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Tahar Khalfoune, affilié à l’université Lyon 3, à L’Expression

«Ce que la diaspora algérienne doit à la crise»

Tahar Khalfoune, juriste, affilié à l’université Lyon 3, est l’auteur des ouvrages «Repenser l’Algérie dans l’Histoire» et «Le Domaine public en droit algérien: réalité et fiction». Il est signataire de
« L’appel d’intellectuels et d’universitaires algériens établis à l’étranger », le 7 mars dernier. Tout le long de cette interview, l’universitaire décortique la question du rôle de l’émigration en général et de l’élite en particulier au cours des crises et des grands mouvements que traverse l’Algérie, aujourd’hui, comme hier.

L’Expression : Depuis le Mouvement populaire, on assiste à la mobilisation des Algériens établis à l’étranger en général, mais de la diaspora en particulier. Qu’en est-il du concret ?
Tahar Khalfoune : Effectivement, les Algériens à l’étranger se mobilisent depuis le déclenchement de ce soulèvement le 16 février d’abord à Kherrata, puis le 19 février à Khenchela avant de s’étendre à tout le pays enfin le 22 février. Depuis, nous assistons en France à la mise en place de collectifs dans toutes les grandes villes et, particulièrement, à Paris où la mobilisation est très massive.
Une coordination nationale de ces collectifs est en passe de se mettre en place. La diaspora algérienne en France et, plus largement, en Europe et en Amérique n’est pas en reste, par sa mobilisation, elle amplifie largement l’écho et l’image de ce mouvement dans le monde.

Y a t-il des cercles organisationnels, associatifs, des forums, des colloques etc. ... consacrés à la crise algérienne, à l’étranger, comme cela se fait en Algérie ?
La diaspora est organisée, elle compte des milliers d’associations sous le statut juridique de la loi de 1901. Dans la région Rhône-Alpes, à titre d’exemple, il existe près de 300 associations agissant dans différents domaines socio-culturels et humanitaires. Certaines sont autonomes et d’autres proches des différents consulats d’Algérie. L’ex-Amicale des Algériens en France, puis en Europe, a exercé pendant longtemps un contrôle politique strict sur l’immigration.
L’influence de l’ancienne Amicale se fait encore sentir à travers un tissu d’associations. Certains élus locaux sont, d’ailleurs, invités, pour ne pas dire convoqués aux consulats pour des «séances de sensibilisation», ils sont même invités et pris en charge parfois à Alger et accompagnés à Tindouf pour visiter les camps des réfugiés du Polisario. En Rhône-Alpes, les réseaux du consulat ont agi pour diviser les différents collectifs qui se sont constitués dès le début du soulèvement en février pour empêcher une forte mobilisation. Quant aux forums, conférences et colloques sur l’Algérie, ils sont souvent initiés par des associations et universités françaises. Parmi ces colloques, je peux citer, à titre d’exemple, le colloque organisé à la Sorbonne en mars 1992, conjointement par la Ligue de l’enseignement, l’Institut du Monde arabe et l’Institut Maghreb-Europe «La mémoire et l’enseignement de la guerre d’Algérie». La tenue en 1995 d’un colloque sous le thème «juger en Algérie», sous l’égide de l’École nationale de la magistrature. Le colloque de décembre 1997 tenu à l’IUFM de Lyon avec la collaboration de l’université Jean Moulin, Lyon 3, l’université Lyon 2 et la maison de l’Orient méditerranéen sur le thème «La crise algérienne : enjeux et évolution». Le colloque organisé en mars 1999 par l’université de Nancy 2 sur «Les représentations culturelles et politiques dans la société algérienne d’hier et d’aujourd’hui».
Le colloque de deux jours organisé en octobre 2002 à la Bibliothèque nationale de France conjointement par l’Association française pour l’histoire de la justice, la Mission de recherche Droit et Justice et la Bibliothèque nationale de France, avec le concours du service des Archives du ministère de la Justice «Droit et Justice en Algérie XIXème et XXème siècles». Le colloque à la Sorbonne en novembre 2002 avec la contribution de 40 chercheurs, en l’honneur de Charles-Robert Ageron «La guerre d’Algérie au miroir des colonisations françaises». Le colloque à l’ENS Lettres et sciences humaines de Lyon : pour une histoire critique et citoyenne, au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire, les 20, 21 et 22 juin 2006… Et la liste est longue.
L’association Forum de solidarité euroméditerranéen (Forsem), dont je suis membre, organise régulièrement des conférences sur l’Algérie et sur d’autres pays de la rive sud de la Méditerranée. Le Forsem a organisé le 5 avril 2013 à l’ENS de Lyon un colloque sur « L’Algérie d’hier à aujourd’hui : quel bilan ? », dont les actes ont été publiés aux Éditions Bouchene, Saint-Denis, 2014.

