Ces livres que nos intellectuels n’ont jamais lus!
La belle littérature moderne comme la philosophie ou la critique littéraire, dans toutes ses écoles et ses tendances, dans toutes les langues, tiennent leur continuité d'un fonds livresque universel indispensable. Les bons livres se reposent sur leurs similaires, les écrivains aussi. Il existe une généalogie des livres et des écrivains.
Il est des livres qui représentent un passage littéraire obligatoireet inévitable pour l'écrivain comme pour le penseur. Ils constituent la base-arrière solide et assurée pour toute réflexion moderne ou nouvelle.
Dans son parcours de lecteur d'abord, tout écrivain est interpellé, dérangé, bousculé ou secoué par un ensemble de livres qui font la mémoire indéfectible de la pensée humaine.
La bonne littérature secoue le lecteur, le met dans un état de bouillonnement. En permanence, elle le pousse à remettre en question ses soi-disant constantes politiques, religieuses, esthétiques et philosophiques.
On ne lit pas pour dormir, bien au contraire on lit pour être bien réveillé,Le livre qui nous apporte le sommeil est un livre pour les morts, il est mort-né. La bonne littérature est une sorte de sonnette d'alarme pour la conscience individuelle et collective.
Les livres qui dérangent vivent pour longtemps. Il est des livres provocateursqui sont même éternels. Et il est des livres sacrés et vénérés bien qu'ils ne soient pas divins.
L'acte d'écriture, l'écriture réfléchie, n'est en réalité qu'un nouvel exercicede lecture sur des textes anciens. Mais l'ancienneté ne signifie pas la vieillesse. Les grands textes ne vieillissent jamais, ne prennent pas de rides. Et la lecture de ces textes est toujours neuve, renouvelée et plurielle.
Les grands écrivains modernes, ne font que souffler, une fois de plus, sur les braises ardentes des anciens textes immortels, sans que leurs nouveaux textes soient une répétition ou un plagiat.
Là où les grands classiques vivent avec jeunesse, dans les milieux des jeunes plumes, la littérature se renouvelle, s'approfondit et avance.
Parce que les grands textes n'ont pas manqué leur temps, ils ne manqueront jamais les autres temps résultants.
Je me demande, sans jugement aucun: est-ce que notre intelligentsia nord-africaine, arabe et arabisée, a réellement lu les textes fondamentaux qui font le coeur de la littérature et de la philosophie universelles, ceux qui ont érigé la pensée humaine à travers les siècles, dans toutes les langues et à travers les différentes civilisations successives?
Sans la lecture de lalittérature universelle, l'intelligentsia est condamnée à vivre dans l'isolement et dansl'embargo intellectuel et spirituel. Dans l'absence de cette lecturenotre intelligentsia n'arriverajamais à s'intégrer aux valeurs de la pensée universelle humaine et humaniste. Elle restera à la marge de l'Histoire et des faiseurs de l'Histoire. Dans l'amnésie et dans une relation d'hostilité avec l'autre.
Mais quels sont ces livres qui vivent avec nous ou qui sont nécessaires pour notre vie intellectuelle? Ils sont nombreux et dans toutes les langues, mais nous allons en énumérer quelques-uns qui sont plus présents que d'autres.
Sur le plan littérairen nord-africain, on parle beaucoup du livre «l'Âne d'or» écrit par Apulée de Madaure, actuelle M'daourouchsitué au nord-est d'Algérie, (125-170), souvent ce roman est cité avec des compliments et des apologies dans des discours culturels ou littéraires universitaires et publics, mais,ce livre a-t-il été vraiment lu par nos intellectuels? Je pose la question!
Dès qu'on parle de la littérature algérienne moderne d'expression française, le roman qui revient le plus c'est «Nedjma» de Kateb Yacine. Encore une fois, est-ce que ce roman a été suffisamment lu par les Algériens, les écrivains et le lectorat en général? Je pose la question. Kateb Yacine l'a déjà remarqué en disant: On parle beaucoup de «Nedjma» mais peu de lecteurs qui l'ont lu.
Sur le plan de la lecture historique, la «Moqaddima» d'Ibn Khaldoun est dans toutes les bouches, sur toutes les langues. Le livre est cité à tort et à raison par les historiens, les littérateurs, les économistes, les urbanistes, les économistes... Et je me demande est-ce que ce livre a été bien lu, suffisamment lu?
Parmi les livres référentiels dont nos lecteurs ne cessent de parler; «Don Quichotte» de Cervantès, les «Mille et Une Nuit»s, «La Divine» comédie de Dante, Les cent ans de solitude de Marquez, le Capital de Karl Marx, la Bible, la thora, «les fleurs du mal» de Baudelaire, «Zadig» et «Candide» de Voltaire, «Al Foutouhat al maqqiya» d'Ibn Arabi, «Shah Nâmeh» de Ferdawsi, «le livre rouge» de Mao, «Fasl el maqa»l(Le Livre du Discours décisif) d'Ibn Rochd, «Discours de la méthode» de Descartes «L'odyssée et l'Iliade» de Homère, «Roméo et Juliètte» et «Hamlet» de Shakespeare, «Guerre et Paix» de Tolstoï, «Crime et châtiment» de Dostoïevski, «Le Fou d'Elsa» de Louis Aragon, «Le vieil homme et la mer» et «Pour qui sonne le glas» de Hemingway, «Ainsi parlait Zarathoustra» de Nietzsche.... Mais est-ce que ces livres étaient, et sont, bien lus et bien reçus chez le lecteur en langue arabe? Est-ce que ces livres et d'autres ont une présence effective dans l'évolution de l'écriture en langue arabe? Est-ce que les traductions faites en langue arabe sont correctes et lisibles et fidèles? Je me pose ces questions parce que la bonne réception est le socle de la formation de l'intelligentsia.
Ces titres littéraires et philosophiques fondamentaux, et d'autres, qui constituent la base solide de la lecturede l'ensemble de l'intelligentsia dans le monde, n'ont pas une présence considérable dans la réalité culturelle et intellectuelle nord-africaine et arabe. Ils sont souvent cités par les intellectuels universitaires, mais sans une réelle influence surnotre imaginaire créatif et philosophique.
‘J'ai le sentiment que notre champ est traversé par le mensonge littéraire au point où l'on entend souvent des intervenants citer ces titres sans les avoir lus, et sans que personne ne rectifie les propos erronés. Et la boule de mensonge grandit à l'image de celle de neige!