme flagrant

Que peut-on imaginer de plus effrayant que ce qui est effrayant dans une société insensée, contraire à sa nature humaine et qui réinvente, pour survivre, l'inconcevable ignominie de la société barbare toujours prête au délire de domination?

Cela me fait penser à la trilogie romanesque d'Anys Mezzaour, le jeune et pétillant auteur de La Proie des Mondes, La Terreur des Mondes et bientôt, nous dit-on, L'Espérance des Mondes (comme les deux premiers tomes, à paraître aux éditions ENAG, Alger). Il a charmé intelligemment ses nombreux lecteurs, jeunes et moins jeunes, avec le difficile genre littéraire appelé «fantasy», - et qu'il maîtrise merveilleusement. Les lecteurs fidèles au Livre Algérien, tout court, éducatif et instructif, seront sûrement bien aise de constater que, dans le nouveau roman Pluies d'or (*) de Mohamed Sari, ils voltigeront de même, non pas dans des «Mondes parallèles» à l'aide d'une ceinture de volatilisation à la manière des personnages héroïques tels que Bill l'Américain ou Symias l'Algérien; ils se déplaceront, vigilants et étonnés, armés de leur seule conscience.

Une constance de la mythologie grecque dans la légende algérienne
Ici, le romancier fait traverser ses lecteurs des pages denses, chargées d'informations amères et cependant souvent aussi pleines de rêves légitimes. Des femmes et des hommes se découvrent des dons, se forgent des pouvoirs inouïs pour soulager le monde miséreux sur une terre stérile. Mais hélas! par ainsi la plupart de ces «sauveurs», soumis à leurs basses passions, agissent pour réduire les populations et, au vrai, pour les assujettir... Le recours au «Miracle» atteint toutes les couches sociales de ce monde triste, de ce triste monde, à l'esprit sans lumière. Et si l'on pense que Mohamed Sari a écrit un roman, ce n'est là ni un récit fictif ni une allégorie. Nous sommes dans notre propre miroir et nous nous y voyons dans «une réalité fantasmagorique» ancienne, présente, même future.
D'abord, il me semble utile de rappeler, voire brièvement, que l'expression «Pluie(s) d'or» est tirée d'une histoire très compliquée se rapportant à la mythologie grecque. À la suite d'un oracle qui éveilla en lui des craintes autant pour sa succession que pour sa propre vie lorsque sa fille Danaé lui donnera un petit-fils, Acrisios (le roi d'Argos) l'enferma dans «une tour d'airain». Pourtant, Zeus (dieu des dieux, Jupiter pour les Romains) réussit à y pénétrer, sous la forme d'«une pluie d'or» et à séduire la jeune et belle princesse.
De cette rencontre naquit Persée, un garçon, qui devint effectivement roi d'Argos et un héros de la mythologie grecque. Cette image forte de «Pluie d'or», mêlant diverses émotions et des symboles inattendus, a été reprise dans les arts et les lettres, particulièrement dans les représentations artistiques populaires. Au cours des siècles, «La Pluie d'or» a été transformée suivant l'inspiration des auteurs écrivains, peintres, sculpteurs, depuis Horace, Ovide,... à nos jours. L'emploi du pluriel «Pluie[s] d'or» est rare, et il semblerait plutôt évoquer la multitude des faits sociaux qui rappelleraient à partir d'une simple rêverie l'importance d'un tel symbole si proche de la mythologie grecque. À remarquer les nombreux faits de «pluie d'or» dans son roman, Mohamed Sari a raison d'user du pluriel et de l'intituler «Pluies d'or».
Ainsi, Mohamed Sari, à cinquante-huit ans, natif de Cherchell, professeur de littérature arabe à l'université d'Alger, bilingue (français-arabe), traducteur de nombreux ouvrages, est l'auteur de livres de critique littéraire, d'articles, d'essais et de romans.
Citons: La Flamme, 1986; Le Labyrinthe, 2000; La Tumeur, 2002; Le Naufrage (Nouvelles), 2010,... Pluies d'or est un roman récent. Il a connu divers moments d'écriture et souvent espacés. L'ouvrage a été fréquemment remis sur le métier en fonction des états d'âme de l'auteur face aux événements (entre autres) des années noires que le pays a connues: les troubles, les violences, les assassinats, et le toutim. Page à page, une société nouvelle se forme et se déforme, un personnage surnaturel, et pourtant appartenant à l'histoire, El Mahdi et les compagnons de la chamelle» sont alors les authentiques repères d'un monde dont peu - même les Sages et les grands historiens de tous les temps - ont révélé l'atmosphère dramatique et le caractère puissant de la tentative de déshumanisation générale. En somme, il y a là une constance de la mythologie grecque dans la légende de la société algérienne postcoloniale. Voire.

