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La vie en livres

C’était Alger des années de feu

Elle n’a pas la langue dans sa poche Elaine Mokhtefi. Privilège de l’âge ? Pas seulement. C’est de famille, puisque son mari le regretté Mokhtar Mokhtefi a montré aussi dans son ouvrage « J’étais Français-musulman », éditions Barzakh, la même horreur de la langue de bois, des euphémismes, des circonvolutions et des entrechats. Et c’est tant mieux.

Au service de la cause algérienne à New York
C’est à Accra, capitale du Ghana, année 1960, que cette juive New yorkaise née Klein, établie à Paris, traductrice de fortune, fait la connaissance de deux militants algériens : Frantz Fanon et Mohamed Sahnoun. Le premier est ambassadeur du GPRA en Afrique avec comme lieu de résidence le Ghana, premier pays africain colonisé ayant conquis son indépendance. Le second est le délégué des étudiants algériens. Dès le premier contact le courant passe. Elle repart à New York pour revoir sa mère. Elle revit Mohamed Sahnoun qui étudiait à New York. Il eut envie d’elle, ça tombe bien, elle aussi : « Je ne m’étais pas trompée. Mon souvenir d’Accra où nous avions partagé des moments d’idéalisme intense et d’intimité s’était transformé en désir. » Sahnoun lui présenta Abdelkader Chanderli le représentant officiel algérien du bureau du GPRA. Celui-ci lui fit une offre d’emploi. Elle accepta. Portrait de Chanderli: « Cet homme de petite taille, chauve et bedonnant était généreux et doté d’un charme fou. » Son travail au bureau consistait en la préparation de communiqués de presse, de discours, de brochures. Le bureau algérien s’occupait aussi des militants malades à l’instar de Frantz Fanon, leucémique au dernier degré. Elle le croque en un portrait, peut-être le plus ressemblant qui ait été fait sur lui : « Fanon avait les yeux inquisiteurs, un visage long et la mâchoire saillante. Il était petit et trapu. L’impression qu’il dégageait était celle d’un homme intense, tendu et pressé. » Fanon fut hospitalisé dans un hôpital de Washington. Un jour il se redressera sur son lit pour dire à Elaine : « Ce n’est pas une mauvaise chose de mourir pour son pays. »

Une découverte belle et mystérieuse
En octobre 1962, elle débarque à Alger. Après le coup de foudre pour Sahnoun, c’est le coup de foudre pour notre capitale dont elle trouve la beauté aussi étonnante que mystérieuse. A Alger, c’est la liesse de l’indépendance. Elle emménage avec Mohamed Benyahia qu’elle avait bien connu à New York et d’autres camarades dans une belle villa au Paradou. Elle était vide et meublée. Elle était à prendre. Ils l’ont prise. Heureux temps où la crise du logement n’avait pas encore pointé le bout de son vilain museau.
Dans la foulée, et c’est ce qui rend si cinématographique ce récit, elle nous fait le portrait de Benyahia : « Frêle, clair de peau avec des yeux vert pâle qui clignaient sans cesse, il était connu pour sa probité et sa discrétion. Il avait étudié le droit, mais n’en faisait pas étalage. C’était un camarade gentil et généreux. » Elle trouve du boulot à l’Onat qu’elle quitte pour le bureau de la presse et de l’information de la Présidence. Elle devint l’assistante de Cherif Guellal, conseiller de Ben Bella. Maîtrisant l’anglais et le français, ce qui faisait d’elle un oiseau rare, elle s’occupa de la presse étrangère. Elle fut stupéfaite par la gabegie qui régnait en maître. « L’improvisation n’était pas une prérogative personnelle, elle était nationale. Son maître était Ahmed Ben Bella, qui en devint l’esclave et la victime. »Guellal affecté à Washington comme ambassadeur, elle se fait muter à l’APS. Elle constitua à elle seule le desk anglais. Et sa relation avec Sahnoun ? Clap de fin : « Lorsqu’il me décrivit une femme rencontrée en Tanzanie, avec ‘’une peau de satin’’, je sus que notre relation était fichue. »

