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Nadjib Stambouli (journaliste)

«L'écrivain qui dort en moi»

Nadjib Stambouli est l'un des plus anciens journalistes culturels. Ces dernières années, il a, tout comme pas mal de journalistes, écrit son premier roman. Puis d'autres ont suivi. Il s'agit de «Le comédien», «Le fils à maman ou la voix du sang», «La rancune» et, tout récemment «Le mauvais génie», publiés chez «Casbah Editions».

L'Expression: Peut-on savoir comment s'est effectué le passage à l'acte de l'écriture journalistique, plus particulièrement la chronique, à l'écriture romanesque?
Nadjib Stambouli: Ce passage, qui ne relève pas, d'ailleurs, de la rupture, mais de la continuité, n'a rien d'original, c'est un cheminement classique, puisque j'estime qu'en tout journaliste il y a un écrivain qui sommeille et c'est à plusieurs éléments de le réveiller. Parmi ces éléments, on peut citer, hormis les nécessaires envie et vocation, des conditions externes, telles que la disponibilité (même si pour moi rien n'a changé dans ce registre précis) et un concours de circonstances qui convergent toutes vers l'acte de publication d'un livre. C'est en soi une consécration, un aboutissement et en même temps le point de départ d'une vie d'écrivain (je n'aime pas le mot carrière, du moins pour moi) que tout un chacun espère la plus longue possible. Dans cet espoir de longévité, que le lecteur se sente concerné, lui le principal carburant, est un facteur non négligeable, pour ne pas dire déterminant.

Après votre recueil de chroniques, et avant votre premier roman, vous avez publié un recueil de portraits de personnalités culturelles, comment a germé l'idée d'écrire ce livre, qui n'est pas passé inaperçu comme vous le savez?
Ce livre «Ma piste aux étoiles», dont le titre m'a été suggéré par le regretté Mouloud Achour, directeur éditorial de Casbah Editions, en référence à une ancienne émission télé, est un ensemble de 18 portraits dont j'ai écrit le premier, sur mon ami Tahar Djaout comme ça, spontanément, loin de toute circonstance, genre anniversaire ou autre. Je l'ai proposé à lire sur un réseau social à une amie, qui a été enchantée par cette «boule d'émotion» selon ses termes, et qui m'a encouragé à en écrire d'autres. Il y a eu ensuite l'hommage à Sonia, Agoumi, puis Alloula, puis Mekbel, Martinez et tous les autres amis, (en plus de mon père Mahboub et de son ami El Anka), vivants, mais pour la plupart disparus. La préface de Arezki Metref a été le «plus» injectée dans ce livre auquel je tiens particulièrement, recueil dont la qualité réside moins dans mon style propre que dans la qualité des personnalités décrites et de leur apport à nos arts et notre culture. Des dizaines d'autres figures artistiques et intellectuelles tout aussi proches de moi auraient mérité leur place dans ce livre, mais le désir de publier au plus vite a été le plus fort. Quant à éditer une suite, ce qui m'a été demandé et même revendiqué, j'ai longtemps hésité puis arrivé à l'idée d'écarter ce projet-bis, parce que j'estime, à tort ou à raison que ça relèverait de la recette, au sens de rentabiliser un succès de librairie, ce qui va à l'encontre de mon intention initiale. De plus, fructifier la mémoire des êtres chers, ce n'est pas pour moi... Je laisse cette tâche aux nécrophages qui bâtissent leur réputation sur celle des autres.

Pouvez-vous nous parler de votre tout premier roman, comment avez-vous écrit les premiers mots, les premières lignes?
Mon premier roman, j'en ai écrit la première ligne, donc un assemblage de mots et de verbes, en n'ayant aucune idée de la suite, ni de la trame ni du déroulement de l'histoire. La seule vague idée était que cela allait tourner autour du théâtre. Cette première phrase me trottait dans la tête depuis quelques heures, je l'ai trouvée belle, j'ai eu envie de la partager, de ne pas la garder pour moi, et je l'ai couchée sur papier. Plutôt sur écran... La suite est venue au fur et à mesure, un paragraphe donnant le suivant qui donne un chapitre puis un autre, comme si je découvrais le roman au fil de son écriture.

