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Abdesselam Ali-Rachedi, ancien ministre, à L’Expression

«Le système est dans l’impossibilité de se régénérer»

Ancien ministre de l’Enseignement supérieur et ancien premier secrétaire du FFS, Abdesselam Ali-Rachedi est un homme politique algérien convaincu.

L’Expression : Le mouvement populaire est toujours vivace, mais reste sans une organisation dirigeante, la classe politique tente de s’organiser et l’armée insiste sur un dialogue avec tous les acteurs et l’organisation d’une élection présidentielle.
Abdesselam Ali-Rachedi : L’apparition du Mouvement populaire avec des manifestations massives tous les vendredis et celles des étudiants tous les mardis, depuis bientôt quatre mois, est le signe que le pouvoir n’a plus de légitimité. En même temps, il témoigne de l’inexistence d’une classe politique digne de ce nom. En tout cas, les partis ont perdu toute crédibilité auprès des citoyens qui ont décidé de prendre eux-mêmes leur destin en main. Ce qu’on appelle Hirak ou Mouvement populaire est en fait un soulèvement spontané et massif contre le régime en place. Il est fait de toute la diversité caractéristique de la société civile, de toutes les composantes de la population algérienne. C’est pourquoi il est absurde d’imaginer une quelconque organisation et encore plus absurde de croire que le Mouvement populaire pourrait désigner des représentants. Si c’était le cas, on ne pourrait le faire valablement que par la voie des urnes. Autant aller directement à la présidentielle dans ce cas. C’est normalement le rôle de la classe politique d’être l’intermédiaire entre la société civile et l’Etat. Or, le régime n’a jamais accepté l’existence d’une véritable classe politique crédible et autonome. Il n’a pas ménagé ses efforts pour l’empêcher en fermant les champs politique et médiatique, de peur de voir son pouvoir contesté. Aujourd’hui que le peuple s’est soulevé, cette classe politique fait cruellement défaut, laissant le pouvoir, incarné aujourd’hui par l’armée, seul face au peuple, sans structures d’intermédiation. C’est d’ailleurs le propre de tous les régimes populistes autoritaires de rejeter toute institutionnalisation du pouvoir et tous les corps intermédiaires. La classe politique issue de l’ouverture de 1989 est aujourd’hui en lambeaux et son rôle ne pourra être que très limité, alors même que se fait sentir un grand besoin d’encadrement du Mouvement populaire.
Quant au dernier point de la question, on peut dire que l’insistance avec laquelle le pouvoir veut, en priorité, la tenue de l’élection présidentielle pourrait laisser croire que le pouvoir a un candidat caché qui se manifesterait au moment opportun. Cette hypothèse est peu plausible. Cela fait au moins deux ans que les décideurs tentaient de se mettre d’accord sur le nom du successeur potentiel de Bouteflika et qu’ils n’y sont pas parvenus. C’est d’ailleurs, pour cette raison qu’en désespoir de cause, ils s’étaient accommodés, faute de mieux, d’un 5ème mandat de Bouteflika. Seulement, trop c’est trop, et le peuple a fini par s’inviter dans le débat.
Le système de pouvoir imposé à notre pays depuis 57 ans repose largement sur la légitimité populiste, le populisme étant autoritaire par nature. Bien qu’apparemment élus, tous les présidents depuis l’Indépendance tenaient leur légitimité du «passé révolutionnaire» et non des urnes. Cette lignée se termine avec Bouteflika et donc aucun candidat n’existe pour lui succéder sur la base de la légitimité nationale populiste. Dorénavant, seule la légitimité démocratique sera reconnue. C’est la raison principale pour laquelle les décideurs n’ont pu trouver un candidat. En fait, c’est tout le système qui se trouve dans l’impossibilité de se régénérer. Le système est dans l’impasse et son insistance à aller très vite à la présidentielle montre qu’il n’a pas compris que l’Algérie doit changer de paradigme. Il tente désespérément de gagner du temps car l’autre alternative, il le sait, qu’on l’appelle rupture, changement ou transition ressemble fort à une exigence de reddition immédiate, symbolisée par le slogan «système dégage !»
Peut-être espère-t-il encore débaucher une personnalité parmi la pseudo-opposition, mais l’hypothèse semble faible au vu de la force de mobilisation du Mouvement populaire. Car un pouvoir contesté dans la rue, chaque vendredi, par des millions de citoyens, sur la totalité du territoire national n’a plus aucune légitimité, sans compter que la contestation pourrait se durcir encore plus à l’avenir. En réalité, le pouvoir a déjà perdu la partie, mais il ne le sait pas encore.

Le chef du commandement militaire assure qu’il mènera une guerre ferme contre les auteurs de la corruption et veillera sur l’indépendance de la justice. Qu’en pensez-vous, notamment au regard des personnes arrêtées ?
Quoi qu’on puisse en penser, le chef d’état-major ne peut pas interférer avec la justice, du moins légalement. Il peut par contre veiller à l’indépendance de la justice en se portant garant de la sécurité des magistrats face aux méfaits des puissants. Ceux qui, hier, usaient et disposaient de l’appareil judiciaire sont pour la plupart hors-jeu quand ils ne sont pas purement et simplement incarcérés. Cette «guerre ferme contre les auteurs de la corruption», comme vous dites, est d’abord une victoire du peuple qui a crié sa colère en promettant aux corrompus qu’ils rendraient compte.