A la rescousse des Black Panthers
En juin 1969, elle reçoit un coup de fil du représentant à Alger de l’Union du peuple africain du Zimbabwe. Il lui annonce une nouvelle de taille : Eldridge Cleaver est à Alger et il a besoin d’aide. Elle connaissait de réputation le ministre de l’Information des Black Panthers Party, écrivain à succès avec Soul on Ice, et dur à cuire qui avait fui les USA à la suite d’une sombre histoire où il fut accusé de tentative de meurtre. Frémissante d’impatience, la voilà à l’hôtel Victoria près de la Casbah. Devant elle se dresse un homme long comme un jour sans pain à côté duquel se trouve une femme, son épouse. « Il faisait deux fois ma taille. C’était un homme puissant dont le corps remplissait presque la petite chambre. » Il lui explique qu’il a été expulsé par les Cubains qui lui ont conseillé de se réfugier à Alger. Ne parlant ni français ni arabe, il était perdu. Il lui demande de l’aider afin qu’il puisse rester en Algérie. Elle appelle Slimane Hoffman, chef du bureau FLN chargé des mouvements de libération. Hoffman, ancien moudjahid de mère algérienne, doit son nom à son père légionnaire. Il lui répond « Sans problème », avec une condition : que la présence de Cleaver soit faite par Algérie Presse Service (APS). La question que pourrait se poser le jeune lecteur est : mais pourquoi tous les mouvements de libération se sont établis à Alger dès 1962 ? Réponse du témoin Elaine : « L’Algérie avait adopté une politique de portes ouvertes, d’aide aux opprimés, d’accueil des mouvements et d’opposition, et de personnalités persécutées. » Même s’il était choyé comme un coq en pâte, Cleaver ne se sentait pas chez lui à Alger. Il collectionnait les conquêtes, mais n’était point conquis par le pays. En décembre 1972, Elaine aida Cleaver à s’établir en France. Sur les BP, elle a ce mot définitif : « Ils ne se sentaient pas leurs hôtes, ne comprenaient pas leur politique ni leurs réserves, et ils les sous-estimaient. »

Expulsée par Ben Bella
Son amitié avec sa consœur de l’APS Zhor Sellami, l’épouse de Ben Bella, fut compromettante pour l’américaine. Un jour la voilà embarquée par deux agents de la S M pour se retrouver en face du capitaine Ghaouti, plus connu par la suite sous le nom de colonel Tounsi. Il lui demanda de l’informer sur les activités de Zhor Sellami. Elle refusa. Il la menaça d’expulsion. Elle informa Zhor Sellami qu’elle ne pouvait plus ni la voir ni lui parler. De nouveau menacée par la SM, elle fit part de sa situation au ministre de l’Information Mohamed Benyahia qui régla son problème. Ce n’était qu’un répit. Deux ans plus tard elle fut convoquée de nouveau par la SM. Même proposition de collaboration. Même refus de sa part. Elle mit au parfum Cherif Belkacem, un proche de Boumediene. Il fut indigné. Il promit de régler définitivement cette question. Il ne régla rien même s’il se démena comme un beau diable. Il comprit qu’il n’était plus en cour. Elle fut expulsée manu militari de ce pays qu’elle aimait d’autant plus qu’elle avait rencontré l’homme de sa vie : le moudjahid Mokhtar Mokhtefi qui la rejoindra aux Etats-Unis. Livre foisonnant de détails sur Alger la révolutionnaire, livre indispensable pour toute personne qui a la nostalgie de cette période. Ce récit superbe l’aidera à mieux recadrer les choses et se dire qu’à cette époque si l’Algérie fut grande, les Algériens vivaient petitement sous une dictature qui les privait de tout. Mais qui leur donnait l’illusion d’une certaine grandeur.

Par Meriem Sakhri

De Quoi j'me Mêle

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