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MAHIEDDINE BACHTARZI

Le Ténor du Vieil Alger

On le sait introverti...comme dans ses pièces de théâtre alors qu'il était entier, spontané et optimiste. Même avec ceux qui empruntaient allègrement les raccourcis de l'Histoire...

N'en déplaise à certains zélateurs de la pensée inique, cette respectable personnalité artistique et culturelle constitue pour l'Algérie d'aujourd'hui, même plusieurs décennies après sa mort, une véritable encyclopédie culturelle. Boulimique de la vie autant que colossal comédien, Mahieddine Bachtarzi l'était assurément, lui qui, venu par hasard à ce métier, avait dû travailler dur pour apprendre à s'exprimer, exorciser ses peurs et libérer ses émotions. Croquant à belles dents la vie artistique que les milieux citadins vouaient aux gémonies, il bousculera très tôt les attitudes surannées. Ayant le sens du partage, cela ne l'empêcha pas pour autant d'être en perpétuelle rébellion contre l'ordre établi, apportant par la même occasion sa pleine contribution à l'éveil de la conscience du peuple, dont la révolte à l'état latent trouvait un prolongement certain en les idées sociales, politiques et nationalistes portées par les créations artistiques de l'époque. Mahieddine Bachtarzi, disait mon confrère et non moins référence Kemal Bendimerad, aura connu toutes les grandes mutations du XXème siècle: la Grande Guerre, les premiers balbutiements du nationalisme, la Seconde Guerre mondiale, le 1er Mai 1945 à Alger, les massacres du 8 Mai de la même année, le déclenchement de la Révolution nationale, l'Indépendance, et il vit enfin la construction de l'Algérie nouvelle avec tout ce qu'il y a en elle de généreux et de contradictoire. Tous ces événements il les avait vécus, sans jeu de mots, «sur le devant de la scène». A l'avant-garde de l'activité artistique et culturelle, il aura sillonné tout le territoire national, transmis le message jusque dans les coins les plus reculés et imprégné l'action théâtrale de la dimension historique, sociale et politique telle que ressentie par tout un peuple en butte à une exploitation capitaliste et colonialiste. Le vibrant hommage que lui rendent le TNA et les Associations El Fakhardjia et El Djazira d'Alger a le mérite singulier de faire découvrir aux plus jeunes et rappeler à leurs aînés bien de bons souvenirs ayant jalonné la vie artistique de l'une des plus prestigieuses personnalités culturelles que lAlgérie ait connues. Une vie, comme se plaisait à le souligner l'illustre chantre, qu'il commença à Djamaâ J'did d'Alger alors qu'il n'avait que 17 ans d'âge: «J'étais tout fier ce jour de l'année 1915, d'autant plus fier que le règlement exigeait d'un hazzab d'avoir 18 ans révolus. Je devais ma bonne fortune à cheikh Boukandoura.» Au grand muphti d'Alger, plus précisément, dont l'érudition et la pratique de la musique andalouse comme du chant sacré forçaient le respect.

Les encouragements de cheikh Abdelhamid Ben Badis
Très vite, celui qui allait devenir plus tard le ténor du Vieil Alger connaîtra une ascension fulgurante à la suite de son intégration au sein de la chorale des Quessadine, connue pour mobiliser les plus jolies voix, et sa prise en charge par des professeurs remarquables à l'image des cheikhs Mohammed Benkobtane, Benchaouch et Lakehal. Il deviendra très vite quessad et, à l'âge de 21 ans, bach hazzab. Des encouragements lui seront particulièrement prodigués par cheikh Abdelhamid Ben Badis, notamment à l'occasion de la venue à Alger de la chorale des Quessadine de Constantine dirigée par les cheikhs Mustapha Bachetarzi et Mahmoud. Les parents de Mahieddine n'en demandaient pas plus, d'autant que cette nouvelle carrière lui permettait de continuer ses études à la médersa El Asria, dirigée alors par Mustapha Hafidi et d'aider son père dans son commerce. Il aurait pu ainsi mener une vie de brave homme sans histoire n'était-ce l'intérêt qu'il suscita très tôt auprès de musiciens aussi prestigieux que Mouzino, Laho Seror, Edmond Nathan Yafil et le célèbre Camille Saint-Saëns qui, pour mémoire, s'était sensiblement intéressé à plusieurs morceaux de notre patrimoine pour créer la Bacchanale de Samsom et Dalila, sans oublier ses Suites algériennes largement inspirées par la touchia Zidane.

