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Entretien croisé entre Belaid Abane et Madjid Benchikh

Le Hirak à cœur ouvert

C’est une discussion à bâtons rompus avec le politologue Belaïd Abane, auteur de plusieurs livres sur l’histoire mouvementée de l’Algérie, et Madjid Benchikh, juriste de renom international et auteur de livres sur le système politique algérien et le droit international. Aiguillés par notre journaliste, ensemble, ils décortiquent la crise et ouvrent des pistes et des voies salutaires pour que l’Algérie sorte indemne de la crise grâce à la volonté infaillible du peuple et à la responsabilité historique de son armée. Compte rendu d’un débat à la hauteur des enjeux.

L’Expression : Avant d’aborder la question de la crise actuelle, peut-on faire un bref état des lieux sur le système Bouteflika ?
Belaïd Abane : Je pense qu’il est nécessaire d’évoquer cette période. Il le faut parce que Bouteflika est venu après la décennie noire, et avec un projet de récupération de tous les pouvoirs y compris ceux dévolus à une institution militaire plus forte que jamais de sa légitimité sécuritaire. C’est vrai, ce sont les militaires qui l’ont ramené. Arrivé comme un
« trois-quarts » de président, Bouteflika finira par devenir un superprésident. Il avait trouvé une quinzaine de généraux formant une junte, il en nommera des centaines qu’il gratifiera de maints avantages. En quelque sorte, il a « civilisé » un régime qu’il s’est taillé sur mesure. Mais il est vrai que la chute de Bouteflika n’a pas changé fondamentalement la nature des problèmes. Il était prévisible qu’elle ramènerait l’armée au-devant de la scène. Sur un autre plan, il a entamé un processus de désertification politique autour de lui bien sûr, mais aussi du côté de l’opposition. Et l’une des conséquences graves que l’on observe aujourd’hui c’est qu’aucune tête n’émerge. Il n’y a quasiment pas d’hommes politiques crédibles ou jouissant d’un certain charisme pour prendre la relève du système et conduire une transition politique. A cela il faut ajouter aussi une perversion de l’économie par la prédation, phénomène encore plus grave pour le pays. Aussi, quelle que soit la solution politique que nous adopterons, nous serons à coup sûr rattrapés par la logique économique.
Madjid Benchikh : Il est important de revenir sur la période Bouteflika. C’est important car on entend souvent répéter cette expression « système Bouteflika », c’est important pour la compréhension et la résolution de la crise par le mouvement populaire par exemple. S’il y a un système Bouteflika comme on l’entend, cela voulait dire que si l’on supprime Bouteflika et ses méthodes d’action et certaines conséquences de ses politiques on aurait réglé une grande partie des problèmes. Or on constate aujourd’hui que Bouteflika est parti avec une partie de sa clientèle et pourtant , le problème reste entier. Et à juste titre, le mouvement populaire demande toujours que l’on dégage le système. Rien n’a changé. En un mot, Bouteflika est le produit du système et ce n’est pas lui qui avait produit le système. Cela veut dire qu’on peut faire partir Bouteflika et ses clientèles du système, mais les problèmes politiques de l’Algérie demeurent entiers. C’est l’armée qui est le centre du système. Donc il y a une crise du système, qui n’est pas due seulement au rejet du 5ème mandat.

Peut-on dire aujourd’hui que l’Armée est revenue au-devant de la scènepolitique ?
Madjid Benchikh : Il ne s’agit pas seulement du retour de l’armée au-devant de la scène. C’est déjà arrivé en 1992 par exemple lorsque Nezzar avait créé le Haut comité d’Etat (HCE). Lorsqu’ils avaient débarrassé Ben Bella qu’ils avaient pourtant ramené, ils sont encore revenus au-devant de la scène. Ils reviennent toujours quand le système est menacé. Depuis 1962, la colonne vertébrale du système est le Commandement de l’armée. A la limite, on peut dire que Bouteflika a fait bouger les lignes du fonctionnement du système, mais dans quelques temps on s’apercevra qu’il n’y avait pas de système Bouteflika, ni une conception de l’Etat ni une vision économique d’ailleurs. Il y avait plutôt une clientèle Bouteflika, des méthodes Bouteflika et de la ruse surtout. Bouteflika dans quelque temps ne sera qu’un épiphénomène, un gaz qui a traversé le système politique, mais ne laissera rien dans l’histoire. Mais le Commandement militaire avec la conception qu’il a ramenée pour diriger le pays de manière autoritaire a véritablement imprimé au pays un système qui sera extrêmement difficile à éradiquer.

