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Première biennale d'art contemporain de Rabat (Maroc)

L'Algérie fortement représentée!

Placée sous le thème «Un Instant avant le monde», Abdelkader Damani et tous les artistes vous invitent à visiter cette très belle expo qui se tient jusqu'au 18 décembre.

Au moment où s'ouvrait au Maroc un procès contre la journaliste Hajar Raissouni accusée d'avortement illégal, de relation sexuelle, et où une pétition a été lancée portant sur les libertés individuelles, une biennale d'art contemporain et non des moindres s'ouvrait à Rabat, capitale de la culture du Maroc. Preuve s'il en est, qu'il reste encore beaucoup à faire et dénoncer et encore dénoncer toutes les injustices et violences que subit encore la femme aujourd'hui et, notamment dans les pays du Maghreb. Une pensée à juste titre en direction des femmes, par le rigoureux curateur algérien Abdelkader Damani et ce, en hommage à sa mère comme il l'a si bien signalé, cette biennale a été inaugurée officiellement le 24 septembre, devant un parterre de personnalités politiques et culturelles, dont le directeur de l'IMA, Jack Lang. Surprenante et éclectique, cette biennale est visible jusqu'au 18 décembre et se décline sur 11 sites. Elle rassemble des oeuvres d'artistes plasticiennes venues du monde entier. Pour ouvrir le bal de cette exposition placée sous le signe «Un instant avant le monde», le commissaire a voulu d'abord faire une halte dans le passé et invoquer la douce musique mélancolique d'Oum Kalthoum et ce, à travers des extraits d'un concert ayant eu lieu à Rabat en 1968. Dans cette vidéo de 45 minutes, l'on découvre la cantatrice dans un tour de chant langoureux comme elle seule en a le secret, accompagné comme elle savait le faire aussi par un public qui buvait ses paroles. De la sensualité née orientale où le tabou brisé du corps nu de la femme, est rendu visible cette fois, via le travail du collectif tunisien «Emouvance» fondé en 2018 par Sadika Keskes. «Femmes en paix» et «Fenêtres du beau sur jardin», sont les deux oeuvres exposées dans le cadre de cette Biennale. La première est constituée d'un assemblage de petits carreaux, dont l'ensemble met en scène des femmes nues gisant dans une sorte de bassin. De la résille brodée recouvre ce tableau fragmenté comme pour évoquer le caché qui est ici magnifié. De la même façon, la deuxième oeuvre est constituée d'un collage de photos tissées où l'on aperçoit des morceaux recollés appartenant à des corps de nombreuses femmes. Assumer ses formes oui, mais parfois, ce corps devient maudit, voire dangereux, car il peut se retourner contre soi, lorsqu'il a face à lui, un ennemi, ce bourreau appelé homme.

