Mohamed El Keurti, Écrivain, à L’Expression
«Le ciné-club de Mascara reprendra bientôt»
Mohamed El Keurti est l’auteur du livre Nouvelles de l’infra-monde (Casbah éditions). Ancien enseignant d’anglais, Mohamed El Keurti est un passionné de littérature, de bande dessinée et de cinéma. Il préside une association culturelle qui anime le plus ancien ciné-club d’Algérie, en activité depuis 1987.

L'Expression: Comment êtes-vous passé de la lecture à l'écriture?
Aomar:N'ayant pu accéder à l'univers du cinéma, bien que j'aie réussi à un concours organisé par la Télévision algérienne et signé un contrat de sept années- le concours a été révisé-, en 1976 ou 77, et n'ayant pas suffisamment de talent comme dessinateur pour faire de la bande dessinée dont j'étais un passionné, il me restait l'écriture pour m'exprimer. Etant un bibliophage à l'époque, je voulais moi aussi, à l'instar des auteurs que j'admirais, raconter des histoires et émerveiller de probables lecteurs.
Votre passion qui remonte à très longtemps pour la littérature et le cinéma est-elle due à vos lectures de jeunesse? Quelles ont été ces lectures? Ou y a-t-il d'autres raisons qui vous ont poussé à vous investir à ce point dans la littérature et le cinéma?
Bizarre que mes premières lectures d'enfance sont celles qui me semblent avoir décidé de mes inclinations d'adulte: les ouvrages de la comtesse de Ségur, la série Le club des cinq d'Enid Blyton et, probablement les Six compagno,s de P-J Bonzon. Mais il est évident que c'est avec les oeuvres de Steinbeck, la découverte de la littérature de science-fiction et du fantastique-en particulier grâce aussi à l'influence d'un ami et mentor, le défunt Tabti Daho, grand amateur de SF (lui-même auteur du seul polar édité chez Casbah Editions- qui avaient même décidé d'initier une collection «thriller», suite à ce premier titre), que l'envie devint plus forte de m'investir dans la lecture. Pour le cinéma, c'est presque naturel puisque déjà passionné de bande dessinée et celle-ci étant un mode d'expression qui tient autant de la littérature que du 7eme art, cela me semble aller de soi.
On a remarqué qu'en Algérie, beaucoup d'écrivains ayant effectué leurs études universitaires et leur parcours d'enseignant en anglais, écrivent en français quand il s'agit de littérature, pouvez-vous nous expliquer ce phénomène?
J'enseignais l'anglais, mais mes lectures se faisaient en français et même si je ne suis pas féru de cinéma français, je voyais les films dans leur version doublée en français. L'anglais c'était surtout la musique anglo-saxonne. Donc, il était naturel que mes écrits aient commencé-et soient restés- en français, langue que je maîtrise le mieux.
Vous concernant, vous avez opté pour la nouvelle en guise de premier ouvrage, pourquoi ce genre et pas un autre?
La nouvelle, comme genre d'écriture, permet de se concentrer sur une idée et d'aller à l'essentiel. La nouvelle, un peu comme le court-métrage pour le cinéma- est un tremplin idéal pour l'apprentissage de l'écriture et pour ne pas «s'éparpiller»; apprendre à exprimer l'essentiel en peu de mots, ne pas s'encombrer de trop de personnages, être rigoureux dans le développement de «l'intrigue»... et puis, ce qui fait souvent le charme de la nouvelle c'est la chute. Et le fantastique-comme la science-fiction- est le genre idéal pour la nouvelle. Hoffmann, Edgar Poe, Lovecraft, Maupassant, Matheson sont des maîtres dans ce domaine. Il n'en reste pas moins que je suis en train d'achever mon premier roman. Qui s'inscrit dans un autre genre. Et je pense même développer certaines nouvelles de science-fiction ainsi «Covidium», la 1ere nouvelle de mon recueil en roman.
Est-ce que vous pouvez nous parler de votre livre Nouvelles de l'infra-monde paru chez Casbah éditions?
Nouvelles de l'infra-monde est constitué de nouvelles alternant en le fantastique et la SF, et il y a même deux nouvelles qui sont plus proches du réalisme, mais leur dimension sombre» m'a semblé suffisante pour les inscrire dans cet infra monde. Certaines sont récentes comme Covidium que j'ai pensée suite à la pandémie qu'a connue la planète. La plus ancienne nouvelle Décalage Horreur» date de plus de 30 ans et c'est une nouvelle qui s'est classée parmi les 50 meilleures nouvelles sur 1700 (ou 1800) dans un concours ouvert aux amateurs et aux professionnels et organisé par RFI (Radio France Internationale). Je crois que c'était en 1990. Une femme pour mon fils- ou les mariés de l'an 2040» s'est classée 2ème dans un concours organisé par l'association Arts et Lettres d'Alger il y a quelques années. Tout comme «Le costume», classée 3ème dans un concours dédié au fantastique et initié par L'Institut Français d'Algérie.