Revenons au mouvement populaire, pourquoi ne parvient-il pas à se structurer ?
Belaïd Abane : Ce n’est pas un mouvement homogène. C’est un agglomérat de toutes les tendances sociales, politiques et idéologiques de la société. Il y a seulement unanimité autour des revendications, à savoir le départ de Bouteflika d’abord et celui du système par la suite.
Le Hirak est décrit comme un mouvement vertueux et idyllique, doué de capacités révolutionnaires intrinsèques. Si on s’en tient à cette définition, on ne peut pas comprendre ce qui est en train de se passer dans le pays. Car tout porte à croire qu’il y a des choses qui se passent dans les profondeurs du Hirak. Des forces profondes qui échappent au contrôle étatique et militaire et qui agitent en profondeur le mouvement avec des objectifs bien précis, ciblant le système certes, mais aussi l’état-major de l’armée.
Madjid Benchikh : Ce que l’on voit, c’est la conséquence de l’oppression subie par le peuple depuis des décennies. Il n’y a pas de structure parce que le système et les décideurs d’hier et d’aujourd’hui ont empêché toutes formes d’organisation de la société. Le système a annihilé toute forme d’organisation de la contestation, qu’elle touche les associations, les syndicats ou les partis politiques, ou les intellectuels et l’université. L’oppression, la répression, le contrôle de la société s’exerçaient à tous les niveaux. Le Commandement militaire a mis en place un instrument efficace pour accomplir ce travail d’assèchement de toute possibilité d’organisation de la société. C’était d’abord la Sécurité militaire, puis le DRS. Autrement dit, depuis des années on désespérait de voir apparaître une force capable de mener des luttes. Aujourd’hui, par Internet et des moyens de communication et d’organisation modernes, le peuple algérien a secrété des forces qui ont pu s’organiser de cette manière imparable. C’est une méthode d’organisation géniale que même l’appel de l’état-major de l’armée ne réussira pas à vaincre.

Belaïd Abane : Je suis d’accord sur le fait que le DRS ait perverti toute la vie politique du pays. Tous les partis sont infiltrés. S’il est vrai que le terreau est bon, voire excellent pour que la graine de la contestation prenne, parce que le pays a été abîmé, il n’en demeure pas moins que le Hirak n’est pas un mouvement spontané et organisé en lui-même.
Pour qu’un mouvement de cette ampleur scande les mêmes slogans, arbore les mêmes pictogrammes et les mêmes mots d’ordre précis et sophistiqués, dans les quatre coins du pays, c’est qu’il y a une intelligence et même de l’argent derrière. Je l’ai déjà dit, ce sont les anciens réseaux de l’ex-DRS estourbis en 2014 qui ont eu le temps de se réorganiser pour 2019 pour tenter de récupérer leur pouvoir et leur influence sur la marche de la société. La neutralisation de Toufik et de Tartag en est l’une des preuves.
Madjid Benchikh : Je ne suis pas d’accord, car créditer les anciens du DRS de cette formidable force de mobilisation et de manipulation des foules serait discréditer ce formidable élan populaire. On n’a aucune preuve que l’étincelle soit venue des anciens du DRS et d’un homme failli et dépossédé même de ses amis.

Quels sont les objectifs et les perspectives à court et moyen terme du Hirak ?
Belaïd Abane : On ne le sait pas, mis à part cette unanimité autour du départ de Bouteflika et du système qu’il avait mis en place. Pour le moment il y a quelques initiatives corporatistes (avocats, médecins, étudiants…), mais rien d’autre, ni partis ni projets politiques ne sont sortis de cette dynamique. Comme si on était en attente de quelque chose, ou que quelque chose mûrisse.
Madjid Benchikh : Il faut être patient. Nous sommes face à un système qui dure depuis 57 ans. Le maître-mot aujourd’hui, c’est qu’il faut mobiliser le maximum de gens sur la revendication principale : dégager le système. On doit continuer sur cette lancée et engendrer d’au-
tres victoires d’étapes. En attendant, il y a un certain nombre de points qui sont récla
més par le soulèvement populaire contre le Premier ministre actuel nommé par Bouteflika, contre le chef de l’Etat lui-même entré au Sénat par le biais d’une institution qui est par nature une insulte à la démocratie, c’est-à-dire le tiers présidentiel. Autrement dit, il y a des méthodes d’action, qui sont celles d’aujourd’hui qu’on peut améliorer en vue de mûrir les revendications et de dégager des leaders.

