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Dorothée Myriam Kellou, réalisatrice algéro-française, à L’Expression

«La transmission de la mémoire est essentielle»

«A Mansourah tu nous as séparés » est le film documentaire qui fera l’ouverture des 17es Rencontres cinématographiques de Béjaïa ce soir. Un film qui lève le voile sur un pan de notre histoire assez méconnue finalement… Un film qui revient sur les lieux où le père de la réalisatrice n’a plus remis les pieds depuis 50 ans. Dorothée Myriam Kellou ira interroger ce passé non sans pudeur en jetant un regard tendre, plein de poésie sur ces images enfouies dans la mémoire de ces vieux et vieilles qui ont été déplacés vers des camps et ainsi se sont vus tôt déracinés . Dans cet entretien que nous a accordé la réalisatrice qui est aussi chercheuse en histoire, nous tentons de comprendre ce qui s’est passé des années en arrière.

L’Expression : Tout d’abord, comment vous est venue l’idée de ce documentaire et en quoi consistait le scénario que votre père vous a tendu au départ ?
Dorothée Myriam Kellou: Je suis née à Paris et ai grandi à Nancy, dans l’Est de la France. Depuis, très petite je m’interrogeais sur mes origines algériennes. J’ai grandi dans une famille mixte. Une mère française et un père algérien. Mon père ne m’a pas transmis sa langue, le kabyle, l’arabe la langue de son pays et sa mémoire de l’Algérie. Il y avait une sorte de silence autour de l’Algérie qui m’avait beaucoup interrogée et donc très petite j’avais des questionnements et j’ai commencé à l’âge de 14 ans à étudier l’arabe et puis j’ai poursuivi jusqu’au bac et j’ai fait des études de sciences politiques et d’arabe.
j’ai fait un long détour pour arriver finalement à l’Algérie puisque j’ai étudié l’arabe au Caire, j’ai travaillé en Palestine et j’ai fait un master d’études arabes aux Etats-Unis où j’ai pris un cours d’histoire de l’Algérie coloniale et là, je pense que j’étais prête à interroger mon père et à regarder les blessures qu’il avait peut-être exprimées même dans le silence. J’avais en fait, un professeur qui était libanais-américain. Il était spécialiste de l’Algérie coloniale, son nom est Oussama Abi Mershad. Il est professeur à l’université de Georgetown à Washington D. C. Il m’a dit : « Puisque vous êtes d’origine algérienne, vous devriez creuser du côté de l’oubli. » Moi, je ne comprenais pas très bien ce que cela pouvait signifier et j’avais un papier en histoire à écrire et c’est comme ça que ma recherche sur les regroupements a commencé. J’ai interrogé mon père. Car, lui, il avait écrit un scénario qui s’appelle « Lettre à mes filles » qu’il m’avait offert quand j’étais en Palestine et où il racontait en fait qu’il n’avait pas pu, qu’il n’avait pas su transmettre la mémoire d’un peuple, la mémoire de l’Algérie. Il racontait son enfance dans un village, Mansourah qui était entouré de fils barbelés. Je l’ai donc interrogé, je lui ai demandé pourquoi il y avait des barbelés ? C’était quoi cette histoire ? Et il m’a dit que c’est l’histoire des regroupements de populations, que c’était le point d’attaque d’une vie brisée par la guerre qui nous a donné le droit à l’errance et à l’émigration. Moi je ne comprenais pas beaucoup ce que cela pouvait dire. Un jour, une fois après toutes ces années d’études, de voyage et de recherches, je me suis sentie prête à interroger mon père et ce travail est devenu mon mémoire de recherche aux Etats-Unis. J’ai ensuite décidé d’en faire un film. Ce qui comptait pour moi, c’était la transmission par l’image puisque mon père est réalisateur, qu’il a su me transmettre l’amour du cinéma, passer par l’image pour avoir accès à ce qu’il n’avait pu me transmettre autrement que par le silence. C’est ça l’origine du film.
Au fur et à mesure de mes recherches- J’en ai fait beaucoup - j’ai été dans les archives militaires au château de Vincennes en France. J’ai été à l'ECPAD au ministère des Armés  en France. Effectivement, j’ai pu retrouver des images que je projette dans le village dans le film, mais ce sont en fait des archives de l’armée française.
Ce sont des images de propagande où l’armée met en scène une entente entre la population regroupée et l’armée française dans les camps. Elle met en scène aussi l’apport qu’auraient pu supposer être les regroupements, les écoles, les dispensaires. Ça ne touchait pas au traumatisme premier qui est celui du déracinement car c’est un déplacement forcé. C’était une question importante pour moi parce qu’en passant par le point de vue de l’armée française et ce discours de modernisation de l’Algérie rurale, on peut ne pas comprendre ce que signifient pour ces habitants ces regroupements. Or, ce sont des déplacements forcés, le fait d’être placés sous surveillance militaire française.

