Des larmes inutiles
Le vol est un grand fléau que les juges combattent grâce à l’application stricte de la loi.
À la barre, six adultes, âgés de 19 à 40 ans, étaient debout, vers les onze heures douze, tels des cierges, face à Nassima Saadâ, la rugueuse, mais charmante présidente de la section correctionnelle du tribunal. Parmi ces personnes, il y avait, outre une jeune femme 32 ans inculpée de vol, deux très jeunes individus, précisément, qui venaient de quitter le statut de «mineur», inculpés de vol et de complicité de vol, faits prévus et punis par l’article 350 du Code pénal, et deux personnes poursuivies de «recel de choses», fait prévu et puni par l’article 387 du Code pénal, et trois avocats dont deux pour la seule victime, flanquée de son mari qui ne tenait pas en place jusqu’au moment où la présidente, afin de prévenir tout incident, demanda au gus : «Vous êtes qui, Monsieur, pour gigoter de la sorte depuis que l’audience a débuté ? Voulez-vous nous fixer sur votre statut ?» Le Monsieur répondit qu’il était l’époux de la victime et qu’il était ici en qualité de... témoin.
La juge est rassurée, en ajoutant sans rire du tout, mais en fixant droit dans les yeux gris de l’homme qui ne revenait pas d’être maltraité de la sorte : «Hum, hum, ça va bien !» Mais que voulez-vous, elle détient seule la police de l’audience et, donc, elle demeure naturellement maîtresse à bord !
- Parce qu’en vous voyant, nous avons l’impression d’avoir en face de nous un véritable justicier, tant votre attitude me semblait autoritaire ! Et ce regard ! Ya Allah ! D’ailleurs, pour l’instant, un témoin n’a pas de place à la barre. Passez derrière la salle, nous vous rappellerons.
La juge avait fini son «petit savon» et était heureuse de se débarrasser du conjoint de la victime, dont elle comprenait la présence car, ne l’oublions pas, elle a dû certainement lire à fond l’ordonnance de renvoi dont elle est l’«esclave» par la seule force de la loi ! Puis, sans transition aucune, elle passe de suite à l’affaire du jour qui mettait en cause la voisine de la victime, qui aurait craché le morceau devant les flics et, surtout, le procureur de permanence. L’article 350 (loi n° 06-23 du 20 décembre 2006) du Code pénal qui dispose nettement : «Quiconque soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas est coupable de vol et puni d’un emprisonnement d’un (1) an à cinq (5) ans et d’une amende de 100000 DA à 500000 DA.
La même peine est applicable à la soustraction d’eau, de gaz et d’électricité. Le coupable peut, en outre, être frappé pour 1 an au moins et 5 ans au plus de l’interdiction d’un ou plusieurs des droits mentionnés à l’article 9 bis 1 et d’interdiction de séjour dans les conditions prévues aux articles 12 et 13 de la présente loi. La tentative du délit prévue à l’alinéa précédent est punie des mêmes peines que l’infraction consommée.»
La juge posa la question à l’inculpée, concernant les aveux faits devant la police et le représentant du parquet. La femme, enveloppée dans un costume ample marron, et strictement repassé, s’approcha prudemment du pupitre et fondit en larmes, accompagnées de gros sanglots hachurés. La magistrate resta de marbre, regarda bien l’inculpée, puis jeta un œil du côté du parquet, et s’exclama : «Inculpée, relevez votre tête pour constater l’émotion soulevée par votre ridicule crise de larmes !» La «petite» assistance, elle, était restée bouche bée devant, déjà, tant de retournements de situation.
Le calme plat plane dans l’immense salle d’audiences et seule la voix portante de Saadâ, en pleine ire, mais paradoxalement toujours sereine. Elle avertit l’inculpée quant à la vérité qu’elle détient depuis les flics qui l’avaient interrogée avec précision et modération. Elle avait répondu en toute sincérité.
«Vous avez dit la vérité avant de venir ici. Il n’est pas question pour le tribunal d’avaler votre nouvelle version !
La vraie, c’est que vous aviez le double des clés, que vous étiez le soir, assez tard, à la maison et que vous aviez pris tout votre temps pour chercher convenablement les bijoux de Madame et, au passage, la somme de deux milliards huit cent millions de centimes, le tout étant caché dans le fraiseur au milieu de légumes congelés. L’astuce de Madame n’a pas marché, car vous aviez tout votre temps pour la basse manœuvre qui consiste à manger dans la main qui tente de vous nourrir, et que vous mordez ensuite «mordicus», sans état d’âme !»
L’inculpée ne dit mot car elle était à court d’idées, pour la simple raison qu’elle ne pouvait se défendre autrement. Soudain, elle s’effondre tout en larmes. C’est le signe évident qu’elle s’est mise à table ! C’est pourquoi, dans un geste magnanime, la sympathique juge prit acte des demandes du parquetier et infligea sur le siège une peine de six mois d’emprisonnement ferme. Comme elle a déjà passé à l’ombre trente jours, il ne lui reste que cinq mois avant de recouvrer la liberté, jurant certainement, sur tous les saints, qu’on ne l’y prendrait plus !