{{ temperature }}° C / {{ description }}

Cité introuvable.

Sara Nacer, réalisatrice algérienne, à L'Expression

«J'ai vu l'éclosion d'un renouveau algérien...»

C'est son premier film, elle a délaissé un autre en post-production - «La rockeuse du désert sur Hasna Becharya, Ndlr»- pour se consacrer à celui là, à savoir «Qu'ils partent tous !» (Yetnahaw Ga3!). Après une formation en architecture, Sara Nacer, qui est aujourd'hui basée à Montréal, s'est lancée dans la communication et les relations publiques. Elle travaille dans les médias numériques à Montréal, mais aussi comme productrice artistique. Quand le Hirak est arrivé, Sara Nacer ne pouvait s'empêcher de prendre sa caméra et s'envoler vers Alger en vue de capter les images de ce qui allait devenir une vraie révolution dans son pays d'origine. Alors, durant une semaine, elle regarde, se nourrit de cet oxygène, elle enregistre et filme, elle tisse des liens, elle ira aussi à la rencontre de nombreuses personnes. On citera, notamment, Sofiane «Yetnahaw ga3», Kader Farès Afak, militant sociopolitique et acteur, Hania Zazoua (Brokk'art /Issues 98), El Moustache (artiste graphiste populaire concepteur de l'affiche du film, Ndlr), le journaliste Khaled Drareni, etc. Tous lui transmettent leur surprise de ne pas avoir vu venir ce soulèvement populaire qui a pris tout le monde de court et a permis aussitôt d'ouvrir les portes à tous les champs du possible pour un meilleur avenir dans le pays... Sincère et plein d'optimisme le film de Sara est un vrai document d'archives pour ne pas oublier... Pour info, à l'occasion de la 36e édition du Festival international du cinéma Vues d'Afrique, il vous est possible de voter (Prix public, Ndlr) pour le film lors d'un vote numérique accessible sur le site du festival... En attendant les résultats, la cinéaste nous dévoile les raisons qui l'ont poussée à faire ce formidable
documentaire...

L'Expression: Quand avez-vous tourné vos images exactement?
Sara Nacer: J'ai tourné mon film fin mars de l'année dernière sans savoir que c'était la dernière semaine du règne de Bouteflika, lorsque j'ai atterri à Montréal, j'ai appris qu'il venait de démissionner.

Dans quelles conditions et dans quel but avez-vous décidé d'aller filmer ce qui se passe?
Je n'ai pas réfléchi en faisant ce film, j'ai suivi une pulsion et l'appel du coeur. J'ai pris ma caméra, un billet d'avion et j'ai décidé de rejoindre les amis à Alger pour vivre ce moment incroyable de l'histoire. Je ne tenais plus en place à Montréal. Ce qui a précipité ma décision c'est ma participation à une table ronde sur l'Algérie pour une émission à grande écoute à Montréal et la réaction de nombre de mes collègues qui semblaient surpris de découvrir un pays. Je me suis dit c'est l'occasion ou jamais de montrer cette Algérie que je connais, mais qui semble inexistante dans l'imaginaire collectif.

Quel est votre sentiment quant à la situation un peu exceptionnelle dans laquelle il est aujourd'hui sélectionné dans le cadre du festival Vues d'Afrique?
Le voir sélectionné à Vues d'Afrique c'est très symbolique pour moi car j'ai longtemps collaboré avec ce festival notamment en faisant du lobby pour la sélection de certaines oeuvres algériennes ces dernières années. C'est un des rares festivals qui offre une aussi grande vitrine au cinéma maghrébin en particulier et africain en général. D'ailleurs, cela a toujours été une fierté d'y voir les sélections algériennes jouer et se distinguer, surtout ces 5 dernières années avec cette nouvelle vague de cinéastes talentueux dont les oeuvres criantes de vérité nous rendent fiers. Le contexte du confinement a offert une toute autre réalité au festival qui a su rapidement s'adapter en offrant un visionnage en ligne avec la plateforme TV5.ca. Cela augmente le potentiel de visionnage des oeuvres, donc c'est finalement un mal pour un bien. Je suis contente, car certaines personnes qui ne sont pas à Montréal où le festival prend place et qui voulaient voir mon film pourront le faire de chez eux.

