{{ temperature }}° C / {{ description }}

Cité introuvable.

Grégory Dargent, photographe français, à L’Expression

«Je rêverai que mon exposition circule à travers le pays»

«H» de Grégory Dargent est une exposition photographique qui prend place dans le triangle de feu algérien, entre « Reggane » et «Tamanrasset », là où il y a 60 ans, l’armée française a effectué des essais nucléaires dans le Sahara algérien , un choix audacieux et une œuvre forte offrant une vision singulière à travers l’objectif de l’artiste. Cela fait seulement cinq ans que Grégory Dargent s’est mis à la photo argentique. Bien que son concept nommé « H » allie la musique à la photo, exceptionnellement, c’est uniquement la partie  « image » qui a été dévoilée à Alger, lors de son vernissage la semaine dernière à Dar Abdeltif. Organisée par l’Aarc, cette exposition est ouverte jusqu’à aujourd’hui. Donc allez-y ! Ici, le jeune artiste nous parle de sa genèse mais nous confie aussi ses vœux les plus chers… Grégory Dargent était présent aussi à Alger pour animer une master class un peu expérimentale sur les techniques argentiques...

 

L’Expression : On croit savoir que « H » est une aventure artistique qui allie musique et photo.. Navez-vous pas pensé donner un concert aussi ?

Grégory Dargent : Effectivement c’est le cas. Normalement, avec mon groupe nous aurions dû avoir le concert demain (28 novembre 2019) … mais il a été annulé, à cause de la campagne électorale..

Pourriez-vous nous parler de la genèse de votre travail ?
Il y a cinq ou six ans, j’ai entendu parler des essais nucléaires, à la radio. Quelques jours plus tard, j’étais toujours en train d y penser. On est souvent noyé d’informations, tout le temps et parfois le cerveau retient quelque chose. J’ai déjà travaillé avec des chanteuses sahariennes, il y a 15 ans à Tamanrasset puisque je suis musicien. Je joue du oud. J’ai commencé à rêvasser dans mon coin en me demandant ce que cela aurait pu donner si la musique était irradiée et devenait mutante ? Car les radiations ça change notre ADN et ça nous fait muter.

Une supposition pour le moins saugrenue…
Oui. Eh bien, ceci est le travail d’un artiste... J’ai écrit un répertoire là-dessus avec beaucoup de sons électroniques, mais aussi du oud moderne, de la percussion, avec un ami qui vient du jazz, mais qui joue aussi du bendir et de la derbouka et j’ai mélangé tout ça à des musiques contemporaines. On a commencé à construire un propos plutôt expérimental, mais qui, pour moi, correspondait vraiment à mes attentes et qui est le concert. Autour de ça, après la première du concert en France, je suis sorti de là et me suis dit qu’il fallait que j’aille en Algérie et faire un livre pour cette histoire-là. J’y suis y allé. Je suis parti pour savoir pourquoi ce sujet m’obsédait autant. Et ainsi essayer de comprendre cela. Je suis parti là-bas et pris des photos pour comprendre mon lien avec tout ça. Et je crois que le vrai cœur de mon travail réside là-dedans et ça parle de ça. Il y a les essais nucléaires, la radiation, mais il y a, moi aussi, en tant que jeune Français qui est appelé par ça et qui va essayer de comprendre ce que j’ai marqué à un moment dans le texte « qu’est-ce que je fais là ?? ». C’était ça ma question. Et j’ai atterri donc à Reggane , avec mon appareil photo… »

Pourtant, il n’en reste plus vraiment des traces…
Je ne suis pas journaliste. Les traces ne m’intéressent pas. Les traces sont ailleurs. Elles sont beaucoup plus complexes que ça. Elles sont là où loge mon travail d’artiste..
En tout cas, quand on regarde vos photos, on trouve que la forme épouse parfaitement le fond…
Le travail consiste à aller chercher de la lumière... Il y avait un témoignage qui m’avait habité et que j’ai découvert dans un documentaire de Larbi Benchiha. Un témoignage d’un vétéran français victime des essais aussi – parce que les jeunes militaires, ça prenait aussi plein la gueule à l’époque - qui disait : « Quand la bombe a explosé, le ciel s’est illuminé. La lumière était tellement puissante que je me suis tout vu à l’intérieur. Elle m’a transpercé ! ». Ça a été ma phrase un peu guide. C’est-à-dire une quête de lumière qui transperce tout et en même temps un travail presque analytique de dire : « Est-ce que je vais me voir à l’intérieur moi aussi ? » Ça m’a guidé tout au long de mon parcours.

