Quand un Président moralise la promesse
C'est connu, humainement, la promesse suscite autant de méfiance que d'attente. Les hommes politiques en savent quelque chose, car et, à de rares exceptions prés, ils finissent plus par cultiver l'ambiguïté que l'ambivalence. Et de là provient sans doute cette réputation, aussi collante qu'un sparadrap et ses corollaires, incrédulité et méfiance.
En Algérie, c'est une pratique qui aura fait ses tristes preuves des décennies durant. Nombre de candidats à la législature suprême ont fini par ne plus en faire, préférant se draper de révolution et ou de religion, sans se rendre compte de l'anathème encouru en cours de route... Le recours à la légitimité spirituelle ou révolutionnaire, dont l'usage est en vérité illégitime, car aucune sourate, ni aucun serment n'incluait une rétribution matérielle, un retour anticipé sur «investissement». Il n'est donc pas étonnant que même la prestation de serment du candidat élu soit, à quelques exceptions près, une simple formalité. Boumediene, Zeroual, Boudiaf exceptés. Quid d'Abdelmadjid Tebboune? Question frappée au coin du bon sens. Et pour saisir pleinement la réalité de cette expression, il faut se rappeler que lorsque Tebboune s'était présenté à l'opinion nationale, sans rien d'autre qu'un programme où la force de persuasion était en réalité inversement proportionnelle à la modestie des moyens existants, les oligarques qui sévissaient encore sur la place, se sachant voués à une prochaine mise en quarantaine, auront donc préféré différer leur entrée dans la danse. Mais point de zerda, le candidat libre aura su convaincre une majorité respectable de lui confier les clés d'El-Mouradia. Pour la première fois donc, un homme sorti de l'école de l'indépendance accédait au pouvoir. Et fait inédit, qui vaut d'être signalé, les sceptiques des deux camps se rejoignirent, mais mus cependant par d'antagoniques aspirations. Le camp de ceux qui n'avaient pas voté pour Abdelmadjid Tebboune suçait le citron avec sa peau. Mais, à dire vrai, ils n'étaient pas forcément blâmables, sinon cela équivaudrait à reprocher à un chauve de couper les cheveux en quatre... Des décennies durant, les Algériens s'étaient accommodés d'une certaine pratique du geste électoral qui s'étendait du Golfe à l'Atlantique, reléguant le plus souvent le suspense aux oubliettes.
Les autres, ceux qui avaient permis à Abdelmadjid Tebboune de dégager une respectable majorité, n'ont pas su s'éviter, quant à eux, un soudain doute diffus, né de la crainte que la seule expérience ne soit pas assez suffisante pour que leur favori mette en pratique ses promesses. Mais assez vite, ils virent le Président élu ouvrir les premiers des cinquante-quatre chantiers annoncés, et c'est ainsi que l'optimisme de la volonté s'affirma encore plus face à son alter ego, le pessimisme de la raison. Il ne faut pas feindre ignorer que cet espace géopolitique régional avait été longtemps frappé du sceau de la fatalité.
Dans le temps, Nicolas Machiavel conseillait au Prince de ne pas se sentir tenu par ses promesses afin de garder les mains toujours libres et de ne pas diminuer lui-même de son pouvoir. Le diplomate florentin (1469-1527) livrait ainsi les premières notes de la marche forcée vers le pouvoir absolu. Et on sait ce qu'il est advenu de l'Algérie lorsqu'elle se retrouva dans ses eaux fangeuses, livrée à la gabegie et à la corruption, préférant importer que produire, afin de maintenir un état de dépendance à l'égard d'une oligarchie se prévalant des valeurs de Novembre pour les démonétiser au Square Port Saïd ou à Barcelone, entre autres.
Et en 2024, à une poignée de jours d'un rendez-vous électoral de la plus haute importance pour l'ancrage de la démocratie participative dans le pays, le challenge qui se dessine est encore plus important que celui de 2019. Il s'agira cette fois, en effet, pour Abdelmadjid Tebboune d'opter effectivement pour le bilan pour convaincre. Certes, le devoir d'inventaire est un outil de la praxis démocratique, mais au point où est arrivée l'Algérie, ce serait presque insuffisant. Car, en cinq ans, l'appétit des Algériennes et des Algériens de vivre dignement n'a pas seulement augmenté, mais il s'est surtout d'autant affiné. L'ambition d'être un acteur responsable et maître de son développement n'est plus une utopie.
D'ailleurs, un des plus probants résultats récents, c'est que la société civile s'est de plus en plus éloignée de la marge dans laquelle on l'avait confinée des décennies durant. Maintenant, elle se sent de plus en plus concernée par l'enjeu économique et sociétal qui se dessine de plus en plus clairement.
Et à ce stade, il ne s'agit plus de parler de mérite à l'endroit d'Abdelmadjid Tebboune; servir son pays est un privilège, et il a été le premier à le revendiquer, on parlera plutôt d'intelligence. Celle de l'esprit et du coeur.
D'une certaine façon, Tebboune a opposé une fin de non-recevoir à la suggestion de Machiavel, optant plutôt, s'agissant de la promesse, pour une autre démarche philosophique. «Voir dans la promesse l'un des moyens de lutter contre ‘'la chaotique incertitude de l'avenir'': faire et tenir des promesses, c'est se donner la possibilité de créer de la certitude dans une vie ouverte et imprévisible. Chaque promesse est comme un îlot de sécurité.» (Hannah Arendt.) Et la politologue américaine Arendt d'expliquer que «c'est aussi cet effort-là, celui de tenir nos promesses qui assurent notre identité, parce qu'en tenant cette promesse, je suis reconnu par les autres comme un homme de parole, cet homme qui accomplit, un homme digne de confiance».
C'est sans doute là que réside la botte secrète du président Tebboune: la moralisation de la promesse.