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Nadia Zouaoui, réalisatrice, à L'Expression

«Sur les traces de l'incroyable Imène Chibane»

Imène Chibane, ex-architecte et designer intérieur, devenue par conviction journaliste et militante des droits des femmes, a été retrouvée morte, elle et son mari Fahim Khellal, en février 2019 créant consternation au sein du milieu associatif, de ses amies et proches. Nadia Zouaoui, réalisatrice algéro-canadienne ayant bien connu Imène, a décidé d'honorer le voeu de cette dernière en consacrant un film sur son combat contre les violences faites aux femmes en Algérie. L'Ironie du sort a voulu que la mort d'Imène Chibane soit le moteur pour réaliser ce film fait avec des bouts de ficelle, mais qui déborde de générosité à travers le témoignage des amies de la défunte sur la situation et le statut de la femme en Algérie et, notamment, de la place qui lui est accordée dans la société algérienne. