A toi Djaout, poète disparu

Nous voilà dans une situation dithyrambique, semblable à celle que tu as décrite il y a plus de 40 ans, vers le début des années 70, dans tes sublimes poèmes. Lorsque j´ai repris, la semaine dernière, ton recueil de poèmes intitulé L´Arche à vau-l´eau (1) pour le revoir et relire quelques poèmes que tu as publiés, j´ai été complètement désarçonné par leur fraicheur et leur actualité. Une lecture à la volée de Cataclysme, L´Ultime combat et Le Bréviaire du Roi m´a bouleversé. Pourtant la situation durant cette période-là était plutôt plate, comparée à celle que nous vivons et que tu as vécue durant tes dernières années.
«Les crotales ne sont pas encore sortis de leurs trous» et «le dévot n´obligeait personne à s´agenouiller et il n´était presque pas subversif» pour le commun des mortels que nous sommes, que nous étions. Toi tu l´avais vu venir, tu l´as flairé avec beaucoup de perspicacité et sublimation. Au fait, la bête immonde, la bêtise humaine était déjà parmi nous.
Tu n´as pas été démenti tellement tu étais clairvoyant.
«Le premier démenti à son univers
Lavé de toutes les bavures de sauriens
Fut le petit garçon qu´on assassina...»
En effet, trente ans après, le garçon a été assassiné pendant qu´il tétait le sein de sa mère et beaucoup d´autres l´ont été après, grands et petits et parfois, il y avait même des tueries à «l´échelle industrielle».
N´est-ce pas que le roi tenant son Bréviaire a ordonné à son «fils de le pourchasser car il était Poète débauché». Il leur ordonne même ceci: «Tuez-le mes fils, il couve un verbe subversif.» Ce roi était de ceux qui pointaient son doigt sur tous ceux qui dérangeaient la stratégie des puissants de circonstance et qui n´épousaient par leur idéologie. Par carence de vision lointaine et de stratégie, ils se sont acoquinés avec les plus subversifs.
Eh oui, le temps t´a donné raison. 40 ans après nous sommes arrivés à tout ce que tu as écrit, anticipé. C´est toi qui a raison même maintenant que tu es dans l´au-delà. Eux, ils t´ont bien suivi, lu et compris tout ce que tu as écrit et prophétisé. C´est le cas de le dire, tu as prophétisé, car durant toute ta prime jeunesse tu as appris à scruter, à partir de ta colline, la mer qui ramenait tous les envahisseurs qui par nature ne peuvent pas être cléments. Tu as été ainsi forgé à la méditation et à la réflexion. Tu ne pouvais pas échapper à l´hydre tentaculaire car ceux qui sont payés aux ors de la République pour te protéger et protéger ceux qui se battent, comme toi, avec leurs plumes contre la kalachnikov sont démobilisés. Ils ne l´ont pas fait par lâcheté, mais par carence de stratégie au haut sommet de la pyramide. Les gens sensés sont désorientés par l´ambiance populiste qui règne où chaque parole exprimée et chaque geste fait est calculé pour qu´il plaise aux gens qui sont aux commandes. Repose en paix, les tiens sont en veille et ils se battent quotidiennement pour un monde meilleur, plein de clairvoyance, d´objectivité, de transparence et de raison bien que maintenant....

(1) T. Djaout: L´arche à vau-l´eau (Editions Saint Germain des Prés, 1978)