Votre film évoque un passé peu ou pas du tout connu . Comment êtes-vous parvenue à retrouver les archives pour faire ce film ?
Effectivement, c’est une histoire qui n’est pas beaucoup connue. Moi-même, j’ai été étonnée de me rendre compte qu’il y avait très peu de recherches historiques sur le sujet. Il y a un livre qui s’appelle « le déracinement » de Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad qui a été publié juste après la guerre. Il y eut des ouvrages ensuite, quelques-uns, mais peu nom-
breux finalement par rapport à l’importance de cette histoire et ce qu’elle a provoqué en fait dans l’Algérie au plus profond de son âme, son territoire. Ce qui m’a étonné aussi est qu’il y ait peu de témoignages d’Algériens qui ont été regroupés. C’est quelque chose qui manque beaucoup dans les ouvrages scientifiques, parmi ceux qui ont été publiés. Ce qui comptait vraiment pour moi, c’était d’avoir accès à l’intimité de ces souvenirs ; comprendre ce qu’ils avaient vécu et comment ils portaient en eux cette mémoire aujourd’hui. Ça a été un long travail. Mon père n’était pas retourné pendant 50 ans dans son village. Il l’avait quitté à l’indépendance. Il s’était installé à Alger. Il n’était jamais revenu en fait. Parce qu’il y eut un exode massif vers les villes et cela fait partie de l’histoire de ces regroupements, c’est-à-dire que les campagnes ont été largement vidées de leurs populations par cette politique. Il y a une espèce de mouvement inexorable vers les villes et une absence de retour. Ce film-là est un retour. Il y a, déjà, en soi, un effort réellement pour aller au cœur de cette mémoire. Je me suis rendu compte, que même
50 ans après, l’émotion était très présente. Elle affleurait à tout moment. J’étais très marquée par cette émotion. De tous leurs récits j’en ai fait des cauchemars. Ça m’a beaucoup bouleversé en fait d’avoir accès au village de mon père à travers cette histoire de déracinement et la violence sourde que le déracinement signifie. Parce que c’est difficile de comprendre qu’ils ont quitté leur monde, même à 10 kilomètres, leur village qui était protégé par leurs ancêtres, l’esprit de leur ancêtres. Il y a une violence qui n’est pas facile à nommer.
Le film laisse place à l’expression de cette douleur, de ce silence, cette émotion qui est vraiment profonde et enfuie parce que c’est vraiment ça que j’ai ressenti.

Votre film lève le voile sur un certain traumatisme qu’ont connu les Algériens et qui semble se poursuivre par une certaine note de violence telle qu’exprimée de façon sous-jacente dans votre film. Un des non-dits, justement évoqué, est celui du « problème des origines ». Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, d’après ce que j’ai cru comprendre, il y a des tensions qui subsistent jusqu’à aujourd’hui entre populations originaires de Al Hamra, Ouled Abbas et de Mansourah ,qui restent très vives. Comme il y a eu une cohabitation forcée qui n’a pas été choisie, cette dernière n’était forcément pas heureuse car absolument pas choisie.
Une fois qu’on a été déplacé, ancré à nouveau dans un lieu, les villages sont souvent détruits pour ne laisser aucun refuge au FLN, il y a une difficulté du retour et on reste là, sans raconter nécessairement son histoire. Ce sont des tensions qui sont là et refoulées. Je pense que ce travail des origines, être capable de nommer d’où l’on vient, de quel village on vient, de connaître l’histoire du village, savoir s’il a été détruit, déplacé… Tout cela est un énorme travail qui reste à faire à l’échelle de l’Algérie, de documenter ce déracinement. On dit souvent, par exemple, que les Palestiniens ont beaucoup documenté la destruction de leur village et leur déplacement forcé, les Algériens ont moins fait. Il y a quelque part un manque de mémoire. Il reste énorme jusqu’à aujourd’hui. J’espère que le film va contribuer à ouvrir des possibilités de documentation avant que ces populations ne meurent, disparaissent parce qu’elles sont déjà très âgées. Que cette mémoire puisse être transmise, même si c’est une mémoire douloureuse. Au moins qu’elle puisse être transmise.

Enfin, le silence, les mots, la poésie sont omniprésents. Un choix esthétique voulu pour dédramatiser le tragique de l’histoire ?
Pour moi c’est du cinéma, je pense qu’en travaillant avec Hassan Ferhani à l’image, il y a quelque chose de l’ordre de la poésie vraiment dans le lieu de ruines, d’une mémoire intime, qu’on va chercher. C’est important de s’exprimer avec poésie. Mon père est quelqu’un qui s’exprime avec beaucoup de poésie, c’est peut-être quelque chose qui m’a été transmis de l’Algérie. C’est la force de l’oralité.
La poésie des mots. C’était important que le film soit beau et poétique car c’est une histoire tellement violente et si on ne passe pas, quelque part, par la poésie et d’ailleurs les personnages eux-mêmes se racontent avec poésie, ils atteignent une violence qui est palpable ; quelque part donc, c’est une manière de transmettre cette histoire avec douceur.
Car transmettre la violence directement, empêche la transmission. Et le passage par l’image, par la poésie permet beaucoup plus pour que la personne qui reçoit ne se ferme pas. C’est dur, mais elle est capable d’écouter parce qu’il y a une beauté derrière…

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