Yazid Arab , réalisateur, à L’Expression
«Ressusciter le militant nationaliste Ali Laimèche»
Dans cet entretien, le réalisateur Yazid Arab parle de son film documentaire consacré au militant nationaliste Ali Laimèche et de son prochain produit dédié à l'écrivaine Assia Djebar. Il décortique aussi plusieurs aspects liés au cinéma algérien et à la manière de le développer.
L'Expression: Votre film sur le militant nationaliste Ali Laimeche sera diffusé en avant- première, au salon du livre de Ouacif, pourquoi le choix de cet évènement?
Yazid Arab: C'est une région où la culture rayonne grâce à ses personnages illustres. Je citerai Ben Mohamed, dit «Ben», et Malha Benbrahim Benhamadouche, la première historienne à avoir déterré Ali Laimeche dans les années 70. Elle a écrit une thèse intitulée «Homme et femme de Kabylie», encadrée par feu Mouloud Mammeri, sans oublier Idir Ait Amrane, un compagnon d'Ali Laimeche. Lors de la précédente édition de ce salon, j'ai animé un atelier cinéma, qui a suscité un engouement du public. Il y a quelques séquences du film d'Ali Laimeche, tournées avec Malha Benbrahim Benhamadouche à Ouacif et chez notre ami Salem Usalas qui fait partie du comité d'organisation de ce salon.
Pouvez-vous présenter le militant nationaliste Ali Laimèche?
Ali Laimeche est un berbéro-nationaliste, né un 14 juillet 1925 à Icherâiwen, village natal du célèbre poète Si Mohand u M'Hand, dans la commune de Tizi-Rached, wilaya de Tizi Ouzou. Il choisit naturellement le sentier de la révolte pour dénoncer l'hégémonie exercée par l'occupant français. Du haut de ses dix-sept ans, le jeune homme commence d'ores et déjà à sentir le joug du colonialisme s'appesantir sur lui et sur ses compatriotes. Il vit mal l'oppression et l'injustice que subit le peuple de la part de l'envahisseur dans son propre pays. Sa soif de liberté, son amour pour sa patrie, son aspiration pour l'indépendance de son pays... sont autant de valeurs affectueusement arborées dans ses célèbres chants patriotiques. Des principes, des credo qu'il transmet à ses disciples dans le scoutisme à l'aide desquels il forma toute une génération et contribua intensément à l'éveil des consciences de ses compatriotes. C'est en toute logique qu'il rejoint avec ses camarades lycéens de Ben Aknoun, les rangs du PPA (Parti du Peuple Algérien) dès l'année 1943. Il fut d'ailleurs arrêté quelques mois plus tard en possession d'un tract du PPA probablement rédigé par Amar Imache, une autre sommité du militantisme à l'époque de l'Etoile nord-africaine (ENA). Après avoir quitté définitivement le lycée en octobre 1945 car recherché pour ses activités patriotiques en Grande Kabylie, Ali se consacra corps et âme à la cause nationale et se distingue par son abnégation, son courage et sa volonté à aller toujours de l'avant. Il avait opté pour la clandestinité dans les monts et villages de sa région natale, avec d'autres compagnons du «groupe de Ben Aknoun». En leur compagnie ou même parfois seul, il était constamment en mouvement, faisant des tournées de jour comme de nuit à travers toute la Kabylie. Il s'abreuva du bouillon de culture nationaliste qu'était cette région du pays. La courte vie d'Ali se consume telle une bougie allumée qui, tout en éclairant les compatriotes sur le nationalisme, la révolution armée et l'indépendance, elle disparait et meurt de sa plus belle mort... Une destinée similaire réservée à Ali qui décède un fatidique 6 août 1946 à l'âge de 21 ans au village Ath Zellal dans la commune de Mekla. L'engagement de Laimeche Ali qu'il a su mener sur le terrain à travers son double combat libérateur et identitaire depuis son jeune âge, a été consacré entièrement à l'indépendance de l'Algérie tout entière sans exclusive mais aussi à la survie de la langue et de la culture amazighes.
