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Mohamed-Lakhdar Maougal, professeur en journalisme, à L’Expression

«L’Algérie se réveille d’un long sommeil»

Professeur en journalisme et anthropologiste, Mohamed Lakhdar Maougal nous livre, sans concession, sa vision et son analyse du Mouvement populaire.

L’Expression : Il y a un an, le 22 février 2019, les Algériens descendaient massivement dans la rue pour protester contre un 5e mandat de Bouteflika. Depuis, la dynamique ne s’est pas arrêtée. Mouvement de contestation, Hirak ou révolution? De quoi s’agit-il? Ensuite, ce mouvement est-il un échec ou une réussite?
Mohamed-Lakhdar Maougal: Les contes et légendes sur ce mouvement d'humeur n'en finissent pas. Aujourd'hui, c'est son premier anniversaire et il est encore là, toujours au même point, un bébé turbulent qui ne veut pas s'endormir. Et c'est plutôt bon signe. Cherche-t-il ses parents? On ne lui connaît pourtant ni père ni mère. Et il est LéGITIME! Sans commentaire. Ce faisant, on lui a attribué tout de même de grandes paternités ou maternités, c'est selon (novembre 54, août 56, juillet 62, avril 80, octobre 88, janvier 2001). à ce train, il fera le tour des mois de l'année aussi bien grégorienne que hégirienne. Voilà qu'il vient d'acquérir sans coup férir, un statut de journée nationale. Qui dit mieux? Peut-être comme disait feu le vieil aghellid Ait Ahmed, c'est un bébé sans moustaches, mais qui semble avoir un sacré appétit vu les grandes bouffes de couscous parties en plein air qui l'ont accompagné jusqu'alors. C'est paraît-il la millénaire tradition du «shem ennassim»!
Je dirai, pour ma part, que c'est une «comédia dell'arte» avec beaucoup de spectateurs-acteurs plus nombreux encore que ceux des galeries de personnages balzaciens de la Comédie humaine pastichant ceux aussi de la Divine Comédie d'Alghieri Dante. Le 22 février 2019 s'est réalisé un rêve prophétique de Mouloud Mammeri, ce talentueux intellectuel patriote national inégalé qui juste après avoir révélé que «Chez nous le Printemps ne dure pas (La Colline oubliée, 1953)» a aussitôt sonné le tocsin qui ébranla la colonisation avec la fin du «Sommeil du juste, 1955» annonçant trois décennies auparavant l'avènement du fabuleux réveil de «la Cité du Soleil, 1988» qui vit venir l'ouragan secouant fortement le château kafkaïen du haut de l'Empirée.
Ce mouvement du 22 février n'est ni une contestation organisée ni encore moins une révolution. C'est une tragi-comédie savamment orchestrée qui est grosse d'un programme ourdi dont les prémices tardent encore à venir au grand jour, si elles doivent venir un jour à la lumière. Cette tragi-comédie orchestrée sur le mode mécanique de la force d'inertie bien connue des physiciens, mais une force d'inertie éprouvée des siècles durant par ce guet-apens que des veilleurs de l'ordre, du temps des Templiers et des loges ténébreuses parce que médiévales et moyenâgeuses, avaient programmé pour barrer la route aux lumières et aux exigences de progrès. Cette crise forcée d'une succession avortée est venue pour mettre un terme à un glissement irréversible d'une institution gravement atteinte et se trouvant à l'article de la mort qui risquait de déboucher sur un processus révolutionnaire radical et virulent au regard des pratiques inhumaines d'une recolonisation postindépendance qui ne dit pas son nom. Car le système bouteflikien ne fut rien d'autre qu'un retour du refoulé colonial sur un fond de profonde et destructrice corruption d'une société en voie de décomposition systématiquement organisée, un génocide programmé, lent et implacable, une espèce de répétition de «mort absurde....»... des Algériens.
Une chose semble être sûre et établie. Le 22 février est venu, organisé et programmé, pour faire partir Bouteflika et sa «hachiakoum». Et pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître que les citoyens chloroformés et désarmés auront attendu quatre interminables mandats quinquennaux avec des coups de boutoir n'ayant jamais pu aboutir, même pour le café, le sucre et le yaourt. J'allais oublier les «couches» du guignol.
Une révolution? Certainement pas. N'en déplaise aux fabulateurs et autres bonimenteurs qui s'excitent sous les effets narcotiques du premier simoun (notre Foehn national cité par M. Mammeri, encore lui! Décidément. Quel entêtement arrissien ou auressien!). Mais il subsiste toutefois un mystère insondable encore de cette crise qui se prélasse comme un boa repu. Bouteflika a été évacué sans bilan, ses geôliers sont pensionnés à El Harrach ou à Blida, ses banquiers et ses fondés de pouvoir sont éparpillés, mais le système est toujours là! Il perdure. Il s'agrippe. Il résiste. Il continue.