Inquiétude féminine
C'est ainsi que dépeint l'artiste algérienne Fella Tamzali ses toiles, en donnant à voir des femmes, tantôt faisant le ménage ou tantôt le corps quasi lascif, se transformant en une esclave sexuelle pour celui qui la regarde. Des oeuvres inquiétantes qui dénotent d'un vrai cauchemar, comme l'illustre ce côté évanescent des couleurs qui se diluent comme pour marquer l'effacement même de ces corps éprouvés, en bute à une atmosphère chargée et sale. Gravité. Il y a aussi ce loup gisant par terre au pied de cette femme. Un loup ou un chien en appelle un autre. Il est représenté cette fois par la Marocaine Amina Rezki, avec l'idée du harcèlement et de la douleur qui s'en dégagent par ces pics qui peuvent blesser à tout moment. Dans un corpus autrement plus poétique peut-être mais tout aussi suggestif, se situe le travail monumental et fantastique de l'artiste Safaa Erruas: Aire, luz y una cosa sin nombre, composée de cocons de soie. L'artiste donne à voir une très belle et délicate installation à la connotation sexuelle qui n'a laissé personne indifférent. Du corps, il en sera question aussi dans les deux vidéos, extraites des deux documentaires de la réalisatrice militante algérienne Bahia Bencheikh El Fegoun, «Hna Berra» et «Fragments de rêve». L'un évoque à juste titre, la place du corps de la femme et son statut dans l'espace public et le second évoque la situation de l'Algérie depuis la décennie noire jusqu'à aujourd'hui et nous explique ainsi le processus qui a mené l'Algérie à son implosion et les Algériens à sortir dans les rues tous les vendredis pour manifester mais pas que. Puisqu'il dévoile toutes ses prémices et ainsi comment le corps peut se mouvoir pour résister, sortir à un moment donné de ses gongs, pour partir en guerre pacifiquement, comme l'a témoigné si bien le peuple algérien depuis le 22 février. Du féminisme dans un style direct, il en sera question aussi, dans cette biennale, à travers cette déclaration tissée de tulle rose par l'artiste autrichienne Katharina Cibulka qui ornera à la fois en arabe et en anglais la façade du Musée d'art moderne VI grandeur nature avec ces mots: «As long as following our rules is more important than following our hearts, I will be a feminist.» Pour sa part, l'artiste algéro-française Halida Boughiert, nous présente, quant à elle, une aussi grande installation vidéo, placée sous le générique du fil d'Ariane. Ainsi met-elle au centre de ses préoccupations le territoire des banlieues, l'artiste tente de relier le passé de ces bâtisses avec la génération de femmes qui y habitent et pousse celle d'aujourd'hui (la génération) à interagir avec elle, via des performances appelant les corps à bouger, tourner comme l'est le dispositif vidéo, posé à l'hexagonal, comme la France. Elle plante sa caméra en fait dans un quartier de Nice où habitent les émigrés, ces oubliés de l'histoire, alors que les riches sont beaucoup plus mis en avant dans cette région. Halida Boughiert nous surprend dans ce documentaire, en nous faisant découvrir un réel bijou artistique où le son et l'image combinés, font naître des fulgurances inattendues, dans lesquelles naît véritablement le sens du mot «Art». «L'oeuvre que je vous propose s'intitule ‘'Implano de Arisana''. Elle fait fusionner le mythe de la femme ''Ariane'' avec la cite´, perçue comme territoire du ‘'non-lieu 1'' puisque l'Ariane est considéré´ comme un quartier difficile, tant par son histoire que par sa population. Le quartier a souvent été´ le théâtre d'une intense urbanisation a` partir des années 1950, qui s'est intensifiée dans les années 1960-1970. Entre 1968 et 1974, la plupart des logements ont été´ construits au départ pour accueillir les expatriés d'Algérie, puis loger des émigrés maghrébins lors de la politique de regroupement des familles et enfin des Tziganes se sont installés dans des bidonvilles situés aux abords du quartier4. Ainsi donc le Paillon, ligne de démarcation qui constitue la frontière symbolique séparant ce territoire et le centre-ville. C'est à la fois un lieu d'exil et de repli. Il y a également mon désir de filmer ce quartier populaire, de le regarder autrement. Souvent ramenés à leurs mauvaises réputations, par les médias, les quartiers sont a` mes yeux des territoires d'une grande richesse humaine. Ces quartiers sont des lieux où se croisent des histoires, des légendes. C'est de l'intérieur que je voulais regarder l'Ariane d'aujourd'hui, dans toute sa complexité´. Ce travail aborde l'expérience de l'émigration sous un angle nouveau. A commencer par la rencontre humaine et chaleureuse de quelques femmes qui vivent sur ces lieux et qui sont devenues l'axe central de mon travail.