Quel est votre objectif en réalisant ce film documentaire?
Ce documentaire se veut une manière de «ressusciter» ce valeureux personnage disparu à la fleur de l'âge, ce révolutionnaire qui mérite tous les hommages, vu son parcours de militant authentique et sincère.
Est-ce qu'il vous a été facile de réaliser ce travail?
Je ne connais pas de film facile. Les difficultés de la réalisation résident dans ce genre de documentaires, appelé le documentaire de création ou le cinéma vérité. Nous travaillons avec des personnages qui acceptent d'être filmés dans leur quotidien, sans mise en scène. Quant aux difficultés, il y a par exemple les lourdeurs administratives pour obtenir des autorisations de tournage. Un tel écueil décourage les réalisateurs et producteurs des wilayas éloignées d'Alger. À ma connaissance, la plupart des subventions allouées par le ministère de la Culture aux maisons de production sont installées à Alger. Nous concernant, il nous manque quelques images d'illustration du lycée de Ben Akoun, du village de Hend Sadi, le lieu de la mort d'Ali Laiméche à Ath Zellal et une interview de Mehenna Hahfoufi. Nous n'avons pas, à ce jour, reçu de réponse à la demande d'une nouvelle autorisation de tournage. Notre demande est déposée depuis trois mois.
Quelles sont les différentes sources qui vous ont été très utiles pour avoir le maximum d'informations sur Ali Laimèche?
Le scénario est coécrit avec mon ami et journaliste Khris Badraddine, il a eu aussi la tâche de vérifier et recouper toutes les informations. Parmi nos sources, il y a le livre L'irréductible Révolutionnaire écrit par Mohand Amara et Kamel Ahmane. S'agissant des personnes interviewées, il y a eu Ali Guenoun, Malha Benbrahim Benhamadouche, Naceur Belaid, Miloud Benzaia... Rachid Ali Yahya, etc. Il y a aussi les chants patriotiques écrits par Ali Laimèche. Quant aux images, nous nous sommes servis de la maison d'Ali Laimeche à Tizi Rached, d'Alger et de quelques villages de Kabylie.
Passons, si vous permettez, à votre parcours, comment est né votre intérêt pour le cinéma?
Je suis arrivé au cinéma après une première carrière dans la communication visuelle et la photographie de presse. Dans l'idée de passer de l'image fixe à l'image animée, j'ai suivi une formation à L'École québécoise de cinéma Cinécours, dont je suis sorti diplômé en 2012. J'ai également suivi une formation au cinéma organisée au Maroc par la fondation Orient-Occident et la télévision marocaine 2M. J'ai participé à plusieurs master class, animées par Merzak Allouache, Tony Gatlif, Meriem Hamidat, Bruno Ulmer ou encore Mustapha Mengouchi. Dans le cadre des Ateliers cinématographiques de Béjaïa organisés par Kaïna cinéma (France) et Cinéma et mémoire (Algérie), encadrés par Habiba Djahnine et Mourad Kortobi, j'ai découvert le documentaire de création, forme cinématographique particulière qui me permet de conjuguer cinéma du réel et créativité. Jean Rouch, Alain Resnais, Chris Marker, Frederick Weisman, notamment, m'ont donné envie de suivre leurs traces. J'ai d'abord participé à des productions françaises en tant que collaborateur, conseiller ou assistant réalisateur. J'ai ainsi travaillé sur Paroles d'Algérie, un documentaire de Bruno Ulmer diffusé sur ARTE. J'ai assisté Hervé Bourges pendant le tournage de L'Algérie à l'épreuve du pouvoir (diffusé sur France 5 et TV5 Monde) ou encore Stéphanie Svalloatto sur Les Fantassins de la démocratie, une production Canal+ et France 3, sortie en salle en France et projeté à Cannes hors compétition. Depuis 2011, je réussis à mener mes propres projets en tant que réalisateur. J'ai ainsi écrit, réalisé et produit Pêcheurs de sable en 2011 (primé au festival du film amazigh), Made in Algeria au Maghreb des films à Paris, le Quai du Nord en 2014 (projeté à la Semaine du cinéma algérien à Lille et aux Journées Cinématographiques d'Alger) ou encore Notes Blanches en 2015 (projeté à Angers, à l'Institut français d'Alger, au festival arabe d'Oran ou encore à la Cité internationale des arts de Paris).