La diaspora algérienne ne souhaite-t-elle pas s’associer aux projets de sortie de crise qui se proposent par-ci etpar-là ?
Rien n’empêche, à ma connaissance, la participation des représentants d’associations, de collectifs, d’universitaires… de la diaspora à un dialogue sérieux s’il est engagé dans les prochains jours ou semaines pour qu’ils puissent contribuer à la recherche de solutions à la crise du régime. Si le dialogue est ouvert, l’immigration y prendra part sans aucun doute par ses représentants.

Avant la décennie noire, durant et après, l’Algérie s’est vidée de ses cerveaux. Ils sont des centaines de milliers en Europe, au Canada, aux USA, au Moyen-Orient. Ces Algériens ne font-ils pas défaut au moment de cette révolution que l’on observe?
Historiquement, l’exode des Algériens vers la Métropole est lié à l’insurrection des cheikhs El Haddad et Mokrani en 1871 et la dépossession foncière à grande échelle qui s’en est aussitôt suivie. Il s’agit d’une immigration de main-d’œuvre qui travaillait dans les raffineries et huileries de Marseille avant de s’étendre vers Lille et Paris. Après la Grande Guerre, 350.000 travailleurs algériens avaient rejoint la Métropole.
L’exil des Algériens en France est né donc de la violence coloniale, et l’indépendance du pays n’a pas entraîné son interruption à cause des conditions économiques et sociales difficiles de 1962. Il s’est prolongé jusqu’en 1974 avant que le gouvernement français décide de suspendre l’immigration de travail. Et dès le début de la décennie 1990, l’Algérie a connu des vagues d’émigration massives sans précédent : universitaires, médecins, ingénieurs, économistes, entrepreneurs, juristes, informaticiens… ont dû quitter le pays pour s’installer en France, au Québec, aux États-Unis, en Espagne, en Belgique, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni… Si le monde académique semble avoir le plus participé à cet exode massif, tous les secteurs en ont souffert.

Quel est le secteur le plus touché selon-vous ?
L’hémorragie de cadres concerne particulièrement les médecins ; près de 18.000 médecins algériens exercent présentement en France. Mais la migration des compétences ne touche qu’une minorité de cadres qualifiés, l’essentiel des cadres n’a pas fait ce choix et est resté au pays.
Il est évident que de nombreuses compétences nationales ont choisi pour diverses raisons (familiale, professionnelle, sociale…) d’y rester. Cette importante question de la migration des compétences n’a jamais été une préoccupation majeure des pouvoirs publics. Les compétences établies à l’étranger ne doivent pas être regardées comme une perte irrévocable pour le pays, mais bien comme une réserve d’expertises qui peut être utile pour l’Algérie. Le Maroc et la Tunisie sont dans cette perspective. Même si ces compétences se trouvent aujourd’hui hors du pays, elles soutiennent dans leur écrasante majorité ce soulèvement citoyen.

À s’en tenir à l’histoire, il nous est enseigné que la diaspora était l’un des moteurs à l’origine du Mouvement national, de la guerre de libération, des décennies postindépendance. Qu’en est-il de votre analyse ?
Rappelons d’abord que c’est bien dans l’immigration à Paris qu’est née la branche radicale du Mouvement national (ENA, PPA-MTLD) et l’immigration était le poumon de la guerre d’indépendance. L’immigration a toujours répondu aux appels du pays quand le besoin se faisait sentir. Sur le plan économique, notons que plus de 70 % des touristes sont des immigrés, ce qui témoigne de son importance dans la croissance de ce secteur de l’économie. Elle pourra être d’un grand apport à l’économie et dans d’autres secteurs lorsque les conditions d’accueil et d’investissement seront plus saines et plus favorables. L’Algérie est très mal classée sur la question du climat des affaires par la Banque mondiale.
La diaspora algérienne en France, en Europe ou en Amérique s’organise et se mobilise tous les dimanches depuis quatre mois pour soutenir les Algériens en lutte, exigeant un changement de régime. Pour preuve, les différentes marches et rassemblements qui se tiennent tous les samedis ou dimanches dans différentes grandes villes de France (Paris, Marseille, Lyon…), notamment l’imposante marche du dimanche dernier à Paris rassemblant des dizaines de milliers de manifestants dans la bonne humeur brandissant le drapeau national et l’emblème amazigh de la place de la République à la place de la Nation. Cette marche administre la preuve que la mobilisation n’a pas faibli, malgré quatre mois de soulèvement.
L’une des difficultés rencontrées aujourd’hui par les collectifs d’Algériens tient au fait que ce sont les Algériens d’Algérie arrivés en France à partir de la décennie 1990 ainsi que les harraga qui se mobilisent alors que les Algériens de France sont très peu nombreux dans les manifestations, notamment les jeunes. Les collectifs ont beaucoup de mal à mobiliser dans les quartiers nord de Marseille, de Vénissieux et de Vaulx-en-Velin à Lyon.

