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Le professeur émérite, Chems Eddine Chitour, à L’Expression

«Rien ne sera jamais plus comme avant»

Connu pour ne pas avoir sa langue dans la poche, le professeur Chitour fait une analyse de la situation actuelle du pays. Il nous présente un état des lieux du Hirak qui a ouvert la voie à une nouvelle Algérie. Cet expert se positionne également pour la présidentielle du 12 décembre prochain. Il donne ses arguments et ses réserves. Enfin, il met en valeur les chantiers qui attendent le futur président. Appréciez plutôt…

L’Expression : Après 30 vendredis de manifestations sans interruption, des acquis certains et visibles ont été arrachés. Pouvez-vous, professeur, nous faire un état des lieux de ce Hirak ?
Chems Eddine Chitour : Je tiens tout d’abord à rendre un vibrant hommage au peuple algérien pour cette révolution pacifique, unique en son genre. Ce qui est arrivé est exceptionnel. Le peuple algérien a montré sa vraie nature : un peuple uni, qui, dans les grandes occasions, se révolte comme un seul homme. Ce que j’appelle, moi, la « révolution tranquille » a suscité l’admiration plantaire. Il faut dire que de par le monde, les mouvements de foule finissent souvent mal, avec de la casse, des blessés et des pillages. Bref, ce n’est pas serein. Chose qui n’a absolument pas été le cas ici, et cela pendant
30 vendredis consécutifs. Des milliers, voire des millions de personnes marchent à travers le pays d’une façon des plus apaisées pour expliquer qu’elles aspirent à un mieux. C’est une véritable leçon adressée au monde en montrant leur nouvelle vision de l’Algérie.

Justement, professeur, comment peut-on mettre en place cette nouvelle Algérie ?
J’allais y venir en faisant ce bilan du Hirak. Je le dis et je le répète depuis le début du soulèvement populaire, cette nouvelle vision de l’Algérie ne peut pas se mettre en place si le système et ses reliquats sont toujours en place. Donc, à juste titre, chaque vendredi se rappelle au pouvoir afin de dire que ce n’est pas encore suffisant ! Cela ne veut pas dire que rien n’a été fait, bien au contraire. Moi je suis de ceux qui pensent que le peuple algérien a montré sa maturité. C’est-à-dire que plus rien ne sera comme avant. Le prochain président sera le premier à le constater. Il y aura une conscience populaire pour le surveiller. C’est pour moi le plus grand acquis de cette révolution tranquille.

Comment ça ?
C’est simple, le Hirak sera un moyen de contrôle et de pression sur les autorités. Il continuera également à se manifester de telle façon à accompagner le futur chef de l’État dans ses réformes. Car que demande finalement le peuple ? Le départ de l’ancien système, chose connue, reconnue et acceptée. Il demande aussi que l’on mette en place les outils d’une République démocratique, celle de l’alternance, de la liberté d’expression et surtout du savoir où ce qui compte à partir de maintenant est uniquement la compétence en lieu et place de la légitimité historique afin de faire émerger une nouvelle société. Celle de la création de richesse afin de tourner le dos définitivement à la rente. Cela pour faire en sorte que l’on soit un pays évolué qui a son mot à dire dans le concert des nations. Mais pour cela il y a encore du chemin…

Que doit-on faire alors ?
J’insiste sur le fait qu’il faille continuer à se mobiliser dans le calme et la sérénité. Même durant la campagne présidentielle, il faut que le peuple du 22 février évalue ce que propose chaque candidat. Cela, afin de mettre le futur président de la République devant ses responsabilités. On verrouille ce qu’il a à dire, sinon on ne vote pas pour lui. Le Hirak fera en sorte, que celui que le peuple aura élu, tienne ses engagements et évite de déraper…

Professeur, vous êtes donc pour la présidentielle du 12 décembre prochain ?
Ma positon à ce sujet est des plus claires, il suffit de revoir mes écrits et mes interviews faits depuis le 22 février, dernier. J’ai appelé à un dialogue qui doit aboutir à une élection présidentielle avant la fin de l’année 2019. J’avais conditionné la chose par des garanties de transparence de cette joute électorale.
L’adoption des deux lois relatives à l’Autorité nationale indépendante des élections et au régime électoral sont une grande avancée. Elles vont dans la bonne direction. C’est exceptionnel ce qui a été fait ! L’essentiel est fait. Il faut expliquer au peuple cet acquis qui évitera un retour en arrière. Il n’y aura plus de fraude électorale, plus de gagnants choisis à l’avance. Les craintes du peuple sont légitimes, il faut donc expliquer ce qui a été fait de façon claire, honnête et transparente.

