Le professeur Djamel Eddine Nibouche, à L’Expression
«Le Covid-19 prend des allures d’endémie»
Dans l'entretien qu'il nous a accordé, le professeur Djamel Eddine Nibouche, revient sur la crise sanitaire, évoque la nature du Covid-19 qui, dit-il, n'est visiblement pas saisonnier.
L'Expression: Quelle appréciation faites-vous de la gestion par les pouvoirs publics de la pandémie de Covid-19?
Professeur Djamel Eddine Nibouche: Il faut d'abord bien définir ce qu'est cette pandémie. C'est une nouveauté en matière d'infectiologie. Un virus est apparu avec un taux de mortalité très élevé. C'est ce facteur qui a donc donné la gravité extrême à cette maladie. Le 2e point, tient à sa contagiosité. Cette maladie s'est propagée très rapidement. Propagation rapide et mortalité élevée, nous mettent devant une situation nouvelle, dans le monde entier et notamment en Algérie. Nos scientifiques ont été surpris par la complexité de cette pandémie et les gouvernants se sont évidemment basés sur les données des experts scientifiques pour mettre en place la parade. Je pense qu'en Algérie, le virus est venu avec un peu de retard par rapport à certains pays, comme l'Italie ou la France. Donc on a vu venir le danger. Nous avons pris des décisions courageuses, à travers des mesures très précoces, dont la fermeture des écoles, la suspension des transports aérien, maritime et terrestre. Ces mesures ont été très bénéfiques sur la diminution de la propagation du virus dans la société.
La bonne gestion des pouvoirs publics explique-t-elle, à elle seule, les chiffres de l'épidémie?
Les experts du monde entier ont été surpris par la lenteur de l'évolution de l'épidémie dans les pays du Sud. Pour ma part, et je l'ai dit au début de l'épidémie, j'estime qu'il existe un gradient Nord-Sud. Il faut savoir que le profil épidémiologique des pays du Nord est très différent de celui des pays du Sud. On a annoncé pour l'Algérie, une évolution exponentielle. Dans pareils cas de figure, tous les moyens sanitaires déployés, sont dépassés très rapidement. C'est ce qu'ont subi les pays les plus développés. Ce scénario, heureusement pour nous, ne s'est pas réalisé en Algérie. Mais personne ne pourra vous dire, scientifiquement parlant, pourquoi il y a ce gradient Nord-Sud.
Chaque expert y va de son explication par rapport à cette maladie. Certains prédisent la fin de la pandémie avec l'arrivée de l'été. Avez-vous une opinion sur la question?
Ce virus ne peut pas être comparé au virus grippal, parce qu'il n'a pas du tout le même profil. Est-il saisonnier ou pas? Moi je pense qu'il n'est pas saisonnier. Force est de constater que la pandémie est en train d'évoluer vers une endémie chronique. C'est-à-dire que le virus ne disparaîtra pas. De fait, nous ne sommes plus à l'état de l'épidémie, mais dans celui de l'endémie mondiale. Aucun pays au monde n'a pu se débarrasser de ce virus. On avait misé sur le confinement pour ralentir l'épidémie et l'endiguer, mais on s'est aperçu que la situation est beaucoup plus complexe. Le confinement a permis aux pouvoirs publics d'avoir un temps de réaction, mais le virus ne veut visiblement pas disparaître. Rester confiné tout le temps n'est absolument pas une solution. Cela conduit fatalement à un désastre économique mondial.
Avec un virus endémique, la stratégie de lutte doit être adaptée à une situation encore inédite...
Les pays déploient une nouvelle stratégie qui consiste à vivre avec le virus, jusqu'à trouver une solution définitive, qui passera, à mon sens, par la vaccination. Entre-temps, il va falloir gérer l'endémie. à ce propos, l'Algérie a passé une étape cruciale dans la gestion du Covid-19 à ses débuts. Nous sommes présentement à la phase d'état. Nous constatons que la courbe est un plateau. On ne sait pas comment elle va évoluer, de par la nature encore secrète du virus. Le taux de contamination est stable, mais nous savons très bien que beaucoup de malades sont asymptomatiques. D'autres ne consultent pas au début de la maladie. De fait, on ne peut pas comptabiliser le nombre de personnes contaminées. Le dépistage massif n'est pas évident à faire pour des raisons financières. Aucun pays n'a dépisté toute sa population. Cela concerne spécifiquement les populations ciblées, mais aussi, il faut savoir si l'on dépiste une personne qui s'avérera négative, elle pourrait se faire infecter le lendemain. on ne peut objectivement pas renouveler l'opération quotidiennement. Donc l'évolution en plateau ne vaut véritablement que pour le nombre des décès. Le nombre est très bas, c'est excellent, mais la courbe épidémique n'est pas descendante. Donc, nous ne pouvons pas crier victoire, même si le nombre des décès diminue. Il faut dire à ce propos que ce chiffre est la seule statistique réelle et fiable. Concernant l'Algérie, elle est favorable, mais il faut rester très prudent.
Selon vous, la gestion par le confinement est-elle réellement efficace, à voir ce qui se passe un peu partout dans le monde?
Généralement, le Covid-19 ne nécessite pas une prise en charge lourde. La majorité des malades s'en sort au bout de quelques jours, après une médication simple. L'hospitalisation sert surtout à les retirer de leur environnement pour qu'ils ne contaminent plus leur entourage. Par contre, les moyens de réanimation sont coûteux. Actuellement, nous avons très peu de malades qui font des complications graves. Si cette évolution continue de la sorte, elle sera très favorable. Si nous restons à ce taux de mortalité, le Covid-19 tuera beaucoup moins que les accidents de la circulation et que le tabagisme. Son taux de mortalité ne dépassera pas celui d'une grippe saisonnière. Il faut saisir cette situation, qui n'est pas du tout oppressante pour revoir la stratégie de lutte de l'Etat. Le confinement a donné ses résultats et nous le voyons sur la courbe épidémique. Il faut penser à l'après-confinement. Et c'est un très grand point d'interrogation à l'échelle de toute la planète.
