Elle est au coeur de la polémique
Inaâm Bayoudh, une salamandre algérienne...
Les gardiens autoproclamés d'un temple fantasmé, ces «Frères Monuments» qu'avait identifiés en son temps Kateb Yacine, ont surgi.
Dans Fahrenheit 451 de Bradbury, Montag, le pompier pyromane, et sa brigade ne luttent pas contre les flammes, mais se chargent plutôt de mettre le feu aux livres, aux bibliothèques.
«451!» Le chiffre qui représente, en Fahrenheit, la température à laquelle se consume un... livre! C'est glaçant!
Déjà, en 1966, c'est l'ouvrage d'une femme, Fadela M'rabet, Les Algériennes, qui sonnera l'hallali, ce son du cor annonçant la victoire du chasseur sur la bête aux abois...
Le silence alentour est assourdissant devant cette pyromanie déclarée, en toute impunité. Est-ce un remake d'un film d'horreur qui est en train de s'écrire à nouveau? Au feu, les pompiers!
Dans les années 1990, d'un gigantesque accouplement incestueux, des milliers de «451» virent le jour et menèrent une croisade messianique de «purification» et de rédemption d'une société dont le «tort» cardinal aura été sa réticence à caresser la Pensée dans le sens de leur poil hirsute, signe ostentatoire d'une croyance dénaturée, fanatique et meurtrière. Cela dura une décennie et coûtera 200 000 vies, qualifiées d'impies. Et dans ce décompte macabre, les femmes étaient toujours en tête de liste, comme un peu partout dans le monde, du reste... Aujourd'hui, ces mêmes Cavaliers de l'Apocalypse enfourchent leurs canassons pour mener bataille contre une inlassable vigie des lettres, Inaâm Bayoudh, une passeuse du verbe, via l'Institut des traducteurs d'Alger, qu'elle dirige depuis 2004, pédagogue et romancière auteur du savoureux Les poissons s'en fichent.
Inaâm Bayoudh et son roman Houaria (Prix Assia-Djebbar, juillet 2024), qu'ils n'ont pas forcément lu, alors que le livre était disponible au dernier Salon du livre d'Alger (Sila), en novembre 2023, se retrouve ainsi dans l'oeil du cyclone.
L'écrivaine est coupable, à leurs yeux, d'avoir mis en bouche des mots indécents (sic) - pourtant pas si rares que cela, au quotidien surtout, chez ceux qui ont dans le regard ce goût amer d'une vie aussi triste qu'une peine à vivre... Les gardiens autoproclamés d'un temple fantasmé, ces «Frères Monuments» qu'avait identifiés en son temps Kateb Yacine, ont donc surgi des ténèbres pour désigner le coupable de tous leurs maux: une femme! Pire encore, une lettrée! «Plus pire» (néo barbarisme linguistique local), c'est en arabe que ces mots sont écrits!
Reste à souhaiter que Houaria, le personnage-lige du roman de Inaâm Bayoudh, ait une petite sororité avec Clarisse, celle qui, dans Fahrenheit 451, demandera à Montag, le pompier, brûleur de livres depuis des générations, s'il était heureux.
Une question simple, du moins en apparence, mais qui va faire germer en lui un interminable doute, salvateur au final, car Bradbury l'aidera au final à réaliser que la réponse est dans les... LIVRES!
En attendant «Clarisse/Houaria», c'est Inaâm Bayoudh, et par sa présence dans le champ éditorial, qui semble tourmenter ces hordes de Torquemada, telle cette Salamandre qui, selon la légende, surgit des feux de bois, ne craignant ni les flammes, ni leurs cendres.
«Seule une lecture réformiste, éthique et humaniste (des textes) pourra mener à la libération des êtres humains. Cette prise de conscience a du mal à émerger (...) en raison de la prédominance de la tradition et de la peur de perdre ses repères», rappelle l'essayiste marocaine Asma Lamrabet. Cela fait penser à l'accueil fait au roman de Malcom Lowry Au-dessous du volcan, qui avait porté l'humanité «à son plus haut degré d'incandescence». D'une certaine façon, Inaâm Bayoudh s'est aussi penchée, et à sa façon, sur ce volcan que l'on appellera plus tard la «décennie noire». Et le critique de rappeler que «c'est le propre des chefs-d'oeuvre littéraires que de rester non pas inconnus mais souvent hors de portée, de heurter la logique et les habitudes». Le quartier oranais «incriminé» dans Houaria s'appelle Eckmühl («même El Kimine est devenu Chicago», dit la chanson raï), que la narratrice aura vitrifié dans sa période la plus sombre et la plus sanglante, celle des années 1990. «El Kimine» qui aura payé sa dette de sang, elle aussi, pour que la République ne tombe pas. «Houaria» y était!
Inaâm Bayoudh aura également eu ce véritable trait de génie, en introduisant, en fil rouge, une chiromancienne (une chawafa), ce genre de personnage (presque) d'utilité publique, surtout lorsque l'aiguille de la boussole n'était plus en mesure d'indiquer le Nord. C'est plutôt l'évocation de ces temps tourmentés, frappés du sceau de l'obscénité, mortelle dans la majorité des cas, qui pourrait choquer. Ce serait presque une saine réaction. Mais l'amnésie mâtinée de misogynie a déjà occupé la place... L'agénésie, par contre, semble bien présente chez ceux qui sont prompts à se déchaîner sur un écrit.
Pour l'heure, Inaâm Bayoudh tient tête à ces analphabètes de la pensée, adeptes d'une idéologie machiste avérée, avec ses mots, son roman. Comme ses personnages, Inaâm Bayoudh a de la densité, dirait John Irving. Merci de nous donner un peu de ce courage, Madame!