UNIVERSITÉS
On ne dirige pas sans ambition
Et que les choses soient claires. Malgré tout ce qu'on dit, ici et là, la faute n'incombe pas aux étudiants et n'incombe que peu aux enseignants.
Il y a quelque jours, le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique avait jugé la place qu'occupe l'université algérienne dans le monde, excellente et qu'elle mérite satisfaction. Pour rappel, et d'après sa propre déclaration, notre Université occupe la 2 360e place. Quelque temps après, un directeur du même département ministériel confirmait les dires, en soutenant le même raisonnement. Quelques jours plus tard, le ministre refait surface en déclarant, lors de son passage à l'Université Mentouri de Constantine, que «l'Algérie a gagné la bataille de la quantité».
Une fois encore, l'accent est mis sur la quantité. Sur le nombre. A défaut d'autre chose! Un enseignant du supérieur, et M.Harraoubia en était un pourtant, doit savoir qu'on n'évalue pas la réussite de l'enseignement en termes de quantité. Dire que nous avons un millier de licenciés par année, par jour ou même par seconde ne signifie absolument rien lorsqu'on n'est pas capable de dire de quoi ces diplômés sont capables ou, du moins, à quoi ils sont destinés. Cela ne signifie absolument rien, non plus, tant que leur absorption par le marché est nulle ou presque, comme c'est le cas des diplômés algériens de nos jours.
La mission première de l'Université algérienne est, certes, de doter le pays de diplômés mais, faut-il le préciser, des diplômés qui puissent participer au développement du pays. Aussi, ce qu'il y a lieu de comprendre, c'est que cette université devient défaillante, non pas seulement si elle ne fournissait pas ces diplômés mais aussi si elle ne les formait pas convenablement ou si leur formation ne correspondait pas à la demande du marché et aux exigences du moment. Or, le taux de chômage dans les rangs des diplômés est terrible en Algérie. Qu'y a-t-il lieu de conclure?
Certains, dans un jeu inutile de rejet de la responsabilité de l'échec sur autrui, n'ont pas hésité à accuser le marché en affirmant que ce sont «les secteurs utilisateurs (qui) n'arrivent pas à capter l'intérêt des diplômés´´ faisant fi de toutes les règles du bon sens et allant même jusqu'à inverser la logique marketing selon il est impératif que l'université fonctionne, à savoir que c'est à elle qu'il revient d'offrir le produit (c'est-à-dire de former des diplômés) aptes à répondre convenablement aux besoins et désirs de ses clients (ces fameux secteurs utilisateurs) et non l'inverse. Si, maintenant, et pour justifier notre échec, chacun se mettait à jeter sur autrui la responsabilité de son incapacité à mener correctement sa propre mission, on se demande où l'on pourrait bien aller!
Et que les choses soient claires. Malgré tout ce qu'on dit, ici et là, la faute n'incombe pas aux étudiants et n'incombe que peu aux enseignants. La faute, toute la faute, est celle de l'administration, le ministère en premier lieu! Les étudiants algériens, comme partout ailleurs, dépendent totalement de ce que l'université voudrait bien leur dispenser, non seulement comme cours, comme TD, comme TP ou autres séances de transmission de savoir mais aussi, et surtout, de l'orientation et des objectifs à court et à long termes que cette université donne ou veut donner aux formations qu'elle offre.
Ils dépendent de la vision que doit se tracer cette université et qui leur entrouvre les possibilités d'un certain avenir par rapport à l'environnement proche et lointain. Ils dépendent aussi des compétences que cette université se doit de créer, de capter et de maintenir afin de pouvoir développer non pas la capacité à exister comme cela semble tellement convenir aux responsables mais à vivre et, pourquoi pas, à s'imposer dans un environnement qui n'est pas toujours propice.
Ils dépendent aussi de ce que cette université leur offre comme conditions de travail. Et, de grâce, que l'on ne nous parle pas du nombre de murs construits et du nombre de chaises importées. Les conditions à offrir par une université à ses étudiants ne se réfèrent pas uniquement à celles matérielles mais aux autres, toutes les autres. Que fait-on à l'Université algérienne pour permettre aux dons des uns et aux capacités individuelles des autres de s'améliorer? Qu'y fait-on donc, pour propulser la création individuelle et de groupe? Que fait-on pour aider ceux qui en ont à mieux s'investir dans les domaines de connaissance qui les intéressent ou les attirent? Ces choses-là ne dépendent que peu ou pas des enseignants. Elles dépendent encore moins des étudiants. C'est au ministère de prendre en charge ces aspects de la formation des hommes de demain.
Malheureusement, la volonté politique concernant l'enseignement supérieur est faible lorsqu'elle n'est tout simplement pas absente. Sa faiblesse est visible à partir du choix des hommes, quant à son absence, il suffit de demander combien de temps dure chez nous un ministre de l'Enseignement supérieur, un recteur ou un doyen, surtout ceux qui ne réalisent rien. Oui, rien! La 2 360e place obtenue avec tout ce qui a été investi depuis cinquante ans comme capitaux, comme efforts d'hommes et comme temps, aurait dû provoquer, si ce n'est un tollé général au niveau du gouvernement, du moins, la démission du ministre responsable. Faut-il savoir compter de 1 à 2 360 pour comprendre que cette place est une catastrophe?