Votre film a été réalisé durant les premiers moments de liesse du Hirak où tous les espoirs étaient permis. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur votre film par rapport aux évènements qui sont venus après ?
Je porte toujours le même regard, j'ai et je garderai espoir pour ce Hirak, je reste convaincue qu'aucun peuple qui se lève pour exiger ses droits et libertés ne peut faire marche arrière. Je pense d'ailleurs que plus que jamais, ce film est nécessaire car il sert de rappel à celles et ceux qui parfois peuvent perdre espoir dans ce long processus qui est la construction d'une seconde République. Ce sont, d'ailleurs, les premiers échos que j'ai eus lorsque j'ai envoyé le montage en Algérie à des amis pour avoir leur avis et cela m'a fait chaud au coeur de les entendre me dire «Merci de nous rappeler pourquoi on est sortis». Cependant, j'ai conscience que le chemin vers la démocratie peut être long et sinueux et à distance d'Algérie, j'ai voulu participer à ma façon à ce mouvement unique en capturant l'essence du Hirak et en le livrant brute et sans maquillage tel que je l'ai vécu. Il n'y a eu aucune mise en scène ou recherche pour ce film, d'ailleurs il a été tourné sans autorisation, ce sont toutes des images volées des première semaines de la révolution du Sourire, la caméra est vraiment témoin d'une semaine passée à Alger auprès de celles et ceux qui construisent cette nouvelle Algérie. J'ai foi en cette Algérie qui se construit, cela fait plusieurs années que je parle d'une révolution culturelle en cours et qui ne pouvait être qu'un précepte à une révolution sociale, je pense que de l'intérieur il est dur de le voir car on vit et on subit le quotidien, mais l'avantage d'être à distance parfois est de pouvoir voir certaines choses évoluer et les suivre, et ces dernières années j'ai vu l'éclosion d'un renouveau algérien, notamment au niveau des arts, de la musique, du cinéma, une réappropriation de la culture algérienne, une recherche de l'identité plurielle, un retour aux symboles propres à notre diversité culturelle... je l'avais un peu vu venir même si comme tout le monde j'ai été subjuguée par la force et la beauté de ce Hirak. Le caractère optimiste du film n'est pas de la naïveté, je transmets ce que moi j'ai vécu, même si j'ai conscience aujour-
d'hui que le système a durci le ton, et on le voit avec le nombre de détenus politiques, mais j'avais envie que mon film apporte l'espoir sans oublier les victimes du système que j'évoque d'ailleurs en fin de film...

Comment s'est fait le choix des intervenants justement?
Il y a certains que je connaissais déjà et que je tenais à mettre en avant, c'est le cas de Hani Bensiam et Sofiane Benali, les entrepreneurs dans le domaine de l'agriculture et le tourisme. Je suivais leur travail depuis des années et finalement cette révolution était l'occasion pour moi de dresser leur portrait car pour moi le Hirak c'est aussi au quotidien à travers des initiatives positives et constructives pour le pays comme les leurs. C'est également le cas pour Farès Kadder Affak que je connaissais en tant que militant et dont je découvre chaque jour les incroyables combats pour la justice sociale. Et puis, il y a eu les rencontres et les coups de coeur, c'est le cas de Sofiane Yetnahaw ga3, je tenais tellement à le voir. J'ai un peu fait 6000 km pour venir lui exprimer toute la gratitude que j'avais pour son cri du coeur libérateur, il a offert au Hirak un slogan. Yetnahaw ga3. J'ai lancé un avis de recherche pour l'interviewer, je n'avais que quelques jours et c'est finalement grâce à Mohamed Alalou qui venait de faire un live facebook avec lui que j'ai pu avoir son contact. Je voulais aussi mettre en avant des figures publiques comme El moustache car je trouve qu'il fait partie du patrimoine algérien par son personnage, ses oeuvres et son regard artistique. Il y a aussi Khaled Drareni pour qui j'ai une grosse pensée aujourd'hui. L'avoir dans ce film était pour moi une évidence car comme beaucoup d'Algériens à l'étranger, je le suivais religieusement pour savoir ce qui se passait, il a répondu favorablement à ma demande et a livré un magnifique témoignage à l'image de sa personne. Les autres personnages sont le fruit d'heureux hasards même si je ne crois pas au hasard, d'ailleurs, pour l'exemple, Ahmed Zitouni que je voulais vraiment avoir et que je n'arrivais pas à contacter a fini par se pointer devant ma caméra en pleine marche. En gros, mon souhait était de montrer que cette jeunesse dans sa diversité marche ensemble vers un même but et ils l'ont tous exprimé.

Enfin, la musique de Ouled El Bahdja parcourt de bout en bout votre film. Un mot là-dessus...
J'ai d'abord tenté de les interviewer car pour moi il est indéniable que le Hirak, même s'il est une jonction de plusieurs forces vives, est né dans les stades auprès de la couche populaire, il n'y a qu'à écouter leurs chansons, elles reflètent la maturité et la conscience politique de ceux qu'on a, à tort, considéré comme la «jeunesse perdue», et c'est cette jeunesse qui a libéré nos rues et les a sécurisés pour qu'ensemble on puisse collectivement réinvestir l'espace public et demander nos droits. Ils ont refusé l'entrevue pour des raisons évidentes, je leur ai alors demandé les droits d'utiliser leurs chansons pour mon documentaire, ils semblaient surpris que je le fasse de manière officielle, ils m'ont dit que personne ne le leur avait demandé, jusque-là, et que leur musique était utilisée par tout le monde alors pourquoi pas par moi. Je pense qu'il y a d'ailleurs ici aussi un grand exemple du travail qui doit être fait pour le respect des propriétés intellectuelles. Ouled El Bahdja ont accompagné par leur musique cette révolution, pour moi leurs chansons sont les hymnes du Hirak, je tenais à ce qu'elle soit la trame musicale de mon documentaire. Et puis quand on comprend l'Algérien, leurs paroles sont une véritable poésie contemporaine. J'espère qu'on se souviendra de toute cette jeunesse brillante, mais marginalisée lorsque l'on aura construit cette nouvelle République algérienne.

De Quoi j'me Mêle

Placeholder

Découvrez toutes les anciennes éditions de votre journal préféré