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JOURNALISTE DU PARTI, DITES-VOUS DE RABAH MAHIOUT

Être journaliste se mérite

Dans ce beau métier, il en est «qui dit quelquefois ce qu'il pense, mais il pense rarement ce qu'il dit», affirmait, déjà en 1901, le chansonnier, poète de l'argot et écrivain français Aristide Bruant (1851-1925).

Pastichant quelque peu cet artiste frondeur, on pourrait peut-être dire qu'à une certaine époque, même à une époque certaine, le bon journaliste «était celui qui lisait son article le premier, mais ce n'était pas toujours vrai, car il était le dernier à le relire pour le corriger après sa publication». Qu'est-ce à dire? Remuons nos méninges...

Le propos et l'intention
Rabah Mahiout, un des journalistes de la première heure de la prise en charge du destin de la presse algérienne, nous raconte ses souvenirs incroyables, mais vrais se rapportant à un aspect perturbant de l'aventure journalistique exceptionnelle de l'Algérie indépendante, dès l'automne 1962. Il la raconte, en tout état de cause, avec l'émotion du militant nationaliste, le scrupule du professionnel et, surtout, avec la liberté et l'audace du témoin-acteur. Il évoque justement une vérité historique dans un essai à l'intitulé expressément chargé de ce puissant cri de révolte: Journaliste du parti, dites-vous? (*) Ce cri de révolte contre des reproches faits aux journalistes d'être tout aux ordres du Pouvoir des premières années de l'Indépendance, l'auteur essaie de le justifier - tout en l'expliquant - avec toute la force de sa passion de journaliste algérien. Il est scandalisé par les manoeuvres de propagande des «services psychologiques» de l'administration coloniale que des opportunistes et profiteurs des bienfaits de l'indépendance ont réutilisées à leur profit pour dénigrer les «autorités algériennes» de l'État algérien renaissant. Dans le flou de la course des «chefs», l'opinion jase: «La presse du parti est au service du pouvoir.» De fait, de quel rôle juste, la presse devait être entièrement engagée? Rabah Mahiout répond irrésistiblement: «Journaliste du parti, dites-vous?»
Par parenthèse, en d'autres circonstances historiques, au sujet du «colonialisme» et s'appliquant d'une certaine manière aux premiers temps de l'indépendance, Mouloud Mammeri, répondant à Jérôme, son ami, écrit: «Ta lettre m'a fait l'effet de me venir de Sirius - tant les préoccupations m'en semblent étrangères. Il y a donc encore des pays où l'on s'occupe encore de choses aussi exquisément inutiles que la littérature et les littérateurs! Vous êtes d'heureux hommes, Jérôme, sur les bords de la Seine. Ici des hommes meurent, des miasmes meurent, des pourritures meurent. Il naît aussi des espoirs chaque jour, des espoirs tenaces, têtus, monotones et sourds, si ancrés, si vrais que l'on accepte de mourir pour eux, pour que l'espoir des morts d'aujourd'hui soit la réalité des vivants demain. Chaque jour se lève sur son lot de cadavres et sa dose d'enthousiasme et tu me parles de littérature... [...] Je n'écris plus rien, parce que plus rien ne me paraît valoir la peine d'être écrit, plus rien que la tragédie, les larmes, le sang des innocents.(tous les innocents qui paient la faute du seul grand coupable, le colonialisme qui est ici votre second péché originel), et aussi bien sûr, l'enthousiasme, l'espoir têtu, tout ce qui, dans les douleurs de l'enfantement, sortira (et, j'espère, sortira bientôt) d'irrémédiablement bon de cette terre. (Revue Entretiens sur les Lettres et les Arts, numéro spécial Algérie, Lettre à un Français, pp.34-38, février 1957, éd. Subervie, Rodez, France).» Texte historique authentifié, il est d'un grand écrivain algérien engagé pour son pays et constitue des promesses tenues par la Libération nationale qui met fin, conclut Mouloud Mammeri au «mépris stupide de toute une race, un peuple, le mépris aveugle, bestial, inconsidéré. Mais force et mépris? À qui veut fonder une civilisation et qui dure, c'est un trop friable ciment. (op. cit. p. 38)» Ici s'impose une conclusion allusive bien de chez nous: «Wal hadîth, qiyâs!... Et le propos est à la mesure de l'intention.» Il faut donc entamer la lecture du livre de Mahiout en tenant compte exactement de la situation historique au moment de la naissance de la presse algérienne initiée par les autorités militaires et politiques de l'Algérie libérée du colonialisme. Le contexte politique de l'époque conditionne alors l'existence de la presse nationale.
Qu'en est-il? Le lecteur découvrira bien vite que l'auteur, Rabah Mahiout, mû par une passion digne, se propose souvent avec nostalgie, de narrer - documents à l'appui et témoignages indiscutables - l'évidence des faits de la juste histoire du journalisme national algérien à l'aube de l'indépendance de notre pays qui sortait victorieux, non pas seulement d'une guerre de libération. Il se débarrassait surtout, après 132 ans, d'une armée d'occupation au service d'un système colonial des plus sauvages et des plus réducteurs de l'esprit des peuples colonisés.

