Le sémaphore du Président
C'est connu, les feux tricolores en milieu urbain sont faits pour réguler la circulation afin de la rendre, tant automobile que pédestre, plus fluide. Leurs couleurs envoient des signaux communément admis (en principe) dans toutes les contrées du monde. Bien sûr, les appellations diffèrent d'un pays à l'autre. «Au feu rouge!» reste quand même l'indication la plus courante. Mais pour parler de manière moins triviale, on s'accordera à utiliser un mot «savant»: Sémaphore. Ce qui permet la transition, du code de la route au manuel de la vie civile. Toutefois, il convient d'apporter un léger bémol, le sémaphore n'est pas à la portée de toutes les sociétés, de tous les peuples. Il faut un certain degré de maturité politique pour pouvoir en faire un usage réfléchi et surtout sensé. Quid de l'Algérie alors? Bonne question, comme on dit dans les débats politiques lorsque l'on veut la contourner. Cela s'appelle l'art de l'esquive. Mais ce ne sera pas le cas ici, car la réponse est à portée de n'importe quelle oreille attentive reliée à un esprit de synthèse, remis à jour surtout. Car nous sommes en 2024 et, aujourd'hui, la guidance politique n'obéit plus aux mêmes contingences que dans les seventies.
Pour faire court, disons que nous sommes passés du phare au sémaphore.
Autres temps, autres moeurs
En guise d'illustration, il vient en mémoire un fait politique qui s'était passé dans le milieu des années soixante-dix, plus précisément lors de la conférence des présidents d'APC qui s'était tenue au Club des Pins. Dès sa prise de parole, et après les salutations d'usage, Houari Boumediène, avait demandé, en s'excusant par avance, aux correspondants des agences étrangères de quitter la salle. Une fois resté «entre nous», Boumediène prit un ton, à la limite, enjoué pour raconter une «anecdote»... Et en se marrant presque, il décrivit le trouble, la panique même, de la personne venue lui apporter une «missive» d'un chef d'État arabe. «Il en tremblait presque et ce n'est qu'en parcourant cette lettre que j'ai compris l'état de ce collaborateur.» Une longue bouffée de cigare puis: «Bon, on ne va pas passer par trente-six chemins, je dirai à ce guide qu'il a intérêt à se calmer; à défaut, il n'y aura plus que le langage du dabouss...» Pour comprendre cette séquence, il faudrait la resituer dans le contexte de l'époque.
L'Algérie avait été partie prenante de la «guerre des Six Jours» et s'apprêtait à mettre la main à la poche pour régler rubis sur l'ongle la facture de l'armement dont avait besoin l'armée égyptienne pour déclencher la guerre d'octobre. Pour l'anecdote, il convient de signaler que le traditionnel pays fournisseur d'armes avait exigé de l'Égypte le paiement cash, comme s'en était ouvert sur ce point le président Sadate au Raïs algérien. «D'un côté, ça brûle; de l'autre, c'est chaud», comme dirait le dicton populaire. Donc, la diplomatie algérienne avait alors opté pour un mode opératoire des plus discrets possibles, quand on ne passait pas tout simplement l'éponge.
Les fronts s'ouvrant en continu... Et comme dans les urgences, il y a aussi des priorités. Or, souvent, cette forme nationale de... dédain diplomatique faisait ses preuves, et à plus d'un égard.
Mais c'était un autre temps, et c'était d'autres moeurs. Aujourd'hui, les choses ont beaucoup changé. Même la «realpolitik» a mué. Et ce sont les grandes puissances, tous bords confondus, qui ont donné le la de cette nouvelle musique érigée en credo et qui s'intitule «Il n'y a pas d'amis, il n'y a que des intérêts». Soit. Sauf que, dans le cas de l'Algérie, certains «États-compositeurs» de cette partition, n'avaient pas changé de focale et, du coup, ils n'ont pu voir que, du côté d'Alger, une rupture épistémologique avait été déjà entamée dès 2019. Sans tambour, ni trompette ni effets de manches non plus. L'innovation serait même d'ordre philosophique et, en trois stations, si bien énoncé, mais autrement, par l'émir Abdelkader dans Kitab el-mawakif («le Livre des haltes») un précieux document manuscrit que l'Enag avait eu la louable idée d'éditer et en l'état, en pleine décennie rouge. C'est dire le défi...
Ces haltes, donc, que Socrate avait sériées en trois phases: l'exhortation (pour pouvoir identifier les erreurs), la réfutation (pour se débarrasser des fausses idées) et, enfin, la maïeutique (pour prendre conscience de nos connaissances et de notre valeur). Et c'est là que l'on voit que la métamorphose a bien eu lieu, à travers le rapport qu'a Abdelmadjid Tebboune avec ses concitoyennes et ses concitoyens.