L'honneur de cette création revient à...l'Epoque
Ce fut d'ailleurs le début d'une grande et palpitante aventure qui se développa, notamment à partir des années 20 à la grande déception des familles algéroises de l'époque, et de la sienne en particulier, Loin d'être délibéré, l'acte en lui-même ne faisait que perpétuer le souvenir de ces bardes algérois, que furent au XIXème siècle, cheikh M'nemèche et Mohammed Sfindja que le reniement et l'anathème décrétés par une société locale outrageusement conservatrice n'ébranlèrent nullement. En deux ans, il réussira à enregistrer chez Pathé pas moins de 66 disques en relation étroite avec le chant profane et à se faire un nom, grâce à la sollicitude d'Edmond Nathan Yafil qui le programmera à l'occasion de nombreuses soirées à Alger, comme dans les principales villes que comptaient les trois départements. C'est ainsi qu'il sera amené à imposer, au Trianon-Cinéma, une saynète comique jouée par Ali Sellali. Allalou, c'est son nom d'artiste, créera l'événement en 1924 grâce à Djeha, une pièce ancrée dans l'imaginaire culturel et social. Ce qui fit dire à l'un des trois pères du théâtre populaire algérien: «Jusqu'à l'apparition de Rachid Ksentini, c'était Allalou qui nous rédigeait les textes. Avec Ksentini, c'est l'artiste et le génie qui rejoignent notre troupe. Il est né en 1887, il était un ouvrier dans une usine de munitions parisienne, puis il avait été un marin et voyageait beaucoup. En plus de ses connaissances de plusieurs langues étrangères, c'est un fin connaisseur de la culture populaire arabe. De retour à Alger, il ouvrit un petit commerce et de 1930 jusqu'à son décès en 1944, il était parmi nous dans la troupe.» Tous les comédiens sont narcissiques, tous sont en quête du regard approbateur de l'Autre. Mais chez Mahieddine Bachtarzi, il était aisé de repérer en outre un fantasme de perfection solidement ancré. La découverte du théâtre lui avait brutalement permis de comprendre comment il pouvait utiliser ses émotions, ce qu'il était intérieurement, y compris ce qu'il refusait de soi pour interpréter ses personnages. Un fantasme tempéré, malgré tout, par la lucidité et un sens de l'organisation inné qui permettront au théâtre populaire algérien d'avoir ses lettres de noblesse. A ce propos et à la sempiternelle question de savoir qui a été à l'origine de la création du quatrième art algérien, il répondait ainsi: «Les uns diront Ksentini. D'autres Allalou. D'autres enfin citeront mon nom. Et je pense qu'ils ont tous raison. Ksentini a apporté à ce théâtre son premier comédien du cru, Allalou la première pièce écrite dans la langue de son pays, alors que moi j'ai été l'ouvrier de ce théâtre, assemblant petit à petit les matériaux qui devaient le constituer, luttant au jour le jour pendant 30 ans contre toutes les difficultés qui lui barraient la route, tirant pour lui du néant des auteurs, des acteurs et, ce qui ne fut pas la tâche facile, le public. Mais plus qu'à aucun de nous trois, je crois que l'honneur de cette création revient à...l'Epoque, ce théâtre étant sorti du néant durant les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale comme une manifestation de la prise de conscience du peuple algérien.»