Ne pensez-vous pas qu’il y a une certaine méfiance, voire une rupture qui est entretenue entre le peuple et ses élites intellectuelles et politiques ? Quelle est votre vision de cette élite ? La génération de 1980 qui a lutté pour une démocratie algérienne ne pourrait-elle pas encadrer ce nouveau mouvement ?
Je ne pense pas qu’une rupture entre le peuple et ses élites intellectuelles et politiques existe.
La police politique s’est appliquée depuis 1962 à empêcher l’émergence de toute personnalité, parti, intellectuel, syndicat, association… qui soit crédible aux yeux des Algériens.
Comme dans tout régime autoritaire, l’on commence souvent par affaiblir, voire supprimer les corps intermédiaires.Une relation directe doit s’imposer entre la population et le chef et rien ne doit venir s’interposer entre ces deux entités. Quant à la génération d’avril 1980, certains animateurs du printemps berbère, comme Djamel Zenati et d’autres, sont présents dans le mouvement et c’est heureux, parce que leur expérience dans les luttes politiques peut être très utile au succès de ce mouvement.

Les Algériens semblent refuser les anciens partis politiques qu’ils soient proches du pouvoir ou d’opposition. Cela n’encourage pas la fondation de nouveaux partis avec de nouveaux leaders sur de nouvelles bases...
La société algérienne ne rejette pas les partis, qu’ils soient d’ailleurs anciens ou récents, à l’exception des partis qui font partie de l’alliance présidentielle et qui ont soutenu Bouteflika pour un Ve mandat. Aucune société ne fonctionne sans partis, sauf dans les régimes totalitaires où les corps politiques intermédiaires en sont écartés. Ce sont plutôt les élites dirigeantes algériennes qui sont hostiles au multipartisme et son corollaire l’alternance. Depuis 1962 tout a été fait pour interdire les partis, puis les asphyxier encore aujourd’hui. La démocratie, les droits de l’homme, le multipartisme et son corollaire l’alternance au pouvoir ne font pas partie de l’ADN politique de Bouteflika, Boumediene et des hauts responsables de l’armée. Interdit d’abord pendant près de trois décennies, le multipartisme est plus toléré que reconnu depuis la Constitution de février 1989. Par des techniques diverses (divisions, infiltration, manipulation, irrégularités entachant systématiquement les scrutins, notamment législatifs et présidentiels…), il est transformé en multipartisme de façade, impuissant à satisfaire les attentes légitimes des citoyens et à transformer la nature militaire et autoritaire du régime. Le coup d’État de janvier 1992 fut perpétré contre le multipartisme et son corollaire l’alternance au pouvoir. L’état d’urgence décrété en février 1992, normalement pour une durée d’un an, mais qui n’a été levé formellement qu’en février 2012, alors que les restrictions et les verrouillages ont encore la vie dure. Ce régime juridique est par définition restrictif des libertés publiques, empêchant les partis de fonctionner normalement, car il confère au ministre de l’Intérieur le pouvoir de suspendre toute association ou parti politique dont les activités sont jugées susceptibles de «porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité de l’État, au fonctionnement normal des institutions ou aux intérêts supérieurs de la nation»[1]. Circonstances servant souvent de prétexte au ministère de l’Intérieur pour opposer un refus quasi systématique aux différentes demandes d’agrément de nouveaux partis ou d’organisation par l’opposition des manifestations publiques. Rappelons que les marches à Alger étaient interdites jusqu’à ce soulèvement citoyen qui sème l’espoir d’un vrai changement démocratique dans notre pays.

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