Qu'en est-il de vos activités d'enseignant dans le même domaine?
Parallèlement à mon activité de réalisateur, j'assure des enseignements à destination de futurs professionnels. Je crois profondément à la nécessité de former aux métiers du cinéma et de transmettre mon expérience. J'assure régulièrement des enseignements en sémiologie de l'image, en écriture scénaristique et techniques de réalisation (Pigier, Studio 21, MédiaPro, École des métiers de la radio et de la télévision, Institut français d'Alger, université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, (campus de Tamda). Ces enseignements s'adressent à des personnes qui se destinent aux métiers du cinéma, mais également, depuis cette année, à des chercheurs en anthropologie (Séminaire «Comment filmer son terrain»).
Vous avez aussi lancé une formation au cinéma, n'est-ce pas?
Nous avons créé avec Latefa Lafer, chercheuse en cinéma et enseignante à l'université de Tizi Ouzou, une formation au cinéma incluant des séminaires d'esthétique, d'analyse filmique, d'écriture et de réalisation, ainsi qu'un module, unique en Algérie, consacré à l'histoire du cinéma algérien. Depuis quelques années, la question des relations entre les deux rives de la Méditerranée m'intéresse beaucoup. Je suis membre de la Copeam, Colloque permanent de l'audiovisuel en Méditerranée. La participation régulière aux universités d'été a renforcé mon envie de travailler sur les liens transméditerranéens. J'ai participé à la réalisation de deux magazines pour les 4e et 5e édition de la Copean, consacrés au tourisme et au développement durable comme facteurs de rapprochement entre les peuples pour l'un et à l'impact des nouveaux médias sur les jeunes pour l'autre.
Parlez-nous de vos projets?
Je travaille actuellement à un documentaire de création sur Assia Djebar, autrice franco-algérienne, dont la vie est un résumé de ce qui m'intéresse: née en Algérie avant la guerre d'Indépendance, elle a été élue en 2005 à l'Académie française. Formée par l'école française, elle a travaillé sur le regard orientalisant. Historienne de formation, elle n'a eu de cesse de rappeler la présence des femmes dans l'histoire de l'Algérie. Francophone, elle questionne le rapport contrarié aux différentes langues de l'Algérie. Ce sujet a été retenu par la Cité internationale des arts de Paris qui m'a accueilli en résidence de travail de 3 mois l ‘été 2023.
Vous êtes aussi responsable d'une école de cinéma, pouvez-vous nous en parler?
Nous avons créé l'Académie du 7ème Art Quercus située à Tizi Ouzou. Je collabore avec Tasseda Boudia, diplômée en art thérapie, civilisation et littérature, qui est la gérante de l'école. Nous proposons quatre ateliers de formation au cinéma: écriture de scénario, réalisation, acting et production. Ces ateliers sont animés par Yazid Arab, Latéfa Lafer (historienne du cinéma) et Cherif Khazem, Bachelor of Arts diplômé de l'université de Portland.
En tant que cinéaste, avez-vous des idées concrètes pouvant contribuer au développement du cinéma dans notre pays?
Parmi ce qu'il faut faire, il y a urgence à assouplir l'octroi des autorisations de tournage et la création de cinéclubs. Il faut aussi encourager les formations et la création d'un pôle de production. Il est nécessaire de programmer des films des réalisateurs qui ont travaillé sur des thématiques bien précises. Il y a lieu de prévoir des films qui se rapprochent des thèmes et faire des rétrospectives thématiques ayant trait au film amazigh, le western, le film noir, le film social algérien, le film sur la terre en Algérie, les comédies musicales... La création d'une ville du cinéma s'impose.