Les «aventures» et les «mésaventures»
Tout d'abord, Rabah Mahiout dédie son ouvrage aux tout premiers martyrs des grandes missions journalistes des tout premiers temps de la presse nationale: «Â la mémoire des collègues journalistes décédés dans l'accident d'avion survenu le 8 mars 1974 au Viêt-Nam. Ils étaient en mission pour couvrir la visite du président Houari Boumediene dans ce pays...» D'emblée l'émotion de Rabah Mahiout nous gagne, et nous le suivons dans son récit ténu, riche en informations, en épisodes historiques qui ne laissent pas indifférents, riches aussi en documents datés de première main (photos de confrères et de personnalités, coupures de presse et écrits divers). Il rappelle, dans le détail, son cursus de formation de journaliste en Algérie et ailleurs, ainsi que ses quelques-unes de ses importantes missions dans le pays et à l'étranger. On aura été sensible à son séjour forcé en Allemagne avec Mohammed Zinet, l'ami indéfectible qu'il a rencontré à Bonn, «dans le refuge aménagé par le FLN, à Bonner Talwer, pour accueillir les militants fuyant la police française. [...] Pour ma part, je me trouvais là, avec Ali Lahrèche mon ami et frère de combat, après avoir fui la police qui nous recherchait à Paris». Il détaille ses «mésaventures» avec la police française et ses arrestations et son licenciement, en 1961, de Radio Paris, puis, à l'indépendance ses débuts de journaliste à Alger. Compte tenu de son expérience dans le journalisme en France, il est recruté à Al Chaab, jeune quotidien national de l'Algérie indépendante, qui a occupé les locaux du journal «L'Écho d'Alger». Il y rencontre déjà plusieurs grands noms de la presse nationale naissante, dont Salah Louanchi. Peu après, il est dans le nouveau journal «Le Turf», dès sa création. Bientôt, il est «engagé» dans de nouvelles expériences qui renforceront sa formation et étofferont sa carrière. Ce sera: «Le voyage à Addis-Abeba» qui le révèlera à lui-même. Cette ville «haute» lui fait découvrir le vaste spectacle naturel et politique ignoré de l'Afrique subsaharienne et lui accorde le privilège d'assister à la naissance de l'OUA, le 25 mai 1963.
Ensuite, Rabah Mahiout nous fait revivre, des événements marquants de la jeune Algérie indépendante. Il souligne les rapports parfois simples, parfois compliqués, parfois naturels entre la presse et le régime du parti unique tout en insistant sur les objectifs politiques essentiels pour développer une société nouvelle ou apparaîtrait l'homme nouveau algérien... Dans plusieurs chapitres, il se consacre à préciser «Les mouvements de libération à Alger», «Le passage au parti», «Le préfet assiège le journal», et il en analyse les conséquences. Les décisions d'ordre politique se multiplient, par exemple, «L'arabisation est imposée», «Création de Algérie développement». Il en rapporte les «aventures» et les «mésaventures»... D'autres observations sont consignées avec la compétence d'un journaliste de grande conscience, soit donc: «Le Voyage au Maroc», «La délégation du FLN à Londres», «Reportages à la RTA», «Mines de l'Ouenza», «Les cabinets ministériels: les transports», «Une radio à Alger pour les émigrés»... À lire aussi:, «L'été 1965 à Paris», «Les obstructions», «Distribution publique du journal», «Bataille pour la carte de presse», «Interpellation par la PAF», «Interdit de visites officielles», «Un article sur l'intégrisme», «Le document litigieux», «La police s'en mêle», «Une nouvelle direction», «Sombre période», «Le forcing», «Chômeur sans indemnités», «L'épisode Ali Ammar»,...
Et sous aucun prétexte, ne ratez pas la lecture du dernier chapitre «Journaliste-restaurateur». Tout comme l'auteur, vous aurez à méditer l'avis de son imprimeur français de son journal «Alger Info International» qui a cessé de paraître le 26 mai 1996. Quelle leçon de morale professionnelle, éducative et instructive, reçue après tant de combats difficiles, que l'on ne regrette pas dans une vie de journaliste éclairé et passionné de tout ce qui touche son pays.
Eh bien! oui, c'est presque une vie d'amour compliqué, mais d'amour quand même... «Journaliste du parti, dites vous?», - lisez-le!

(*) JOURNALISTE DU PARTI, DITES-VOUS? de Rabah Mahiout Éditions El Othmania, Alger, 2015, 269 pages.

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