Vos photos sont saturées de lumières aveuglantes…
C’est une chose que j’ai essayé de retranscrire. Mais il y a aussi quelque chose qui touche à une certaine solitude que moi j’ai ressentie, alors pas vis-à-vis des gens, car ils étaient très bienveillants, mais finalement je me sentais seul. Parce qu’à un moment donné, on comprend que c’est leur ville. La vie a continué pour eux. Ils en ont fait moins un sujet comme moi je l’ai fait. Personnellement, j’y suis allé un peu tremblotant car j’avais des choses à comprendre, à chercher, à sonder…

Parce que vous vous sentez un peu redevable, responsable, coupable en tant que Français ?
Le titre de mon « H » répond un peu à cette question. J’ai mis ce « H » pour le mot Hérédité. Pour cette population, ils s’agit de malformations de l’ADN, de leurs enfants, notamment du sang contaminé, 30 ans après les essais nucléaires. Et c’est malheureusement héréditaire pour moi aussi, en tant que Français.
Mon père a grandi à Alger, je suis d’une famille militaire. J’ai compris ça en faisant ce projet. Je le savais, mais à un moment j’ai fait le lien. Et je me suis dit: «Tiens, je porte quelque chose aussi... le H c’est pour Histoire. On porte l’histoire des essais nucléaires.
Le cheminement était là-dedans. Je n’ai pas honte en tant que Français. Ce n’est pas de la culpabilité. C’est plus un travail de conscience personnelle.
C’est un axiome très simple. On a des sujets qui nous parlent. Un moment, ce qui est passionnant en tant qu’artiste, ce n’est pas de traiter tel ou tel sujet, mais de savoir traiter le pourquoi d’un tel sujet qui nous parle.
Selon ma sensibilité en tant qu’artiste je suis persuadé que le filtre de l’individu est passionnant pour ça. Moi, ce sujet m’évoque cette quête et c’est ça que j’ai à offrir aux gens. Ce qui importe est ma vision à moi. Je pense que tous les artistes qui me touchent, qui m’ont touché, que ce soit en cinéma ou en musique, par exemple, c’est parce qu’ils arrivent à aborder cette intimité-là. Il y a des sujets qui peuvent être traités par 50 artistes différents. Et parfois, il y a dedans juste un qui n’a rien à voir avec les autres. Et c’est ça qui va m’émouvoir. Cette vision des essais nucléaires, correspond à cette résonance-là, comme si le bruit, à l’instar des ondes qui circulent, était encore là quand j’y suis et j’essaye d’être sensible à ça. C’est pour cela qu’il y a ces lumières aveuglantes. C’est pourquoi j’ai voulu travailler le grain de manière grossie. Avoir un gros grain pour qu’on sente comme si les grains de certaines personnes se mettaient à se disloquer, à l’image des molécules qui s’en vont. J’ai travaillé particulièrement les lumières de façon à ce qu’il y ait des ombres, là où il y a de la lumière alors qu’on est à contre-jour. Même si intellectuellement on ne l’analyse pas comme ça. Ça ramène une étrangeté …

Comptez-vous revenir pour le concert ? Et quels sont vos objectifs ?
On essaye d’organiser cela, mais on n’a pas encore arrêté de date. Il y avait un vrai intérêt à ce qu’on fasse le concert en même temps.
Mais cela n’a pas été possible, hélas ! Il y a, par ailleurs, Oran qui serait intéressée par l’expo. Je rêverai de pouvoir laisser cette expo en Algérie. J’essaye de voir avec l’ambassade de France s’il est possible de débloquer un budget pour pouvoir reproduire ces photos car j’ai une exposition à Bruxelles en janvier. La renvoyer en France avec toute la sécurité dont elle a besoin, parce que ce sont des tirages précieux de toute façon ça coûterait peut-être tout aussi cher que de la reproduire en France. Je préfère garder celle-là ici pour qu’elle aille à Oran, qu’elle fasse la tournée des Instituts de France, qu’elle aille dans les musées, les galeries. Je serai très fier parce que ces images parlent d’ici. Je trouve cela beau et j’en serai personnellement très fier.
Le 13 février 1960, Oran commémore le centenaire de la première bombe lâchée à Reggane. Il suffira de prendre ces photos, les mettre dans une voiture et voilà. Cela ne demande pas une organisation très compliquée…Ce serait formidable si cette expo peut circuler et faire la tournée de l’Algérie.

De Quoi j'me Mêle

Placeholder

Découvrez toutes les anciennes éditions de votre journal préféré