Après une année de combat politique sans interruption, le mouvement n’a pas pu se structurer pour s’affirmer comme un contre-pouvoir crédible. Une force ou une faiblesse?
Une faiblesse organique. Certainement si ce n’est pas une impossibilité idéologico-politicienne à méditer en raison des multiples tentatives toutes avortées de rassemblement et de coalition oppositionnelle, quand on aura écarté les manœuvres de sabotage et de sabordage des initiatives de regroupement, manœuvres préparées et télécommandées. Toutes les rumeurs qui courent à ce propos sont délirantes, mais pas forcément folkloriques.
Et si on regardait de l’autre côté de la pièce? Ce qui est nouveau dans cette crise quasiment ourdie et programmée, c’est le côté incroyable de l’inattendu et de la surprise. En effet, le mouvement qui se prolonge dans le temps (déjà une année) et se répand dans l’espace (tout le territoire national avec bien entendu des lieux plus compacts – les villes et grandes agglomérations - et d’autres plus relâchés –les campagnes et les petits villages ou même des villes moyennes-) semble avoir échappé à sa programmation initiale, comme cela se passe dans l’emballement d’une mécanique en essai. La force d’inertie n’a pas conservé le caractère premier de la revendication initiale, à savoir le rejet du 5ème mandat seulement. C’est dire que toute catégorie sociale et politique était à l’écoute et en attente de la moindre occasion pour en découdre avec le système qui ne s’y attendait pas, convaincu que le projet bouteflikien d’anesthésie complète de la société était d’une efficacité à toute épreuve.
Il faudra revenir au cas singulier de la démocratisation de la plus vieille dictature de la région, c’était dans les années 70 au Portugal, quand l’armée du général Antonio De Carvalho décroche de l’Angola et casse le régime de Salazar, suivi par l’Espagne franquiste et par la Grèce des colonels. Quelqu’un a dû se souvenir de ce miracle et a pensé l’acclimater en Algérie. Avec le passage générationnel et surtout avec l’accélération vertigineuse de la médiatisation grâce aux réseaux sociaux, et malgré le rideau de fer qui a été imposé par le pouvoir et par ses maîtres étrangers qui luttent férocement contre le déplacement des jeunes qui ne sont plus du type migrant traditionnel soumis et acculturé parce que d’origine paysanne plus lié au sol familial et aux traditions conservatrices et moins exigeant sur les niveaux de vie, la contagion idéologico-sociale prérévolutionnaire n’aura pas manqué de se répandre comme une traînée de poudre. C’est probablement ce qui a très vite fait sentir et comprendre que cette crise était bénéfique et qu’elle offrait l’occasion rêvée d’imposer un changement. Le reste a suivi logiquement. C’est là un point fort indiscutablement, mais combien fragile car il reste encore entaché de beaucoup de spontanéisme qu’aucune velléité de structuration ni d’encadrement ne semble lui avoir insufflé une logique nouvelle. C’est cela qui explique la lenteur du processus de maturation et d’incubation. Il est observé par tous les protagonistes comme par tous les antagonistes que la crise actuelle mobilise. Cela fait aussi couler beaucoup d’encre, à commencer par les conseilleurs en mal d’audiences, les théoriciens fatigués par les scenarii fantasmagoriques soutenus par des appels à consultation et à considération jusqu’aux rangs de la décision civile et militaire, les experts déchaînés à se défouler sur les ondes radiophoniques et/ou télévisualisées, les spécialistes en tous genres de conjectures et de supputations projectives et programmatiques. Bref, une illusion s’impose de jour en jour : l’Algérie se réveille d’un long sommeil et d’une profonde léthargie dans laquelle l’avait enfermée le dealer soporifique régime de Bouteflika. Le régime en passe de crouler et de se diluer, les partenaires prennent peur et s’avisent, voire se concertent. L’Algérie isolée pendant plus de dix ans et tenue sous perfusion à distance des grands problèmes aussi bien nationaux qu’internationaux est de nouveau sollicitée et réintégrée dans les sphères concertatives régionales, délibératives continentales et même consultatives mondiales. C’est le point le plus fort de cette crise récupérée et réinvestie par les Algériens et dont l’Etat actuel encore fragile semble pourtant vouloir en profiter et s’en faire le monopole représentatif. Cette situation est unique dans les annales de l’histoire politique internationale, depuis l’exemple lointain de la Chine et du rôle qu’elle avait joué dans le Sud-Est asiatique entre la guerre de Corée (1951) et la guerre du Golfe (1993).
Ce que cette expérience de cette crise révèle de très important et qui demande à être pris très au sérieux parce qu’il est vital, c’est le changement d’attitude des puissances tutélaires. Celles-ci avaient pris l’Algérie en otage grâce au régime de Bouteflika. Ce dernier leur avait livré et leur avait offert et soumis le pays pieds et poings liés moyennant des libéralités financières et des complicités politiciennes et diplomatiques. Ce sont ces mêmes pays et ces mêmes puissances qui se retrouvent aujourd’hui face à face avec la puissance potentiellement évolutive de la rue encore pacifique, mais combien déterminée. C’est là un atout capital et majeur à prendre en considération et à actionner dans tous les accords avec l’étranger comme un facteur de rééquilibrage et de pression dans toute négociation.