Un dialogue est-il possible entre l’institution militaire et d’éventuels représentants du Hirak ?
Belaïd Abane : Oui, bien sûr, mais à condition que le Hirak engendre des courants, des idées, des partis et des personnalités. A condition aussi que l’armée le veuille. Mais l’armée, doit avant tout soigner sa communication. Elle doit donner d’elle-même une image dynamique et impeccable à l’intérieur et vers l’extérieur. Car il s’agit aussi d’une grande bataille de communication. Nous ne sommes pas en guerre Dieu merci, mais la situation est extrêmement compliquée et délicate. L’armée doit tenir un discours de raison et de conciliation et convaincre que ce qu’elle veut, c’est de contribuer au renouveau national et à l’enracinement de la démocratie. Elle doit communiquer de manière horizontale ; il n’y a pas une armée qui commande et un peuple qui obéit. Il faut que de jeunes communicants fiers de leur uniforme militaire s’adressent au peuple en arabe, en tamazight et le cas échéant en français, et en anglais si nécessaire car il y va de son image et de sa crédibilité internationale.
Madjid Benchikh : L’analyse du rôle de l’armée aujourd’hui revient à analyser sa place dans le système politique en Algérie. En termes politiques, l’armée est aujourd’hui seule dans le paysage politique. Il y a d’un côté un soulèvement populaire qui n’est pas dans le système et il y a l’armée qui porte le système, surtout en temps de crise. Dans ces conditions, le verbe « je ne fais pas de politique » brandi par le Commandement militaire, c’est une manière de dégager en touche. Et pourtant, c’est elle qui fait les rois et tout le monde le sait. Elle maintient une fiction politique. C’est grave.

En faisant ce qu’elle fait, l’armée joue-t-elle son rôle constitutionnel ?
Madjid Benchikh : La Constitution algérienne est triturée à leur guise, donc il est difficile de parler de son respect. C’est des faux-fuyants constitutionnels. On a toujours piétiné cette Constitution.
Dernièrement, lorsque Bouteflika a annulé l’élection, c’est anticonstitutionnel. Alors qu’est-ce qu’on vient raconter à ce propos pour trouver un subterfuge et ne pas avancer vers une transition démocratique. La place de l’armée encore une fois, c’est celle qui résulte de son coup de force en 1962 et qui s’est perpétué au long des décennies.
Elle est au centre du système.
Quand elle intervient, ce n’est pas pour ramener la démocratie, mais pour maintenir en place le système et le sauver.

Avec l’article 102, on tient à ce que le système perdure. C’est donc toujours une espèce de voile qu’on jette sur la réalité pour présenter une version qui ferait apparaître l’armée comme quelqu’un qui vient au secours des revendications populaires. Il y a comme un cafouillis de contradictions dans le discours de l’armée. Cette dernière doit trouver des solutions à la crise, elle doit prendre des initiatives et dialoguer avec des personnalités du monde syndical et de la société civile. Il faut enclencher le dialogue pour ne pas compliquer les choses plus qu’elles ne le sont. Il ne faut pas exiger d’un mouvement populaire non structuré de se faire hara-kiri en créant une organisation artificielle, car ce serait la mort du soulèvement populaire.
Belaïd Abane : Il y a une différence fondamentale entre l’armée de 1999 et celle d’aujourd’hui. Celle des années 1990 incarnée par une quinzaine de généraux, agissait comme un cabinet noir. L’armée d’aujourd’hui est visible, elle est comptable de ses paroles et de ses actes.
Le Commandement militaire agit de manière transparente et consensuelle. L’itinérance du chef d’état-major à travers les Régions militaires est sans doute une manière de resserrer les rangs et les allégeances autour de sa personne. Car en temps de crise, le risque le plus grave est qu’il y ait atteinte à la cohésion et à l’unité de l’armée et du Haut Commandement. C’est ce qu’il faut redouter par-dessus tout. Quant à Gaïd Salah, son rôle c’est d’apparaître comme un militaire qui respecte la Constitution jusqu’au bout. C’est inédit qu’un peuple refuse une solution constitutionnelle et que l’armée s’y accroche. Je ne pense pas qu’il ait des velléités putschistes de la part de Gaïd Salah. Il a une patate brûlante entre les mains qu’il a envie de refiler au plus vite à un pouvoir civil. Il ne le fait pas encore parce qu’il ne veut pas lâcher la proie pour l’ombre. Tant qu’une solution politique ne se profile pas, il veut continuer à chevaucher la Constitution. S’il en descend il craint au surplus de perdre la main sur l’évolution des choses au profit de ses adversaires qui guettent le moindre faux pas. La solution politique et la période de transition s’imposeront d’elles-mêmes quand le processus constitutionnel actuel s’épuisera sans résultats comme tout le laisse croire.