Ce corps qui parle
Mon regard s'est arrêté sur six figures féminines. Il s'agit de personnes de cultures et d'horizons différents, dont les origines tissent un lien intrinsèque avec l'histoire de la cite´, afin de les transcender par une esthétique du geste...», explique l'artiste. Et de rajouter: «Les fragments de voix résonnent et viennent renforcer ce lien entre l'archive, le témoignage et la mise en scène des corps. Cela produit des représentations d'actes de langage qui tentent de produire du sens. Ces moments de parole réfléchie et posée s'alternent avec des scènes filmées de microperformances, mises en place pour saisir des instants spontanés et inattendus. J'entremêle, sans complexe, l'art et la vie, la fiction et le réel, sur une polyphonie de voix qui coexiste.».
C'est ainsi que de la lumière, de l'emplacement des corps, mais aussi de l'aération née de l'espace, témoigne de l'idée sur l'ouverture sur le monde vers lequel tend l'artiste qui instaure ainsi une création des plus abouties et qu'on ne cessera pas de regarder. De contempler, comme ces paysages où se fondent les corps et les esprits...Aussi, du corps comme géographie si l'on peut dire, on passe au corps comme chair intime, à la sensation et au toucher, au fantasme. Comme est perçu ainsi souvent le corps féminin. Et pourtant, certains vont le déconstruire pour le restituer, tel qu'il est au départ ou encore le démystifier. Brute! Le corps féminin comme architecture, de «mauvais genre», ou encore comme désir refoulé ou rêve brisé. C'est le cas pour ce dernier chez l'artiste marocaine Deborah Benzaquen qui dans «Où sont mes rêves?» laisse choir ces derniers entre réalité et fiction, mêlant une forte dose de nostalgie à de l'émotion à fleur de peau à travers un film d'une rare beauté. Le corps ici, se laisse porter par ses rêveries, chagrin ou frémissement d'un regret à peine contenu. Une vidéo très personnelle où l'artiste est l'unique personnage de sa propre mise en scène, entre montages photos et saynètes filmées, l'artiste nous resitue ces angoisses, tantôt la tête sous l'eau ou échoué sur une plage, mais aussi le torse nu flanqué d'un voile sur la tête, assise sur un banc. Énigmatique, la vidéo nous fait plonger dans l'univers de la femme et son rapport avec l'Autre. Cette vidéo fait partie d'une installation plus globale qui l'entoure et finit par achever le sens caché qui la précède. Aussi de cette inscription «Où sont mes rêves?» accrochée aux cimaises de cet antre de paix, cette grotte du fort Hervé, l'on découvre une sorte de robe nuisette accrochée sur le mur, mais aussi une grosse boule de discothèque illuminant avec douceur l'atmosphère. Au centre, on peut apercevoir déposée sur un socle, une cage d'oiseau à l'intérieur de laquelle on découvre un poisson! Le poisson dans l'eau qu'est l'artiste, semble se noyer dans ses incertitudes ou ses actes manqués. Etouffée... Un travail si touchant qui vous parle tellement. Pour sa part, la Marocaine Amina Benbouchta donne à voir une autre installation complètement décomplexée. Dans «Eternel retour du désir amoureux» l'artiste questionne le rapport du lit et son importance dans nos vies quotidiennes. Le lit de Amina est éclairé par des néons au-dessus duquel sont suspendues dans l'air des figures d'escarpins rouges, de nuage, de chaise mais de cage aussi, pense-t-on... A propos de son oeuvre, l'artiste souligne: «Le lit a toujours été présent dans mon travail dans diverses installations, mais plus comme un lit d'enfant, ici c'est le lit des grands-parents, des parents, il est la lumière de la sidération, face à la sexualité des parents, à l'origine. C'est le lit de la naissance, celui où opère le rêve. Le lit de l'amour, Eros et Thanatos. Le lit qui sublime. Le lit de la psychanalyse.»
Enfin, une autre femme plasticienne, franco-algérienne, à savoir Katia Kameli repense quant à elle, le contemporain autrement, en remontant dans le temps. A travers une installation vidéo et autres objets, elle nous rappelle combien les mots sont d'une importance capitale pour comprendre le monde et savoir guider l'homme. Politique, pouvoir et art sont les clés pour comprendre les enjeux du monde. Et c'est la comédienne française Clara qui nous conte cette histoire dans cette vidéo tournée dans les luxuriants jardins de la Casbah des Oudayas à Rabat. Ou comment l'esthétique vocale de la comédienne disant l'héritage mémoriel du palais permet de nous projeter dans le temps et nous faire voyager à travers les siècles. Ainsi est resituée la vraie histoire de Kalila wa Dimna et comme elle le souligne bien Clara: «Stream of stories est une recherche au long cours sur les origines arabes des fables de La Fontaine: comment, de traduction en traduction, le Pachatantra indien est devenu le Kalila wa Dimna sous la plume du sulfureux Ibn al-Muqaffa, et se déploie à travers le monde dans une cinquantaine de langues, jusqu'à inspirer une dizaine de fables à La Fontaine. Katia superpose alors les miniatures qui illustrent les mêmes fables, et crée des palimpsestes étranges, volontairement inactuels.» et d'ajouter: «Le chapitre 6, le film que nous avons écrit et réalisé pour la Biennale, explore plus particulièrement l'histoire du manuscrit 3655, l'un des plus anciens, conservé dans l'inaccessible Bibliothèque royale de Rabat. Qu'il soit enfermé ou altéré par la main d'autrui, le livre raconte toujours d'une manière borgesienne sa propre histoire - et donc, celle de ceux qui la lisent.