Parlons du style d'écriture, déjà en tant que chroniqueur, votre style est atypique et suave. Pour quelqu'un qui a l'habitude de lire vos chroniques sans avoir lu vos romans, pouvez-vous lui dire où réside la différence entre les deux genres d'écriture?
À l'intérieur de l'écriture journalistique, il y a déjà une différence, entre l'article de presse classique, couverture ou enquête, et la chronique où l'on peut se permettre un apport plus personnel, avec des figures de style, de l'humour et même des effets de manche. La chronique est plus proche de l'écriture romanesque, au moins parce que cette dernière n'a pas pour socle l'exigence de l'information et le rapport étroit à l'actualité. Donc l'écriture littéraire peut sembler plus libre, bien sûr moins balisée par le délai de remise, hantise du journaliste. Mais bien sûr, le genre littéraire a ses règles, la première étant la maîtrise de la langue, mais aussi, par-delà la soumission (ou non) aux techniques d'écriture du roman, description, sens du détail, souci du rythme, cadrage des dialogues, il y a le désir de partage du récit et de l'émotion chez l'écrivain. Ceci dit, si le journaliste se doit d'obéir à un ensemble strict de règles pour écrire son article, l'écrivain peut se permettre tous les écarts, et c'est à la critique, surtout au lecteur de trancher en dernière instance. En d'autres termes, la seule recette pour faire un bon roman, c'est qu'il n'y en a pas.

Vous venez de publier un nouveau roman chez Casbah Editions, pouvez-vous nous en parler?
Sorti des presses cette année, «Le mauvais génie» aborde les tiraillements du personnage principal, cadre moyen dans une entreprise de construction, face aux tentations de la corruption, celle dite ordinaire et qui n'en est pas moins un fléau ravageur dans la société algérienne, dont je décris également ce qui me semble la distinguer, dans ce qui est bon et surtout moins bon. Ce ne serait pas casser un suspense que de préciser que «Le mauvais génie» qui donne le titre au roman n'est pas le personnage principal, mais un autre, qui tire les ficelles et pose les pièges et les appâts pour attirer la victime potentielle et la transformer en coupable potentiel de corruption. C'est cette lutte larvée entre tentation et résistance, faite de rebondissements, qui est décrite dans ce roman.

Pourquoi avoir attendu autant de décennies, au cours desquelles vous vous adonniez à l'écriture journalistique, pour franchir le pas vers le roman, en sachant que l'idée existait et sommeillait dans votre esprit depuis très longtemps?
Ma seule réponse est que j'aurai bien aimé commencer à écrire, au sens littéraire, bien plus tôt, pourquoi pas mener de pair les deux voies, comme le faisait d'ailleurs Djaout, qui était ami et collègue durant mes premières années dans la presse, à Algérie Actualité et Ruptures. Metref, Mouloud Achour, bien avant nous Dib, Kateb Yacine et Djamel Amrani, et la quasi-totalité des journalistes culturels arabophones ont aussi réussi cette coexistence. Mais si l'envie existait en moi d'écrire des livres, mon côté velléitaire a été plus fort et Dieu merci, le passage au littéraire a fini par arriver, sous le sceau de «mieux vaut tard que jamais»...

Maintenant que vous avez publié plusieurs romans, vous sentez-vous plus journaliste ou écrivain, lequel des deux choisiriez-vous si vous ne devriez opter que pour un seul genre? Pourquoi?
Je pense sincèrement que tout en m'estimant jeune, au moins d'esprit, à mon âge, il est trop tard pour changer et extirper de moi ma nature de journaliste. Je le voudrai, mais je ne le pourrai pas, puisque je travaille toujours dans le domaine, en tant que responsable de publication de surcroît, ce qui n'est pas l'idéal pour se consacrer pleinement à l'écriture romanesque. Si je devais choisir entre journaliste et écrivain, ma pulsion première irait vers la seconde vocation. Les raisons sont multiples. D'abord, sans verser dans le passéisme et n'étant pas porté sur l'extase devant le glorieux passé, du style «ya assaifi 3ala ma madha», je trouve que la situation de la presse, sa régression à tout point de vue, humain, moral et professionnel, n'incite pas à y voir un univers d'épanouissement, même pour une fin de carrière. C'est aussi sous un autre angle ma profession, mon «ce que je fais dans la vie», donc je ne veux pas cracher dans la soupe, celle d'un milieu où j'ai connu et continue à connaître des personnes merveilleuses. Si, toutes choses égales par ailleurs, y compris celle du moyen de vivre, j'avais à choisir, j'opterais pour l'écrivain, au moins pour les très gratifiantes rencontres avec les lecteurs. Et aussi, parce que c'est un rêve de gosse, que je suis en train d'accomplir, d'ailleurs.