Que faut-il penser du fait que des personnalités ayant occupé de hautes fonctions dans la sphère politique, économique et sécuritaire aient été arrêtées ?
Plusieurs observations pourraient être faites au fur et à mesure que les chefs d’inculpation sont rendus publics. La première est que, même si on se doutait bien que la corruption était l’une des constantes du régime, on était loin d’imaginer l’ampleur de cette corruption et son emprise sur l’Etat, à tel point qu’on avait l’impression qu’une mafia s’était approprié l’Etat. La deuxième, c’est une similitude frappante des situations des prévenus donnant l’impression d’un véritable système organisé, voire voulu par les décideurs qui entretenaient des clientèles douteuses pour mieux consolider leur pouvoir. La troisième est que, au cours du règne de Bouteflika, la justice avait été empêchée d’agir et que l’impunité était quasi garantie par la compromission des politiques dans ce jeu malsain.

Le peuple va-t-il se satisfaire des dernières arrestations ?
Le Mouvement populaire a applaudi ces arrestations qui ont été clairement ressenties comme une victoire appréciable. Cependant, le Mouvement populaire ne pourrait se satisfaire de ces premières arrestations aussi spectaculaires qu’elles puissent paraître. Pour les manifestants, tous les voleurs qui ont pillé impunément le pays doivent rendre compte et la liste est encore longue. Mais le Mouvement populaire réclame aussi et surtout le départ du système qui a permis à cette mafia d’exister. Il veut un changement radical, c’est-à-dire un changement de système et pas seulement un changement d’hommes.

Quelle interprétation politique donnez-vous à toutes ces arrestations?
Normalement, la justice est un pouvoir indépendant et n’a pas à obéir à des considérations politiques. Je n’ai donc aucune interprétation politique de ces arrestations. A ma connaissance, ceux qui sont poursuivis le sont sur la base de faits délictueux, voire criminels, et toute autre interprétation est pure spéculation. Le fait que des hommes politiques soient poursuivis ne fait pas d’eux des prisonniers politiques. Ceux qui prétendent le contraire sont d’une mauvaise foi évidente. La seule question qui interpelle est comment et par qui la justice a-t-elle été empêchée jusqu’ici d’accomplir sa mission.

Peut-on réellement éradiquer la corruption rien que par des actions en justice ?
La réponse est clairement non. La justice, comme chacun sait, punit après la commission des faits et ne peut agir de manière préventive. Pour tenter d’éradiquer la corruption, ou du moins la réduire au maximum, il faut intervenir en amont. Dans un contexte où l’Etat de droit est inexistant, dans un régime autoritaire, il y a un fort sentiment d’impunité qui pousse naturellement certains responsables à s’adonner à la corruption. De même, une économie rentière, fortement dépendante de l’administration, crée un climat favorable à la corruption. Donc, pour venir à bout de ce fléau, sans prétendre l’éradiquer totalement, il faut un Etat de droit et veiller à la limitation du pouvoir en mettant en place des contre-pouvoirs efficaces. Il faut aussi bannir toute forme d’intervention de la bureaucratie dans la sphère économique.

Quelle lecture faites-vous des deux derniers discours du chef d’état-major ?
Il n’y a pratiquement pas d’éléments nouveaux dans ces deux dernières interventions. Le chef d’état-major ne fait que réitérer son attachement prioritaire à l’élection présidentielle, dans les limites, selon ses dires, de ce que prévoit la Constitution, et dans un délai rapproché. Il revient aussi sur l’offre de dialogue, avec la promesse de concessions réciproques, mais dialogue exclusivement consacré à la préparation de l’élection présidentielle. On ne sait d’ailleurs pas à qui s’adresse l’offre de dialogue. Le chef d’état-major rejette totalement toute démarche qui se situerait en dehors de la Constitution actuelle. On ne voit pas, dans ces conditions, comment cette position pourrait répondre aux exigences de changement radical voulu par le Mouvement populaire tel qu’exprimé par le slogan «système dégage». L’impasse semble donc totale. En définitive, il y a bien deux camps qui se font face : celui des partisans du statu quo, représentés par le chef d’état-major, et celui du changement. Pour le premier, la solution passe par l’élection présidentielle à court terme, en comptant sur le futur président élu pour mener à bien les réformes indispensables. Le chef d’état-major craint par-dessus tout de s’engager dans une période de transition qu’il ne serait pas en mesure de contrôler et qui serait porteuse, selon lui, d’un risque non négligeable d’instabilité. L’autre camp, celui du changement, constitué de millions de manifestants, refuse de cautionner une élection présidentielle sous la houlette des figures honnies de l’ancien régime et exige une période de transition avec comme axe principal des réformes constitutionnelles ou même une Assemblée constituante. Certains se disent favorables à une transition courte, d’autres à une transition plus longue, pouvant aller jusqu’à deux ans, afin de permettre à de nouveaux partis de se créer et à de nouveaux leaders d’émerger. Les positions des deux camps semblent, pour le moment, tout au moins, inconciliables. Même si le commandement de l’ANP tente un passage en force en fixant une nouvelle date pour la présidentielle, il est presque certain que le rendez-vous ne sera pas tenu tant que le peuple est toujours dans la rue. Il est clair que le commandement militaire joue le pourrissement et escompte un affaiblissement du Mouvement avec le temps, jouant sur la lassitude et aussi en tirant profit de la lutte contre la corruption et la mise en détention d’anciens hauts responsables. Mais, les semaines passent et la mobilisation de la rue ne faiblit pas. Ces positions antagoniques vont-elles évoluer, dans un sens ou dans l’autre, seul l’avenir nous le dira. Cela dépend surtout de la dynamique des mobilisations du Mouvement populaire et des conclusions que pourrait en tirer l’état-major. Il est sûr que la situation actuelle de blocage ne pourra pas durer éternellement.

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