Journal d’un retraité algérien !
Pourquoi l'Algérien refuse-t-il de partir à la retraite? Pourquoi déteste-t-il prendre sa retraite?
Dans l'imaginaire d'un Algérien, la retraite est une première mort, avant la mort naturelle! Chez nous la retraite est les funérailles d'un vivant-mort! À la retraite, l'Algérien assiste à ses propres funérailles! Le jour de la retraite est un jour de deuil.
Mais d'où vient-elle cette culture de peur, de refus et de tristesse vis-à-vis de la retraite, chez lesAalgériens?
Un retraité algérien, dès qu'il quitte son poste de travail, se trouve égaré, perdu et dépourvu de toute motivation. Il n'a ni imagination ni capacité de créer une deuxième vie, différente de la première et peut-être plus intense et plus belle. Une deuxième vie avec un autre goût et une autre philosophie.
L'Algérien refuse de partir à la retraite parce que le travail pour lui n'a pas de sens producteur. Il est vidé d'effort fourni qui demande le repos et la distance! Aux yeux de l'Algérien, le travail n'est le plus souvent qu'un acte de présence obligée, dans un lieu précis et un emploi du temps imposé.
Le travail selon la culture algérienne est une habitude quotidienne pour tuer le temps avec les copains!
Le travail n'a pas de sens relevant de la production et de la concurrence ou peu. Et parce que le travail dans l'esprit d'un Algérien n'a pas de sens, les vacances, le repos et la retraite n'ont pas non plus de sens! Quand il n'y a pas de souffrance, d'effort et d'angoisse chez l'employé pendant les jours de travail il n'y a pas de plaisir dans le repos ni dans la retraite.
Dès que l'Algérien est mis à la retraite, il se sent hanté par la mort, ainsi il se trouve incapable de penser à la création d'une seconde vie. Il devient fragile, son corps s'offre facilement à toutes les maladies!
Dès le premier jour de la retraite, le quotidien de l'Algérien est bouleversé, il se trouve perdu, égaré entre la cuisine et la télécommande de la télévision! Et parce que la société n'offre aucun programme culturel varié, la journée d'un retraité algérien est réglée par le hasard et par un ensemble d'actions mortifères improductives et stériles. Et parce qu'il n'existe pas de cercles, ni de clubs pour les journalistes, les avocats, les juges, les écrivains, les musiciens, les médecins, les cinéastes, les architectes, les chanteurs, les peintres... le retraité se sent perdu dans un bazar sociétal labyrinthique.
Ainsi, les retraités algériens, ceux de l'ancienne génération, passent leur temps à résoudre les mots croisés ou fléchés! D'autres, assis à même le sol passent leur journée à jouer aux dominos ou à la mdhamma. D'autres aiment bavarder sur les infos de la météo, la chaleur caniculaire ou le froid de canard!
D'autres divergent sur le prix local de la pastèque et le prix mondial du pétrole! D'autres, les politiciens, installés, du matin au soir, dans des cafés populaires, commentent la vie politique, en guise d'une chaîne de news continues, sur Gaza, sur la nomination d'un nouveau gouvernement en Chine ou au Mali, sur le récit de la chute de l'hélicoptère du président iranien. D'autres, les sportifs, hantés par le foot, parlent avec enthousiasme des prix des stars achetées par les clubs saoudiens ou émiratis! D'autres, les romantiques, passent leur temps à donner du pain sec aux pigeons de ville, sur les places publiques. D'autres, les intellectuels, racontent les faits de Madame Bovary de Flaubert et Le fils du pauvre de Mouloud Feraoun. D'autres, les religieux, guettent avec précision, minute après minute, l'appel à la prière et expriment leur désaccord avec le contenu des dourous prêches de l'imam sur l'expérience du prince héritier Mohammed Bin Salmane et sur le prix élevé du Hadj 2024. Les pessimistes quant à eux, le regard collé aux pages nécrologiques des journaux locaux, accompagnent les morts jusqu'au cimetière et aiment manger le couscous des funérailles servi sur le trottoir.
Et parce qu'il n'y a pas d'institutions culturelles nationales avec des programmes riches et variés; pas de salles de cinéma avec une politique de projection universelle, pas de cercles de débat ouverts sur des sujets d'intérêt commun, pas de soirées de musique populaire ou chaâbie, pas de galeries d'art, pas de bibliothèques adéquates et bien fournies... dans ce vide assourdissant les retraités meurent vite, ne profitent point de leur seconde vie!
Si la retraite est une tristesse chez nous, elle est un bonheur sous d'autres cieux.
Sous d'autres cieux, l'employé ou le fonctionnaire n'attend que le jour de son départ à la retraite. Dans d'autres cultures de travail, la retraite est une autre vie différente et complémentaire. La retraite ce n'est pas la mort, ce n'est pas la fin des activités productives.
Certes, l'augmentation des salaires des retraités prise par le gouvernement algérien est un geste positif et honorable, mais cette belle lueur d'espoir doit être accompagnée d'une armada d'institutions culturelles, sportives et économiques qui permettent d'aider le retraité à bien intégrer sa deuxième vie. Et à faire de celle-ci une existence productive et heureuse.