Beihdja Rahal, interprète et enseignante de musique andalouse, à L’Expression
«La préservation du patrimoine est ma priorité»

L'Expression:Vous venez de sortir votre 30eme album qui célèbre aussi vos 30 ans de carrière; un mot là-dessus.
Beihdja Rahal: Lorsque j'ai enregistré mon premier album, il était impensable pour moi d'arriver à 30. Il n'est pas évident d'interpréter et d'enregistrer la nouba sur une longue durée car c'est la partie la plus difficile du patrimoine andalou. C'est toute une vie de travail. La nouba zidane enregistrée en 1995 après 21 ans de formation a beaucoup plu. C'est ce qui m'a encouragé à continuer et à doubler d'efforts pour donner le meilleur à chaque fois.
Pourriez-vous nous parlez de cet album et ce qui le distingue des autres?
Cet album est très particulier car c'est le 30è, un chiffre rond! Il y avait beaucoup d'émotion au moment de l'enregistrement car je pensais au double évènement à fêter le jour de sa sortie. Sans oublier que depuis mes débuts, j'ai acquis plus d'expérience et une certaine maturité. Dès que je rentre en studio, je sais exactement ce qu'il faut faire et comment le faire. Cette nouba est un mezdj entre deux modes, le mezmoum et le rasd avec un tchambar âraq en introduction. La nouba est accompagnée par un livret qui comporte toute la poésie chantée et sa traduction en français par Mohamed Belarbi. L'enregistrement a été réalisé au studio Casbah et distribué par Ostowana.
Comment se fait le choix de la nouba et des morceaux?
Lorsque je suis en studio et que je l'annonce sur les réseaux sociaux, le public qui me suit devine le mode de la nouba que je suis en train d'enregistrer. Il sait que je suis dans la préservation du patrimoine et dans la continuité. Cet album est le dernier de la série des mezdjs que j'ai entamé en 2017. Je pense souvent à des morceaux rarement interprétés ou moins connus.
Quel regard portez-vous sur l'ensemble de votre carrière?
J'ai commencé la musique en 1974 au conservatoire d'El-Biar. Ã l'époque, on ne pensait pas carrière, on pensait juste formation. Jamais je n'avais imaginé faire carrière, surtout que pour nous, c'était plus un milieu masculin. Nos professeurs, nos maîtres étaient des hommes. Il n'est pas facile de pénétrer un monde masculin, la femme s'est imposée par son travail et sa personnalité. On n'a rien sans rien. La rigueur, la persévérance sont la clé de la réussite. Je rencontre des jeunes qui me disent que je suis leur modèle, quel honneur.
Pensez-vous réunir un jour tous ces albums en un coffret?
C'est déjà fait. J'ai sorti un coffret de 11 CD en 2004, un autre de 5 CD et un DVD en 2012; puis l'Onda a regroupé 27 de mes albums dans un autre coffret intitulé Beihdja Rahal, un maître au féminin en 2019. Pourquoi pas éditer un coffret regroupant la totalité de ma discographie à l'occasion des 30 ans de carrière.
Qu'est-ce qui vous a poussée durant toutes ces années à sortir tous ces albums?
Au départ, c'était par plaisir. Avec le temps, c'est devenu une priorité. C'est par souci de sauvegarde de ce legs ancestral que j'ai pensé aux enregistrements. La musique andalouse fait partie de notre identité culturelle. Je suis fière de l'interpréter et de la faire découvrir dans le monde; mais il est important, voire urgent de la fixer par les moyens actuels pour la postérité. Tous mes albums sont depuis 2022 disponibles en streaming sur les plates-formes digitales. Les jeunes écoutent la musique sur leur téléphone, il était indispensable de mettre la nouba à leur disposition. Certaines associations musicales en Algérie travaillent sur mes albums, un honneur pour moi.
La sauvegarde du patrimoine andalou est une mission impériale chez vous. Comment faites-vous pour vulgariser cette musique auprès des plus jeunes?
Je suis en France depuis 1992, j'ai commencé à donner des cours d'andalou à partir de 1998. J'ai ensuite créé l'association Rythmeharmonie à Paris en 2008 dans le but d'initier les personnes intéressées à la nouba et au riche patrimoine arabo-andalou d'Alger. Notre école a débuté avec une seule classe de 10 élèves. Elle est, à présent, à plus de 80, répartis en cinq classes. Trois classes d'adultes et deux classes d'enfants. La demande est de plus en plus grande, en particulier auprès de la communauté algérienne. J'ai eu la chance d'être formée par des maîtres dans ce domaine, à mon tour d'assurer la transmission et la relève. C'est un devoir. En plus des cours à Paris, j'assure des master class au sein de l'Institut international des musiques du monde IIimm à Aubagne (région Paca) et de l'Académie internationale de musique et des arts Acma à Alger.
Un concert pour l'occa-sion?
Pour ce double évènement je serai en concert à Paris au Centre culturel algérien le vendredi 17 janvier à 20h30 puis à Alger à la salle Ibn-Zeydoun le samedi 1er février à 18h00. Le concert de Riad-El-Feth est organisé par l'Onci en partenariat avec l'Oref. J'ai invité Nassima Haffaf, lauréate du concours Abdelkrim Dali. Elle a eu le Premier Prix en 2022. C'est ma manière d'encourager la jeune génération qui oeuvre pour la préservation de la nouba. Il y aura d'autres dates pendant le Ramadhan.