Cela est-il suffisant ?
On a réalisé le plus difficile, toutefois si l’on veut vraiment que ces élections réussissent, il faut aller vers l’apaisement. Cela passe d’abord par la libération sans condition des jeunes interpellés lors des marches. Celle également du commandant Lakhdar Bouregaâ. C’est notre dernier repère et dernier lien avec la révolution. Les jeunes, eux, représentent l’avenir. Il ne faut pas donner à ceux qui nous veulent du mal des aspérités auxquelles ils vont s’accrocher.
L’idéal aurait également été que le gouvernement actuel s’en aille, car il constitue également un point de blocage. Les concessions doivent être faites de part et d’autre, car plus vite on sortira de cette situation de crise, plus vite on ne permettra pas aux étrangers d’interférer dans nos affaires internes.

Vous semblez confiant pour une sortie de crise rapide et sans dégâts ?
Comme je l’ai dit, les mesures d’apaisement sont indispensables pour cette sortie de crise. Ceci étant dit, la nomination de Mohamed Chorfi à la tête de l’Autorité nationale indépendante des élections est une très bonne chose. C’est l’homme idéal pour ce poste, du fait que ce soit un homme qui a dit non au système au summum de sa puissance. Avec son procureur qui est actuellement ministre de la Justice et qui mène avec brio l’opération anticorruption, ils avaient demandé à interpeller l’ancien ministre de l’Énergie, Chakib Khelil. Il restera dans l’histoire comme étant le seul à avoir, à l’époque osé rendre justice au peuple.

La présidentielle sera, selon-vous, le début de la nouvelle Algérie ?
On aura gagné une bataille, mais pas la guerre ! Ce ne sera que le début d’un long chemin qui doit nous mener à l’Algérie de nos rêves. Nous n’avons pas encore évalué à sa juste dimension, l’immensité de la tâche qui nous attend.
Nous sommes une économie de rente. Nos finances sont dans le rouge et nous n’arrivons pas à mettre en place une transition énergétique. Nous n’avons pas de temps à perdre concernant la mise en place d’une stratégie énergétique qui nous permette d’éviter de brûler ce qui reste de gaz et de pétrole. Il faut savoir qu’un rapide calcul nous révèle qu’à ce rythme, d’ici deux ans nous n’aurons presque plus de ressources énergétiques. Notre plus grand combat sera, toutefois, la reforme de l’école.

Vous pensez qu’une nouvelle réforme du système éducatif s’impose ?
Malheureusement, oui ! L’école a été notre plus grand échec.
Les ministres qui se sont succédé ont procédé à des réformettes sans s’attaquer au problème de fond qui est celui de la modernité, de la rationalité.
Le combat est celui de mettre du rationnel dans les enseignements en développant à marche forcée les mathématiques, les sciences, l’ouverture sur l’universel. Le bac math et la technologie, ce sont 2% des effectifs en Algérie. Voilà le constat. Il faut bien l’avouer, le système éducatif a été pour ces jeunes un échec.
L’Éducation nationale est une machine à fabriquer des perdants de la vie, elle n’a pas été un ascenseur social. L’enseignement supérieur souffre des mêmes travers, là aussi il est important de le réhabiliter. Le vrai combat, c’est celui qui consiste à aller vers le savoir rationnel. Cette économie de la connaissance qui double tous les deux ans. C’est le seul combat qui vaut la peine d’être mené.

Quels sont les chantiers qui attendent le futur président de la République ?
Il nous faut un meneur d’hommes, capable d’assumer ses responsabilités sans sourcilier. Il faut un chef qui fait travailler les Algériens en exigeant un rendement très important pour rattraper le temps perdu. Un président capable de réduire le train de vie de l’État. Si on continue à ce rythme, l’Algérie n’aura plus de ressources d’ici deux ans. Comme je l’ai déjà dit, il devra s’attaquer à l’école.
Il faut qu’il fasse de l’Algérie un pays développé qui garde ses repères identitaires, qui garde ses repères religieux, mais qui est tourné vers l’avenir, qui est fasciné par la modernité. Nous avons besoin d’avoir des racines, mais il faut aussi avoir des ailes donc former cette jeunesse. Cela afin de lui donner des perspectives d’avenir. Le choix du président et de ses hommes est très important.
Il faut faire la chasse à la démagogie, seul le parler vrai pourrait convaincre les jeunes, de plus il faut donner l’exemple. À partir de ce moment, on a des chances d’être suivi. Enfin, j’insiste sur ce point qui est névralgique : notre prochain président devra travailler le vivre ensemble.
On doit se réconcilier les uns avec les autres pour que vive l’Algérie…

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