Mai 1945, un réveil apocalyptique
Notre ténor incarne à lui seul, écrira notre consoeur Naïma Yahi, le grand siècle culturel algérien alors en pleine tourmente coloniale. À la fois francophile et nationaliste, inscrit dans le sillage des nationalistes qui finiront par demander l'indépendance, souligne la même source, le «Caruso du désert» (surnom donné par la presse française d'alors) est tiraillé toute sa vie par cette ambivalence: «Cet attachement à la France et à sa culture côtoie le sentiment d'injustice qui traverse son oeuvre. Reconnu par ses pairs comme étant le premier musulman, disait-on, à adhérer à la Sacem en 1929 - comme en atteste son dossier d'admission: «La création en 1939 à Paris de sa pièce de théâtre intitulée Phaqo exhorte ses compatriotes en exil à défendre leur identité algérienne et combattre le poids injuste du système colonial.» Ce n'est donc pas sans raison, estimeront Claude et Josette Liauzu dans Quand on chantait les colonies (Editions Syllepse, Paris, mai 2002), rapporte Naïma Yahi, si sa chanson Maârafnech ache men triq nakhdou (Nous ne savons quelle voie prendre) est interdite pour la teneur politique de ses propos: «Plus de cent ans que le colon accuse l'Arabe d'être ignare et imbécile, Mais quand tu cherches à apprendre il rit (....) Il est chez lui dans ton pays, et dans ton pays c'est toi l'étranger.» Est-ce pour ces raisons qu'il collaborera peu avec les intellectuels français avec à leur tête Jean Cocteau, leur préférant les intellectuels et artistes originaires des pays du Maghreb? Si le texte de cette chanson ne laisse aucune place au doute sur ses opinions, c'est pourtant, fait remarquer Naïma Yahi, le même Mahieddine qui écrit des hymnes à la gloire du Front populaire ou qui traduit la Marseillaise en arabe... Une traduction que reprendront dans une sorte de chant chorale de nombreux chantres de la musique algérienne, à un moment où les proclamations de foi assimilationnistes des partis légalistes et réformistes dominaient la scène politique algérienne avant d'être brutalement désavouées et réprimées par les tueries de Ksar El Boukhari, d'Alger et le massacre du 8 Mai 1945 dans le Constantinois. Un tournant décisif, un réveil apocalyptique pour des millions d'Algériens qui vont désormais et irréversiblement porter haut le discours indépendantiste tel que prôné par le PPA de Messali Hadj et dont la concrétisation dans les faits sera amorcée le 1er Novembre 1954 sous la direction du Front de Libération nationale. De 1926 jusqu'aux débuts des années 1970, il est au coeur de la vie culturelle en Algérie mais aussi -voire surtout- en métropole, animant galas et fêtes. Compositeur et chanteur, acteur de théâtre et de cinéma-, écrit Hadj Miliani, il produit des films avec Simone Berriau, qui dirige le Théâtre Antoine dès les années 40: «Bachtarzi rassemble autour de lui la quasi-totalité des artistes maghrébins qui se distinguent dans l'émigration ou qui «montent» à Paris pour tenter leur chance. Ouvriers la journée et chanteurs dans les cafés de l'exil le soir, ou artistes à plein temps, ces chantres de l'émigration se comptent par centaines et c'est notamment au rythme de leurs musiques que cette histoire sera visitée.» En arabe ou en berbère, souvent en un «francarabe» qui dit les mutations de l'émigration, souligne la même source, leurs textes et partitions, aujourd'hui accessibles, reflètent au plus près la vie sociale, politique et culturelle des communautés de plus en plus nombreuses et de plus en plus dynamiques. Ce n´est donc pas sans raison si le nom de Mahieddine Bachtarzi a été donné au Théâtre national algérien à l´initiative, notamment, de Abou Bakr Belkaïd, un ancien militant de la Fédération de France du FLN où le ténor du Vieil Alger avait donné le meilleur de lui-même après avoir été exilé de son pays par la caste coloniale.

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