Deux anciens Premiers ministres, des oligarques, deux ex- patrons des services de renseignement et surtout le puissant Saïd Bouteflika, frère du président déchu, ont été incarcérés. Comment expliquez-vous cette inimaginable séquence ? Effondrement ou simple lifting du système?
La décapitation du régime – et non pas du système algérien n’aura pas été possible sans des implications extérieures qui ont accompagné ce régime depuis plusieurs années et qui en ont observé et l’usure et le danger de son effondrement. Rappelons- nous comment l’Elysée et Foccart, puis ses successeurs à l’instar de Bernard Bajolet, avaient lâché les Mobutu et autres fantoches africains du Gabon, de la Côte d’Ivoire, de la Centrafrique, les Papa et Bebe DOC (Duvalier), les Habré et les Khadafi, Les Sihanouk, les Pinochet, les Eltsine, les Benali comme ils viennent de lâcher après les avoir imposés, les Bouteflika et leurs valets de carreaux, de cœur et de pique. Les jeux sont faits. Rien ne va plus.
La puissance était bien illusoire parce que factice et préfabriquée. Quand on est puissant, on ne se fait pas photographier sur les Champs Elysées en compagnie de son protecteur et maître le patron de la Dgse, Bernard Bajolet.
L’ordre mondial est en train de changer à grande vitesse et ne laisse plus le temps aux dictateurs et aux autres corrompus de se refaire une santé ni morale ni politique et encore moins financière. Le régime des Bouteflika a recouru à des « canassons » incapables de comprendre les grandes mutations qui s’emballent depuis la guerre du Golfe et des conséquences qu’elle aura pu avoir sur les régimes croupions et corrompus du Croissant stérile. Les précédentes décennies, les assassinats de chefs d’Etat avaient donné l’illusion de changement sans trop de dégâts (Chili, Egypte, Algérie, Liban, Irak, Yémen, Péninsule arabique, Afrique, Amérique latine, Asie), voilà que l’effondrement de l’empire soviétique à quoi s’ajoute le printemps arabe, ont resservi les donnes et redistribué les cartes. Dorénavant, les évacuations se feront à la charrette (en groupe) et non plus à titre individuel. Cela correspond à la nécessité de toilettage profond comme dans la tradition florentine des guerres des Républiques italiennes naissantes et/ou renaissantes. C’est peut-être aussi une nouvelle approche de la responsabilité collective de l’exercice du pouvoir et partant du partage des pertes et profits. A moins qu’il ne s’agisse dans le cas d’espèce algérien de la mise à nu du régime qui s’avère un patchwork de relations clientélistes tous azimuts, ce que les maîtres décideurs étrangers n’entendent plus laisser faire ce genre de gymnastique de grandes bouffes à tous les râteliers possibles et imaginables qui révèlent l’extrême fragilité douteuse des liens d’allégeance. C’est ce qui s’est passé chez nous en Algérie et qui demande à être plus circonscrit et mieux cerné au plus près.