Les dernières rencontres du chef de l'État avec les lauréates et les lauréats des différents établissements scolaires (civils et militaires) en ont reproduit une image des plus éloquentes. C'est de cette bienveillance dont il sera fait cas aujourd'hui. Mais pour ce faire, l'actualité olympique nous pousse à donner un léger coup de canif aux règles de bienséance, en séparant les filles des garçons (ce qui n'empêchera pas de saluer chaleureusement la médaille de bronze de Djamel Sedjati). Et là donc revient, et de manière entêtante, une image. C'était en 1973, le lieu, la cour du lycée Hassiba-Ben-Bouali (Alger), lors de la remise des prix aux élèves les plus méritantes. Une fois la cérémonie terminée, il y a eu un débordement bon enfant que le comportement avenant de Boumediène avait sans doute un peu encouragé. Toutes avaient une question à poser mais en même temps de préférence... Sa réponse fut unique: «Habillées en court ou en long, ce qui m'importe c'est votre carnet de notes.»
En 2024, Imane Khelif tout comme Kaylia Nemour ont vécu des situations qui les ont confortées dans leur certitude que la bienveillance de Tebboune était bien réelle. Et en élargissant le champ de vision, de perception, serait-on tenté d'écrire, on réalise que cette Guêpe d'Imane et cette Libellule de Kaylia, ces médailles d'or à la belle féminité avérée ont fait plus que soulever des montagnes; elles ont révélé un sérieux mouvement de plaques tectoniques bien réel.
Elle est née femme...
Ce véritable séisme à bas bruit a encore un plus grand impact car il envoie un signal fort. Ainsi, à El Mouradia, le phare, qui avait bien fait son temps aura cédé la place au... sémaphore! La nuance est forcément de taille: le phare surveille et le sémaphore veille. C'est là que réside toute la différence. Le sémaphore est garant d'une bienveillance et d'un sens aiguisé de la responsabilité. Le Président n'est plus responsable de la seule intégrité du territoire, ce qui est déjà énorme, mais il est aussi garant de la sécurité et de l'épanouissement de toutes les couches de la société, encore plus sa composante féminine. «Nous tenons à affirmer que la parité réelle que nous cherchons à consacrer n'est pas une faveur ou une récompense, mais un acquis constitutionnel qui doit s'illustrer de manière claire et à une large mesure dans notre société, il ne doit y avoir de relâchement, ni de négligence de ce principe par aucune institution, administration ou responsable décideur qui tenterait de minimiser l'aptitude, la compétence et la capacité de la femme algérienne et de la priver d'un droit qui est le sien, acquis sur la base de qualifications avérées pour occuper un poste ou une responsabilité, quel que soit son niveau ou son importance.» (Abdelmadjid Tebboune, 8 mars 2024.)
C'est ce que n'a pas vu venir ou bien entendu le délégué russe au Conseil de sécurité, sinon il aurait réfléchi par deux fois et demie avant de déclarer: «Les femmes boxeuses font l'objet de violence publique de la part d'athlètes qui ont précédemment échoué au test hormonal de la Fédération internationale de boxe et qui, selon cette Fédération et selon le bon sens, sont des hommes. Un spectacle écoeurant à tout point de vue.» Et c'est là que le président Tebboune marque sa différence avec ce qui se passait auparavant face à pareille situation.
En effet, par la voix du représentant de la Mission permanente de l'Algérie auprès des Nations unies, la réponse fut immédiate, courtoise mais sans équivoque: «Ma délégation voudrait éviter que le sport et la politique ne soient ainsi mêlés. Néanmoins, nous avons entendu une référence implicite mais, en réalité, très claire, c'était une référence à une athlète championne de mon pays. Je voudrais souligner le point suivant, la boxeuse courageuse, en question, Mademoiselle Imane Khelif, est née femme (...) Elle a pratiqué ce sport en tant que femme. Et j'insiste clairement pour dire qu'il n'y a pas l'ombre d'un doute à cet égard, sauf pour ceux qui ont des agendas politiques dont on ignore les desseins en la matière. Au final, je me contenterai de renvoyer chacun au Comité olympique lui-même, qui a, en toute clarté, apporté un témoignage qui pourrait briser le dos de tous ceux qui douteraient de notre courageuse championne, la valeureuse, fille des femmes algériennes de mon pays.» Le sémaphore présidentiel est passé au rouge! On ne touche pas à une Algérienne, même de manière allusive. «Tellement fiers de vous, notre championne olympique Imane... Votre victoire d'aujourd'hui est la nôtre et votre médaille d'or est celle de l'Algérie... Merci Imane...Vive l'Algérie!» avait auparavant écrit le chef de l'État à la toute fraîche championne olympique. Les temps ont changé. En 2025, cela rentrera encore plus dans les caboches, à force de persuasion.
«Les femmes sont un modèle pour tant d'autres ayant vécu une période sombre, celle de la tragédie nationale, et qui ont fait face avec une bravoure exemplaire à un terrorisme barbare, ajoutera Abdelmadjid Tebboune, le 8 mars dernier, surlignant ainsi son propos, prélude à des avancées certaines, à venir...
Les temps sont donc en train de changer. Et sans nul doute qu'en 2025, et à force de persuasion, cela rentrera encore plus dans les caboches les plus réticentes. La dignité a un prix, et c'est bien celui-là. Et la cohésion républicaine aussi.