Justement, l’élection du 4 juillet est officiellement annulée par le Conseil constitutionnel. S’achemine-t-on vers la transition politique et comment voyez-vous la solution?
Belaïd Abane : Bien évidemment qu’il faudra aller vers la transition politique. Si on persiste à croire que le problème du pays est d’élire un président on commet une erreur lourde de sens pour l’avenir du pays. Il ne suffit pas de décorer la tête du diable d’un nouveau chapeau pour en faire un ange. L’armée doit évidemment s’impliquer pour accompagner, faciliter et protéger le Hirak et la transition. Et il faudra surtout qu’elle impulse l’émergence d’un Directoire national de transition (DNT) de cinq personnes consensuelles comprenant un officier supérieur désigné par ses pairs du Haut Commandement, auxquels seront confiés tous les pouvoirs d’Etat. Le pays ne se remettra sur les rails que s’il est doté d’une Haute autorité politique au-dessus de tous, y compris de l’armée. Bien sûr, ce DNT ne sera pas porteur d’un projet politique, mais seulement d’une feuille de route : nomination d’un gouvernement technocratique, dissolution de l’APN, suppression définitive du Conseil de la nation, élaboration d’une charte politique à soumettre à référendum, organisation d’élections législatives, création d’une Haute commission de réforme constitutionnelle pour redéfinir les pouvoirs présidentiels ou poser les bases d’un nouveau régime politique parlementaire… On voit bien qu’il s’agit d’une refondation de l’Etat et de la nation et qu’il faudra une période de transition d’au moins deux ans si on ne veut pas bâcler les choses. Ceux qui trépignent pour aller vite à la présidentielle ne cherchent qu’à satisfaire leur ambition politique.
Madjid Benchikh : Le communiqué du Conseil constitutionnel pour annoncer que l’élection du 4 juillet n’aura pas lieu montre une méconnaissance grave de la Constitution. Celle-ci ne l’autorise pas à envisager une autre date d’une autre élection et encore moins à proroger tacitement le mandat de l’actuel chef d’Etat intérimaire. Une Constitution n’est pas un self-service où se servent les détenteurs du pouvoir. C’est à croire qu’ils ne consultent même pas les juristes de leurs services. En fait, cela montre surtout un attachement quasi maladif à un système bloqué qu’ils veulent sauver vaille que vaille. L’annulation de l’élection du 4 juillet, tout en étant une victoire du soulèvement populaire, devrait au contraire ouvrir les portes d’un dialogue entre d’une part les représentants honnêtes et crédibles du système et ceux qui soutiennent le changement du système et le départ de ses symboles.
Mais pour cela il faut une volonté politique émanant de l’état-major. Je pense que les tenants du système continueront dans la fiction comme d’habitude, mais ce n’est pas une manière de répondre à une crise politique profonde. Ils doivent approcher des personnalités qui ont épousé sincèrement les revendications du soulèvement pour prendre langue avec eux, à défaut de négocier, pour s’acheminer vers des solutions politiques. Sinon, on ira d’impasse en impasse en s’attachant à une Constitution qui a été faite par un système pour sa protection, et pas pour «dégager» ce système. Il n’y a pas de scène politique en Algérie, elle a été esquintée par l’emprise du Commandement militaire sur la vie politique. La grande difficulté d’une période de transition c’est que d’une part le soulèvement populaire veut qu’on aille vers un système démocratique, et que le Commandement militaire veut sauver son emprise sur le système autoritaire. Il y a un accord assez large aujourd’hui parmi les différentes propositions qui sont faites qu’il faut créer quelques instances pour assurer la transition démocratique. Mais le Commandement militaire n’a jamais pris d’engagement ni sur l’organisation d’une transition démocratique ni sur les instances qui doivent l’organiser. Ces instances comme l’instance présidentielle, le gouvernement de compétences, une instance d’organisation et de contrôle d’élections libres et honnêtes sont demandées par beaucoup. Il faut surtout que l’état-major dise clairement qu’il veut aller vers une transition démocratique. Au lieu de réprimer les manifestants chaque vendredi et chaque mardi, il faut prendre des mesures politiques de libération des scènes politiques, associatives et médiatiques. La politique actuelle des télévisions publiques indique le véritable projet politique et la véritable nature du système recherché par le Commandement militaire.