Le réalisme plus vrai que nature
Au-delà de l'histoire, le réalisme bruit dans la mémoire humaine. Aussi, Mohamed Sari va-t-il loin dans l'histoire, la nôtre, à ce que nous croyons, à ce que nous ne devons pas croire... Et Pluies d'or - euphémisme réfléchi et donc construit - est un titre de roman qui prédispose à quelque magnificence extraordinaire, incomparable à la légende où les mythes ne sont pas des mythes. Dans ce roman de Sari, il faut admettre que le réalisme littéraire étouffe de tout son poids et de son impressionnant volume l'idéalisme sous-jacent.
Au reste, l'auteur s'en trouve bien aise et nous présente un aspect méconnu d'«une geste» algérienne dont le fantastique des personnages, des idées et des actes est impressionnant. Voici donc El Mahdi des temps modernes, sans l'authentique raison de l'imâm «Grand Réformateur et Sauveur de l'Humanité», dont l'apparition est annoncée par les saints doctes de l'islâm.
Mohamed Sari évoque la grande figure d'Ibn Toumert en corrigeant son histoire et les incessantes violences de son époque. Il les rapproche subtilement de l'époque algérienne meurtrie par le terrorisme. Ce sont là des signes à la fois cosmiques et sociaux appelant «El-Mahdi».
Longtemps préparé, le personnage va évidemment apparaître parmi le peuple. Ainsi, la violence sous couvert religieux s'étend, fait des émules, recrute des prosélytes pour son armée. Des pages analysent et expliquent clairement la montée de l'intégrisme en Algérie. Des récits âpres, inspirés de la vie quotidienne et propres aux objectifs de l'écrivain, jalonnent en deux parties les 35 chapitres du roman et sont autant d'épisodes significatifs de cette quête de vérité sur l'ordre d'une religion structurée en marge de la Religion d'Allah et des ahâdîthes authentiques du Prophète (QSSSL). Alors ces charlatans et leur «El Mahdi» de complexion sorti tout droit de l'imaginaire des nouveaux hommes de «dévotion» vont faire croire que les morts parlent! On se souvient aussi du délire du groupe de fanatiques au stade du 5 Juillet (Alger), auxquels on a fait croire au «miracle» tandis que paraissait dans le ciel le nom d'Allah écrit au laser!
À la lecture attentive de Pluies d'or, on constate, à l'évidence, que Mohamed Sari accorde un soin particulier à la communication pédagogique afin de faire découvrir au lecteur combien l'histoire se répète et le convaincre de l'authenticité de ses sources. Un travail digne d'un professeur passionné d'éduquer et instruire. La vraisemblance se trouve aussi très assurée: les personnages ont un langage qui est vraiment le leur, non de l'écrivain. Leur parler est transcrit presque point par point, avec ses nuances, ses profondeurs et même parfois avec ses «fautes». Il transcrit et parfois il traduit au plus juste le mot arabe vers le français et inversement. Pour autant, le style n'est pas encombré de lourdeurs ou de notes discordantes. On découvre, on redécouvre même, en bien des dialogues des expressions poétiques encore pleines de la fraîcheur langagière originale. Ainsi histoire et fiction se rejoignent pour éveiller et soutenir l'intérêt du lecteur peu habitué à ce genre de littérature et dont le roman se développe avec une grande liberté d'écriture.
On peut dire que le vrai et juste alibi qui sert efficacement ce roman Pluies d'or, c'est le réalisme auquel semble tenir absolument Mohamed Sari. Cet auteur ne fait d'abord aucun détour à travers lui-même pour s'adresser à son lecteur. Il se dépasse pour parler de la société qui se met en jeu de rôle sous ses yeux, surtout sous ses yeux, ou dans des documents sûrs de première main. De fait, le réalisme dans la vie est aussi naturellement poésie et exigence d'esthétique. Ces éléments apportent du confort à notre vision des choses et corrigent notre réflexion sur notre environnement, - ce qui donne libre cours à notre imaginaire en attente d'un bonheur de lire une histoire sur «cinquante ans» à partir de l'histoire simple et complexe du jeune Mahdi, bien de chez nous.
Pluies d'or fait de Mohamed Sari à la fois un historien et un romancier. Il n'est pas avare de bonnes pages à lire sur des sujets d'actualité et qui nous préoccupent tous ici et maintenant.

(*) Pluies d'or de Mohamed Sari, Chihab Éditions, Alger, 2015, 290 pages.

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