Le fantastique est un genre peu prisé chez nous, est-ce que les lecteurs, vos lecteurs, se sont montrés intéressés par cette catégorie de l'écriture littéraire?
En fait, le «fantastique» comme genre est prisé chez nous comme dans le reste du monde. Il n'y a qu'à voir l'engouement pour les films tels la série des Harry Potter, Le seigneur des anneaux, la série tv Game of thrones et sa suite. Tout comme les phénomènes littéraires que sont le saoudien Oussama Muslim (que j'ai découvert lors de ce SIila) ou de notre Sarah Rivens- qui écrit de la dark fantasy (un sous-genre). Le problème est qu'il n'y a aucune visibilité, pas de revues spécialisées et pas d'initiatives éditoriales - ou par voie de presse- pour développer le genre alors que notre patrimoine regorge de contes et de mythes à même de bien le nourrir. L'unique initiative dans ce sens est justement due à l'Institut Français d'Algérie dans le seul registre fantastique qui a lancé un concours de nouvelles, il y a presque 10 ans, vu que le genre est sous-représenté dans notre pays. Hélas, il n'y a pas de suivi véritable pour bien ancrer ce genre, en dépit de tentatives personnelles et isolées. Comme Ahmed Gasmia, Abdelaziz Otmani (récipiendaire du prix Assia Djebbar pour son merveilleux «Sin», édité chez Casbah).
Allez-vous rester dans le même genre ou bien comptez-vous en explorer d'autres?
En parallèle avec un roman assez autobiographique que je traîne depuis une trentaine d'années, je prépare le 2ème volume des Nouvelles de l'infra monde. Et un recueil de poésie.
Parlez-nous un peu de la vie culturelle dans votre ville Mascara où vous agissez activement pour parer autant que faire se peut au vide en la matière...
Depuis quelques années, il y a eu un tassement de l'activité culturelle à Mascara. Le théâtre manque de fonds, notre ciné-club tarde à reprendre (on espère sa relance en janvier), la bibliothèque municipale, avec Nadi Beit Al hikma, tout comme la Maison de la culture avec Nadi El Bayan, essaient de maintenir la flamme. Une association musicale spécialisée dans l'andalou et qui a fait ses preuves, au-delà des frontières du pays, résiste également.
Vous présidez une association qui anime, à Mascara, le plus ancien ciné-club d'Algérie, pouvez-vous nous en parler?
C'est par un concours de circonstances un peu étrange que le ciné_- club de Mascara est né à la fin de l'année 1987, alors que j'étais dans l'enseignement et qu'aucun ciné-club n'existait en Algérie. Il faut rappeler que l'âge d'or des ciné-clubs se situe dans les années 60 et pendant la décennie 70 et s'est achevé aux débuts des années 80 pour différentes raisons. Notre ciné- club est l'héritier de celui qui activait excellemment à Mascara et aussi du Télé-ciné-club de Bedjaoui. Notre ciné-club a réussi à se maintenir durant plus de trois décennies et on activait même au plus fort de la «décennie noire». On est passé de la projection en 16mm, à la TV juchée sur une table au milieu d'une scène du théâtre municipal, au vidéo projecteur (data show) jusqu'au nec le plus ultra: un DCP dans une belle salle restaurée. On a reçu Lyes Salem, Mohamed Tati, Djaâfer Gacem, Ahmed Bedjaoui (conférence et vente-dédicace); Anis Djaâd, Ahmed Benkamla, Hassan Ferhani, Mouzahem Yahia, Yasmine Chouikh, le regretté Abderahmane Mostafa, Louisa Benrezzak, Samir Ardjoum (pour une carte blanche)... On passait du classique (même du muet), du cinéma italien, iranien, coréen, chinois, libanais, amércain, afghan même, africain, des films de cinéastes amateurs qui venaient discuter de leurs oeuvres et se soumettaient aux critiques et conseils...
Le ciné-club est à l'arrêt depuis l'épidémie de la Covid, bien qu'il y ait eu quelques projections ultérieures et pour des raisons administratives. Mais la relance, avec le soutien de Monsieur Abdelaghani, directeur de la Culture et des Arts qui insiste pour la reprise, est pour bientôt. On espère passer la main à de jeunes passionnés et volontaires.
Bien qu'il y ait un recul de la lecture dans notre pays, on constate, paradoxalement, une explosion du nombre de nouvelles plumes qui écrivent dans les trois langues, arabe, tamazight et française, voire anglaise. Comment expliquez-vous cette éclosion de nouvelles plumes?
Il est vrai que beaucoup de gens se mettent à l'écriture dans les trois langues- et même en anglais et c'est tant mieux. Mais ce qu'il faut c'est un lectorat potentiel qui ne peut voir le jour que par le biais de l'école. Une politique encourageant la lecture, à tous les niveaux doit être mise en place, multiplier les rencontres entre les auteurs et les élèves dans les établissements est une option. Les manuels scolaires doivent laisser une bonne place à la littérature nationale et universelle. Et pour cela, une formation est nécessaire pour les enseignants pour les familiariser avec le monde des livres.