Les hommes n'ont pas les mêmes ambitions, on le concède sans discuter. Pourquoi, dès lors, faut-il ramener à la tête de départements ministériels ceux qui en ont le moins ou qui n'en ont point? Faut-il souligner que l'on ne va pas chasser l'éléphant avec une tire-boulettes? Faut-il aussi rappeler que lorsqu'on a la charge de l'avenir d'un peuple, on perd tout droit à la sous-estimation des dangers? On ne discute pas là les intentions des uns et des autres, on regarde le résultat et c'est un piètre résultat que celui réalisé par notre Université des «temps modernes». Or, et à ce que l'on sache, un responsable de ministère est d'abord responsable de ses résultats car il a en obligation vu les moyens qui lui sont accordés.
Mais, apparemment, l'insuffisance d'ambition n'est pas propre à un secteur particulier. On a eu la malheureuse occasion de le constater ce samedi lorsque, de passage à Constantine pour inaugurer les hôtels Accor, le ministre du Tourisme précisait son rôle à qui voulait l'entendre: «Je suis là, dit-il, pour apporter de petites contributions au programme déjà arrêté par le gouvernement». Pour éviter probablement qu'on lui demande sa propre vision ou ce qu'il compte faire dans ce secteur, il s'empressa de continuer: «Je n'ai pas forcément une vision nouvelle ou une stratégie autre que celle mise en place» et comme il a dû se rendre compte que cela faisait un peu trop de passivité, alors, sans beaucoup de soucis pour la contradiction, ni pour la cohérence, il enchaîna «avec mon équipe, nous allons apporter un plus à ce secteur et faire de l'Algérie une destination touristique au vrai sens du terme». Lorsqu'on n'a pas de vision propre, on ne peut rien apporter de plus. Pas même ces «petites contributions» qu'un bon guide touristique de l'Onat serait capable de faire mieux que quiconque. Et Dieu sait que l'Onat dispose de guides aptes, à eux seuls, à propulser le secteur du tourisme chez nous à un niveau des plus réjouissants.
Un ministre, c'est d'abord à la vision et à la stratégie qu'il doit s'atteler! Tout étudiant de première année de gestion, vous le confirmera sans hésiter. Si, maintenant, un ministre vous crie, haut et fort, qu'il n'a pas de vision propre ou de stratégie propre, vous avez le choix entre deux possibilités: ou bien vous allez dire à ceux qui ont péniblement bâti la science de management, à ceux qui l'enseignent depuis soixante ans et à ceux qui l'étudient depuis la même période, qu'ils ne connaissent rien au management ou alors....
Un premier responsable d'une organisation quelconque, qu'elle soit une entreprise économique, une association caritative ou, à plus forte raison, un ministère, se doit d'apporter sa contribution personnelle au développement et à l'amélioration de l'organisation qui lui a été confiée. Si, maintenant, le premier responsable d'un secteur vous annonce, de manière on ne peut plus explicite, qu'il se satisfait de «petites contributions», c'est qu'il y a quelque chose qui ne va pas... si c'était pour les petites contributions, n'importe qui aurait pu les faire... n'importe quel chef de service du ministère en question serait capable de faire plus que de petites contributions. Alors, pourquoi nous tuons-nous à nommer des ministres? Avec les salaires que cela coûte, mieux vaut s'en passer!
Notre pays n'est pas la destination préférée des touristes. Ne rabâchons pas, s'il vous plaît, l'argument de la période du terrorisme car, avant cette période déjà, nous étions incapables de drainer les groupes de touristes. Si, avec cela on se contente, en plus de n'avoir ni vision ni stratégie propres ni grandes contributions, il est fort à parier que le peu de visiteurs étrangers qui viennent chez nous pourraient être poussés à voir ailleurs.
Plus de 1 200 kms de côte ouverte au plaisir et au bonheur, un désert des plus magnifiques au monde qui se dédie aux aventuriers, aux curieux et aux épris de la nature, des montagnes fascinantes qui offrent le rêve en prime, des vestiges rares et de grande importance, un ensoleillement rarissime, une culture des plus ouvertes et des plus tolérantes, une histoire millénaire qui ne demande qu'à être racontée, un climat si diversifié que l'on est en mesure d'avoir n'importe quelle saison qu'on souhaite à tout moment de l'année, un peuple accueillant et chaleureux... avec tout cela, le tourisme chez nous est toujours voisin du zéro. Dieu que le gâchis est énorme!
Il n'y a pourtant qu'à voir à côté. Juste à côté. Lorgnez, s'il vous plaît, à gauche ou à droite et vous verrez ce que font les uns de deux mètres carrés de côté et les autres d'un kilomètre carré de désert. Faut-il rappeler, à ceux qui ne le savent pas encore, que certains de nos voisins envoyaient leurs enfants se former chez nous au tourisme et à l'hôtellerie. Oui, l'école sise à l'hôtel Aurassi en a formé un grand nombre, à l'époque. Comment se fait-il que les autres aient pu tirer de notre enseignement ce que nous-mêmes n'avons pas pu tirer? A cause de notre manque d'ambition? certainement!
Tout compte fait, le manque d'ambition nous coûte. Un peu trop quand même. Mais quand est-ce que les gens comprendront-ils, enfin, que lorsqu'on est haut responsable, dans un pays, on n'a pas le droit de ne pas avoir d'ambition? Quand est-ce qu'ils vont se rendre compte, enfin, que cette ambition est celle de ceux qui les ont nommés aux postes, celle du pays, celle du peuple? Finiront-ils un jour par comprendre que, pour aider un pays à se développer, on doit obligatoirement et résolument être tourné vers le meilleur, sinon, on doit décliner l'offre et partir?
Il n'y a pas pire pour un pays que d'être dirigé sans ambition.