Rayane Mcirdi, réalisateur franco-algérien, à L'Expression
«Fier de représenter l'Algérie à Cannes»
On ne pouvait voir le film sans interroger son réalisateur qui nous parle ici à bâtons rompus de sa dernière oeuvre et de ses motivations...
L'Expression: Votre nouveau court métrage Apres le soleil suite à d'autres films qui évoquent tous des histoires de familles intergénérationnelles.... Une thématique bien précise ou un fil rouge se dessine à travers tous vos films et vidéos d'art, celle de ces familles maghrébines issues de l'émigration. C'est cela que vous voulez mettre en avant?
Rayane Mcirdi: J'ai toujours été très friand de mon histoire familiale. Arrivé à l'âge de la maturité vers 18, 19 ans, je me suis rendu compte que l'histoire que je connaissais était quand même très modifiée. Il y a la question taboue de la guerre d'Algérie qui me frustrait beaucoup. Je me suis dit à un moment qu'il fallait que je mène une petite enquête pour comprendre l'histoire de ma famille. C'est parti de ma grand-mère qui était très réservée sur sa vie. Parallèlement à cela, je faisais des études à l'école des beaux- arts, où je m'intéressais beaucoup au cinéma, le moyen le plus populaire d'après moi, pour faire parler les gens. C'est parti de cette volonté- là. Pour moi les histoires doivent être justes et belles et le meilleur moyen que j'ai trouvé, c'est de partir de ma propre famille.
Vous avez pris donc la fin de votre film Le jardin pour écrire le scénario de cette fiction Apres le soleil?
C'était une scène dans le film Le jardin en effet. En gros, ce dernier raconte l'histoire de ma mère et mes tantes qui sont la première génération d'émigrés en France dans les années 1960/1970. Je leur ai demandé de me raconter leur vie. Elles me disaient, en terme d'identité que c'était très dur pour elles, car on leur demandait d'être algériennes à la maison et françaises dans la rue, tout en soulignant que le seul moment où elles se sentaient bien dans l'année, c'était pendant le voyage qu'elles faisaient pour aller en Algérie. C'est ce moment entre deux qui les intéressait. Je trouvais cela tellement beau que je me disais qu'il fallait couper cette scène dans Le jardin et en faire carrément un film..Ce qui a donné Apres le soleil.
Comment s'est fait le choix des comédiens?
Sonia Faidi était une évidence. J'ai travaillé sur le scénario avec ma famille, parce que c'était quand même leur histoire personnelle. J'ai présenté les profils de filles à ma mère et mes tantes pour le choix du casting pour qu'elles le valident. Il y avait une prérogative pour le casting. Il fallait que les gens soient beaux comme les membres de ma famille. Pour le père, on s'est inspiré de mon grand-père qui était très doux et très sévère à la fois. C'était super de travailler avec Bellamine. Il fallait trouver un équilibre entre un père à la fois autoritaire et très aimant envers ses enfants. La diction a été faite en fonction d'archive de ma famille. Bellamine a trouvé l'accent, en mimant mon grand- père.
Avez-vous connu ce cheminement étant enfant c'est-à-dire revenir au pays pour les vacances, puisque, justement, le récit est raconté par le prisme du regard d'une adolescente qui se souvient..y a t-il des réminiscences de votre enfance dans ce film?
En fait, enfant, je ne suis parti qu'une seule fois en Algérie, ça a duré quatre jours et ça m'a marqué. On l'avait fait en voiture. On partait en vacances soit pour le Maroc ou en Espagne. Ma mère m'évoquait souvent cette forme de liberté qu'on garde, qu'on éprouve quand on fait ce voyage en voiture et c'était intéressant pour moi de pouvoir relier ces deux histoires-là. La mienne et celle de ma mère.
En fait, le personnage principal est ma mère. Sonia avait un rapport assez privilégié avec elle. J'en étais un peu jaloux. J'assistais à des discussions entre elles. Ma mère racontait beaucoup plus de choses à Sonia qu'à moi.
Là, où réside l'intérêt du film est dans ce dialogue des générations. Avec ce film et dans Le jardin je m'interroge sur ce que représente cette génération pour nous. Même politiquement: qu'est-ce que c'était de naître en France alors que la guerre d'Algérie venait de finir? J'ai besoin de comprendre ces choses là.
Et quel est votre rapport aujourd'hui avec le pays de vos origines?
C'est un rapport très proche. J'ai grandi avec ce pays. Mais comme je vous l'ai dit, je n' y suis parti qu'une seule fois dans ma vie. J'ai plus eu un rapport fantasmé avec l'Algérie, ce pays dont tout le monde parle dans ma famille, mais avec un sentiment bien apaisé car on en a tellement bien parlé que j'en garde une image très affectueuse vis-à-vis de ça..
Le côté vieilli des photos analogiques vers la fin, bravo! Très réussi ce travail esthétique! Ça me rappelle que vous avez fait des études en arts visuels...
à la base je suis très cinéphile. J'aime beaucoup le cinéma expérimental et le cinéma asiatique. Beaucoup de réalisateurs m'ont permis de m'affranchir des formes classiques du cinéma. J'ai eu beaucoup de chance, car mon grand-père aimait beaucoup la photographie, il a beaucoup documenté sa vie en fait. Il faut savoir que j'ai des photos de mes arrières grands- parents. J'ai un rapport très affectueux envers ces photos-là. Au départ, je voulais les utiliser dans le film car il fallait les intégrer dans la mise en scène du film, c'est pour ça que le ratio du film est un format photographique. Même dans l'aspect du film, à l'étalonnage on a choisi cet aspect jaunâtre un peu vieillissant pour se rappeler justement cette époque-là.
Ça fait quoi de représenter d'une certaine manière l'Algérie par votre film au festival de Cannes?
J'en suis très fier. C'est quand même une histoire algérienne. Ce film est un pont entre deux pays, qui sont mes deux pays de coeur.