Certains observateurs voient ce mouvement avec suspicion. De sorte que lors de la déflagration du 22 février on n’y croit pas. Combien l’ont jugé impossible, y ont vu un complot, une manœuvre de clans au sein de l’appareil d’État ou encore l’inusable rengaine de la main de l’étranger?
Il y a un peu de tout ça dans cette situation on ne peut plus confuse. Et peu importe ce que pensent les uns et/ou les autres commentateurs et analystes, voire experts et spécialistes qui se gardent de tout militantisme prétextant de prétendues objectivités académiques. La vérité est bien plus profondément enfouie pour que quiconque s’en prévale de sa lecture la plus rationnelle et la plus juste. A coup sûr, les analystes à froid ou dans les laboratoires rétribués et encadrés par des dispositifs budgétaires, voire sécuritaires sont très rarement des expertises crédibles et efficientes. La situation du monde en bouillonnement ne saurait livrer ses secrets à des fonctionnaires tâcherons qui mobiliseraient des savoirs et des savoir-faire aussitôt produits aussitôt tombés en désuétude au regard de la célérité vertigineuse des transformations dans le monde actuel saisi de frénésies médiatiques. L’attention militante de par un travail en chaîne et en tension permanente et fortement adossée à un arsenal suffisamment fourni en moyens aussi bien humains intellectuels que matériels et financiers, pourrait à peine parvenir à y faire face. Les collectifs de chercheurs en savent un bout sur ce problème épineux. Quant aux observateurs, qu’ils continuent à observer pourvu qu’ils ne refassent pas les sempiternels coups de Jarnac pour se présenter en dernier ressort comme les sauveurs suprêmes. Le démantèlement des cours de serviteurs devraient faire réfléchir les candidats à l’expertise et à la spécialisation en situation d’offre de service comme cela est devenu la coutume qui reprogramme les clientélismes. Les solutions viendront des implications qu’elles soient militantes ou professionnelles adossées aux institutions qui produisent et font circuler le savoir, l’information et l’espoir de solutions globales et non personnelles et non égoïstes.

Et si on vous demandait de vous lancer dans le jeu des pronostics. Quel sera l’avenir de ce mouvement?
Quel sera l’avenir de ce mouvement ? Bien malin qui pourrait le prédire. Mais on peut légitimement l’exprimer à titre non pas prévisionnel, mais de volonté de changement et de projection programmatique. Ce mouvement déclenché à l’occasion d’une grave crise multidimensionnelle – ce n’est pas la première et ce ne sera certainement pas la dernière- devrait mobiliser les analystes et les pousser à des contributions et à des mobilisations pour accompagner ces moments précieux du réveil et de la prise de conscience. Il s’agit d’étudier le plus objectivement possible les événements, les caractériser sans concessions, les éclairer modestement et surtout les analyser pour en tirer les leçons utiles à la sauvegarde de la dignité humaine, à la préservation des libertés et des souverainetés menacées par l’ordre inique et les violences cupides et destructrices. Pour le cas particulier de notre pays, il faut que les institutions de formation (les universités et les grandes écoles) travaillent à éclairer les opinions publiques grâce au monde médiatique (presse, moyens techniques audiovisuels divers). Cette mission a pour but de mobiliser les citoyens et les éclairer quant aux objectifs qui défendent l’intégrité de la patrie, les intérêts des citoyens et particulièrement des catégories les plus fragiles. Cela doit se faire pour valoriser la connaissance, pour développer les savoirs et les techniques aux fins de bien comprendre le monde dans lequel on vit.
Enfin promouvoir les idéaux de liberté, de dignité et de solidarité sans lesquels aucun tissu social ne saurait tenir ni survivre.

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