{{ temperature }}° C / {{ description }}

Cité introuvable.

Kader Attia, artiste plasticien, propriétaire de «La Colonie», à L’Expression

«Le Covid-19 nous a été fatal…»

Installation, photographie et dessin, toujours à grande valeur dimensionnelle, sont ses moyens d’expression.

Artiste français d’origine algérienne, récipiendaire du prix Marcel Duchamp, Kader Attia est aussi bien connu que reconnu dans le milieu de l’art contemporain à travers le monde. Installation, photographie et dessin, toujours à grande valeur dimensionnelle, sont ses moyens d’expression. L’artiste qui avait lancé en 2016 La Colonie, vient de perdre cet espace si cher à son cœur. Il nous en parle ici , non sans évoquer avec espoir, son souhait d’ouvrir une autre agora d’échanges, mais de son travail artistique et sa vision de l’art aussi...

L'Expression: Comme beaucoup, nous avons été surpris par votre annonce sur les réseaux: La Colonie, lieu culturel par excellence que vous dirigiez à Paris, a dû fermer ses portes...Pourrions nous expliquer cela...
Kader Attita: Le Covid-19 nous a été fatal. La Colonie a toujours été un lieu qui ne vivait que grâce à son café et bar. Nous ne recevions aucune subvention: ni publique ni privée. C'était un choix qui, dès le départ, nous permettait une totale indépendance de discours et une éthique, car lorsque vous êtes financés par un gouvernement ou par des privés, vous avez des comptes à rendre. Sauf lorsqu'un sponsor est suffisamment honnête et juste pour comprendre la nécessité d'une parole libérée, chose de plus en plus rare de nos jours.
Aujourd'hui vous êtes à la recherche du coup, d'un nouvel espace, pour ce faire vous avez fait appel à l'aide participative...
Oui nous avons créé une cagnotte pour que nos amies et amis puissent nous aider. J'y ai longtemps été réfractaire, mais maintenant nous n'avons plus le choix. La crise économique générée par le Covid-19 est abyssale et nous souffrons de dettes lourdes.

Pourquoi donc avoir décidé de lancer au départ ce lieu?
Cela fait des années que la question de l'héritage des blessures du colonialisme et de l'esclavage est au centre de ma réflexion. Pourtant, pendant très longtemps, j'ai été confronté au déni du cadre officiel occidental sur cette question, et peut-être pis encore, à la réinterprétation de l'histoire. Car comme mon papa me l'a toujours dit, la colonisation, ce n'est pas seulement l'occupation d'un territoire, c'est aussi l'occupation d'un imaginaire, et cela n'a pas de frontières, ni dans l'espace ni dans le temps... Fatigué de ce silence qui perdure et qui tue, j'ai alors décidé de créer un espace qui serait comme une oasis sur cet immense territoire sec, dans lequel on pourrait venir partager ses connaissances, ses récits, et les réinventer, afin de reprendre des forces pour reprendre la route. La pensée réparatrice est une forme de nomadisme. Et comme tout nomadisme, il lui est nécessaire d'avoir des bivouacs disséminés ça et là, afin de se renforcer. Les sujets que nous avons développés posent la question du colonialisme dans sa contemporanéité, à savoir toutes les formes de dominations que notre monde néolibéral maintient au-delà des indépendances. Nous vivons au XXIe siècle une crise de la raison, et la gauche est plus que jamais fragmentée du fait de cette situation. L'absence de discours décolonial englobant les féminismes des Suds, un discours écologique fondé sur la colonisation et l'esclavage, ainsi qu'un discours anti-néofasciste lié aux dérives des nouvelles technologies, a complètement miné la gauche. Ce qui nous a été très utile à La Colonie, par rapport à cette carence, c'est l'angle artistique. La force de l'art, c'est de réunir, même lorsque l'on n'est pas d'accord. La Colonie est donc devenue une agora d'opinion et d'émotion où toutes les voix pouvaient s'exprimer et échanger.

Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, Kader Attia, vous êtes un artiste contemporain témoin de votre époque. En effet, La Colonie était considéré comme un espace de véritable échange et de liberté d'expression dans lequel plusieurs disciplines culturelles se chevauchaient (arts plastiques, tables rondes et projections etc.). Pour ainsi dire, très éclectique et au fond peut être à l'image de vos oeuvres souvent très vastes et riches telles que l'on voit lorsqu'on regarde votre itinéraire plastique, photos, collage, installation, vidéos...Dire le monde ne vous a-t-il pas suffi alors à travers vos oeuvres?
Ce que la création vous offre est immense: que ce soit la littérature, le théâtre, le cinéma ou les arts plastiques. Mais la création artistique reste de la représentation. Même une perfor-mance aussi mouvante et émouvante soit-elle, est une représentation. Depuis une dizaine d'années, j'ai ressenti profondément la frustration des limites de la représentation de l'oeuvre d'art, dès lors qu'elle interroge le monde contemporain politique vivant dans toute sa complexité. C'est alors que j'ai commencé à filmer, à travers des interviews, des personnes dont le point de vue sur notre monde et l'héritage qu'il constitue nous aident à agir différemment sur celui-ci. Je ne suis pas contre la représentation, mais pour la nécessité de produire des créations qui se jouent de ces limites esthétiques, comme par exemple des films théoriques dont les frontières sont si floues, que savoir si elles sont plus des essais que des oeuvres d'art importe peu. La Colonie espace d'agora de la parole n'est bien sûr pas une oeuvre d'art, mais elle a articulé dans le réel cette transgression de la représentation nécessaire à mon sens.

Vous êtes franco-algérien, en tant qu'artiste vous exposez un peu partout dans le monde, avec une résidence en Allemagne, un pied à terre à Paris et sans doute de la famille encore en Algérie. L'on peut dire alors que vous êtes à l'image de votre vie, à la fois complexe et ouvert sur l'universel...
Oui, je suis le passeur d'une histoire qui s'étend des Aurès à la banlieue parisienne. Puis maintenant, depuis 11 ans en Allemagne. Plus qu'universel, je dirais métis. Nous sommes tous des métis aujourd'hui, même lorsque l'on n'a pas quitté le territoire où l'on est né. Je le vois avec mes cousins en Algérie, et toutes les personnes qui sont le produit de ce flux extraordinaire d'informations qui nous traverse chaque jour. Edouard Glissant disait qu'au XXIe siècle nous naissons dans un monde culturel, nous vivons dans un deuxième, et nous mourrons probablement dans un 3ème monde culturel.
Le monde de l'Algérie que j'ai connu quand j'étais enfant, des douars des Aurès à Bab El Oued, à Alger, a changé: comme tous les autres mondes, il est différent, la langue est la même, mais les mots ont changé. Et pourtant il y a toujours cette part indélébile en moi qui me rattache à ce monde d'hier. J'irai même plus loin, dans la continuité de la psychanalyste Karima Lazali et son formidable essai «Le trauma colonial»: nous sommes le résultat de mémoires que nous n'avons pas vécues. Je n'ai pas vécu la violence de la colonisation: elle a eu lieu lorsque je n'existais pas. Je n'étais pas un sujet,et pourtant elle agit en moi par procuration de la violence du racisme systémique que vivent les non-Européens dans l'espace public de manières diverses et variées, du policier à la boulangère, on vous renvoie un regard discriminatoire à chaque fois aussi inacceptable qu'inattendu, sur la base de votre différence physique.

Que pensez- vous aujourd'hui du marché de l'art dans le monde et du monopole de ce dernier par certains pays?
C'est un marché comme les autres, fondé sur des signes psychologiques réconfortants qui ne font pas de remous.
Vous trouverez très rarement des oeuvres qui critiquent les violences d'Etat, les violences policières, et le colonialisme contemporain dans le marché de l'art.
Les gens préfèrent acheter au marché plutôt des tomates grosses et sans saveur, même si elles sont génétiquement modifiées, que des petites tomates sales du jardin, mais goûteuses.

En tant qu'artiste algérien qui connaît plus ou moins le secteur des arts plastiques en Algérie, quel regard portez vous sur ce dernier et que préconisez vous aussi pour qu'il se développe davantage?
Les artistes algériens font un travail formidable. Ils ont beaucoup de mérite, car le contexte est difficile: la chape de plomb dont souffre cette société est extrêmement difficile à percer. Cela fait plusieurs années que je n'ai pas eu le temps de venir à Alger les rencontrer, car l'occasion de mes voyages en Algérie se limite à celle de passer du temps avec ma famille dans les Aurès. La situation là-bas est très difficile économiquement, surtout actuellement du fait du Covid-19, mais je reviendrai après cette crise sanitaire à Sétif ou Alger, les deux villes que j'aime, et peut-être à Oran, pour rencontrer les artistes et organiser une oasis temporaire de La Colonie avec l'objectif de se rencontrer et de partager nos connaissances, nos expériences et nos rêves. 

De Quoi j'me Mêle

Placeholder

Découvrez toutes les anciennes éditions de votre journal préféré