Vous avez, depuis vos débuts dans le journalisme, baigné dans l'univers culturel algérien. On ne peut pas vous demander de nous en parler, car ça nécessiterait un livre de 500 pages. Mais si vous ne deviez nous parler de cette grande expérience dans le journalisme culturel qu'en quelques lignes, que diriez-vous et quelles sont les trois personnalités culturelles que vous citeriez?
D'abord, et paradoxalement, la vie artistique et culturelle était beaucoup plus riche à l'époque très détestable du parti unique. Je pense que l'intrusion de l'argent, qui peut être un moteur, mais pas comme c'est le cas avec l'ancrage de la mentalité d'assisté, pas pour tous évidemment, a castré en grande partie la créativité, sauf dans le monde des arts plastiques et à un degré moindre, deux ou trois exceptions dans le théâtre. Pour le journalisme culturel proprement dit, j'ai eu le privilège de travailler dans la prestigieuse rubrique culturelle d'Actualité et d'y côtoyer les plus belles plumes du pays. Il est plus que regrettable de voir les rubriques culturelles disparaître de nos journaux les unes après les autres, sauf de rares quotidiens, dont le vôtre. Mais pour qu'il y ait des rubriques culturelles solides, il faut que la critique ait à sa disposition une vie culturelle riche à accompagner, à promouvoir et bien sûr à critiquer. Le constat qui atteste du contraire saute aux yeux, avec le vide ambiant.

Vous avez sans doute lu des romans avant de commencer votre parcours journalistique, quels sont les deux ou trois titres qui vous ont subjugué dans votre jeunesse «si lointaine»?
Merci de me rajeunir en évoquant ma jeunesse «si lointaine»!... Mes toutes premières lectures ont été, au même titre qu'une partie de ma génération, La comtesse de Ségur, suivie du Club des cinq pendant l'adolescence, ensuite Hugo, Zola, Colette, Fenimore Cooper et beaucoup de poésie. Tous les romans lus m'ont marqué, à des degrés divers, mais j'en retiens «Le Zéro et l'infini» de Koestler, «Cent ans de solitude» de G.G. Marquez, «Alexis Zorba» de Kazantzakis et «Le pape vert» d'Asturias.

Quand vous écrivez vos romans, vous arrive-t-il de penser à des écrivains et à des passages de romans qui vous influencent directement?
Les écrivains qui importent dans ma vie, cette formule n'est pas exagérée, ainsi que leurs passages marquants, j'y pense souvent, mais pas pendant que je suis en phase d'écriture. Il se peut que j'y pense, mais inconsciemment. Et comme je n'ai pas accès à mon inconscient, je ne m'en rends pas compte...

Ecrivez-vous pour oublier que vous êtes journaliste-chroniqueur ou pourquoi exactement?
Non, du tout, je n'écris pas pour oublier ma casquette de journaliste-chroniqueur. D'ailleurs, je n'écris pas pour oublier quoi que ce soit. Je doute que l'écriture soit la meilleure thérapie pour nourrir l'amnésie, ne serait-ce que partielle. Au contraire, l'écriture exige la réflexion, la concentration et la lucidité, sur soi, sur sa société et sur l'univers qui nous entoure, pour mieux rendre ces éléments par le biais de la fiction et de la parabole.

Quelle est la chose que vous regrettez le plus dans votre parcours de journaliste culturel?
Entre regrets et remords, la nuance est très fine, et la paroi est souvent poreuse. Je n'ai, bien sûr, pas de remords de critique culturel. Pour les regrets, dans le sens de souhaiter revivre des moments passés, la vie culturelle et artistique était gorgée de vitalité et ce serait enfoncer une porte ouverte d'affirmer qu'on pense à cette époque avec serrement de gorge et regret. Mais comme je l'ai dit plus haut, ressasser «c'était mieux avant», ce n'est pas mon style de pensée et de ressenti.

Etes-vous prêt à écrire vos Mémoires de journaliste culturel pour partager votre immense et riche parcours dans ce domaine?
Oui, pourquoi pas, mais pas pour le moment. J'ai la faiblesse de croire qu'on invite quelqu'un à écrire ses Mémoires lorsque sa vie commence à se conjuguer au passé...

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