Quelle lecture faites-vous des dernières arrestations effectuées dans le cadre de l’opération dite « mains propres » ?
Belaïd Abane : Je ne pense pas que le mouvement populaire boude le plaisir de voir le duo Saïd-Toufik neutralisé. Ces deux-là agissaient dans l’opacité pour sauver Bouteflika et son régime et pour rien d’autre. L’opération « mains propres » a également le mérite ne serait-ce que celui-là, de montrer à quel point le mal était profond. On comprend maintenant que ce grand pays qu’est l’Algérie n’ait pas pu réellement décoller pour devenir un pays émergent. Ceci dit il y a dans cette opération, un peu de symbolique et l’illusion du changement. Illusion, car ce n’est pas avec l’ancien appareil judiciaire que l’on va réellement assainir la situation économique.
Madjid Benchikh : Je suis d’accord, car il faut une justice indépendante pour mener à bien la lutte contre la corruption. Tant qu’on n’a pas une justice indépendante, je crains qu’on parle ici et là de clientèles dont l’une a vaincu l’autre.

Est-ce qu’il y a des facteurs extérieurs qui pèsent sur le mouvement en Algérie ?
Belaïd Abane : L’Algérie est un pays hautement stratégique par ses ressources naturelles, sa puissance militaire, sa position géographique dans le Bassin méditerranéen, et son positionnement vertueux en matière de politique étrangère. Donc, il est impensable d’imaginer que toutes ces influences extérieures qui se sont exercées sur la Tunisie, l’Egypte, la Syrie, l’Irak…détournent le regard de ce qui se passe en Algérie.
Je veux attirer l’attention de mes compatriotes pour qu’ils ne tombent pas dans les pièges et évitent les réactions pavloviennes, en gardant leur libre arbitre et en ne perdant jamais de vue l’intérêt suprême du pays. Ceci dit, les Algériens ne sont pas prêts à avaler n’importe quelle couleuvre d’importation.
Madjid Benchikh : Moi j’ai vu longuement le mouvement associatif dans le cadre de réunions dans plusieurs villes du pays et notamment à Alger, et je n’ai jamais vu de main étrangère. On l’a invoquée avant même qu’on soit au troisième vendredi de contestation. Si c’était le cas, il fallait tout de suite la désigner pour que le peuple soit éveillé et de ce fait je crains qu’il n’y ait aucune main étrangère qui interfère dans le mouvement populaire algérien. Et je m’en réjouis. J’estime qu’on devra continuer comme ça et de rester tout de même vigilant. Ceci étant, l’Algérie est un pays très important qui a des ressources humaines et matérielles, sans parler de son étendue géographique et des conflits qui l’entourent. Dans tous les conflits qui existent, il y a toujours des puissances étrangères qui veillent à leurs intérêts et qui s’intéressent de près à l’évolution des systèmes politiques dans les pays où ils ont des intérêts. Il va de soi que compte tenu de ces situations, le peuple algérien veille à son indépendance. Le maître-mot du soulèvement populaire est la non-ingérence dans les affaires internes de l’Algérie.

M. Abane que répondrez-vous à ceux qui disent que vous soutenez l’armée alors que vous avez souvent exprimé votre opposition à tout hégémonisme militaire ?
Belaïd Abane : Je suis très à l’aise sur ce point. Pour moi effectivement, il est fondamental que l’armée soit tenue à distance de la politique et qu’elle se contente d’assumer ses missions constitutionnelles, et que celles-ci : la défense de la nation et du territoire sous l’autorité d’un pouvoir civil issu de la souveraineté populaire. Cela je le répéterais mille fois si c’était nécessaire. Mais nous sommes dans une situation critique qui peut dégénérer du jour au lendemain. L’armée est là comme clé de voûte du système et on ne peut débloquer la situation sans son impulsion. Il est fondamental d’appliquer le principe de réalité si on veut aller de l’avant et surtout si on veut que l’armée retrouve ses casernes. Donc, si on s’en tient à cette revendication irréaliste que l’armée doit «dégager» elle aussi, vers quel inconnu ira le pays ? L’armée doit jouer son rôle d’accompagnateur de facilitateur et exaucer sans faux-fuyants la volonté souveraine du peuple qui s’exprime chaque vendredi pour la fin du système. Sans cela, l’Algérie s’enfoncerait dans une crise sans fin propice à toutes les dérives.

Pourquoi refusez-vous le nom Hirak M. Benchikh ?
Madjid Benchikh : Non je ne le refuse pas. Dans mes conférences à Alger, notamment avec des jeunes, je disais que le mouvement du 22 février qui avait effectivement bougé, et après plusieurs manifestations sectorielles, est devenu un «soulèvement», car il s’agit d’un peuple qui se met debout, et en se mettant debout, il y a une revendication et presque une obtention de sa dignité et dès lors il se place d’emblée dans une revendication de droit humain et de liberté démocratique.
En se mettant debout, on revendique un régime, un système politique démocratique. Comme quoi le mot «soulèvement » répond mieux à la situation actuelle
 

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