De l'esthétique politique
Et aujourd'hui en plein coeur de Rabat, la librairie francophone de Mme Belafrej, porte aussi le nom des deux chacals fondateurs de la littérature arabe, Kalila et Dimna. Sanctuaire d'une pensée qui triomphe toujours de la violence, les plus grands écrivains s'y retrouvent. Les copies ne se distinguent plus de l'original, l'objet-livre est désormais accessible à tous - au risque de perdre son aura.» Une autre artiste algérienne de son état était invitée à prendre part à cette première biennale d'art contemporain. Une participation remarquée, celle justement de la remarquable jeune femme alias Hania Chaâbane, qui n'a cessé depuis le 22 février, date du début du Mouvement populaire de se donner à son corps défendant pour son pays et de revendiquer ses droits pour une Algérie libre, digne et égalitaire. Elle nous explique: «J'ai été invitée par M. Damani en tant que militante politique ainsi qu'en tant qu'artiste afin d'intervenir dans un des espaces d'exposition qu'est le territoire de la tendresse subversive», un espace imaginé et dessiné par
M. Damani qui a pour but, non pas d'accueillir l'art, mais d'accueillir le réel. Histoire de comprendre comment le réel et la fiction cohabitent, enfin l'un au service de l'autre et de l'art pour produire les conditions d'une révolte.» Et de préciser: «Ma participation consiste à projeter un court métrage documentaire et d'animer une conférence le 9 octobre sur la révolution algérienne du
22 février.» Et de confier: «Tout comme son titre l'indique, ‘'Un instant avant le monde'', cette Biennale était une renaissance pour moi. Rencontrer autant de femmes de par le monde qui se battent chacune à sa manière et à travers son art, pour construire un monde meilleur, ne peut que nous donner encore plus de détermination à débarrer nos sociétés de leurs dérives et injustices.» Enfin, Nadia Benbouta est une plasticienne algéro-franco-russe à l'univers hautement coloré et fantaisiste. Elle présente au Musée VI, trois dessins à la fois réalisés en dyptique qui, fait- elle savoir «prennent essence dans différents éléments qui appartiennent à des registres spatio-temporels complètement différents. Je les mets en coordination pour créer un univers nouveau et apporter un nouveau sens. En l'occurrence, ici, j'ai fait appel à la poésie de Omar El Khayam, à des oeuvres de Rubans et de Caravage représentant Bacchus qui, lors de ses moments de sobriété, était un philosophe et parlait de la naissance du monde à ses élèves. On dit aussi que c'est le fondateur du théâtre Bacchus. C'est une réflexion assez hédoniste, moqueuse avec Bacchus, car l'humour est assez important dans mon travail.Et le moucharabieh que j'ai associé, c'est pour donner une certaine visibilité à ce qui était caché, ce qui pouvait être montré à un instant du monde... Dans une autre toile, on peut apercevoir des savons d'Alep qui suggèrent l'épuration technique. Nous avons aussi le Phénix, l'oiseau qui renaît de ses cendres et qui crée une nouvelle naissance. En voyageant, il conquiert des territoires.» A propos de sa participation à la Biennale Nadia Benbouta indique que c'est «hyperémouvant» d'y être. «C'est un super projet qui montre justement la modernité du Maroc. Le fait d'inviter des femmes artistes qui viennent d'univers artistiques et géographiques complètement différents, c'est une énorme ouverture à la fois pour nous les artistes, et c'est un parti pris aussi, en tant que femme arabe de participer à cette Biennale. C'est une grande joie», affirme notre interlocutrice qui relève encore: «Je m'ennuie très vite et j'ai vraiment besoin de puiser dans différents univers pour créer un nouveau sens. Je cherche des interactions qui pourraient s'apparenter à de l'ineptie au premier abord pour le commun du mortels mais qui, finalement a énormément de sens. Une fonction philosophique et sociale.»

De Quoi j'me Mêle

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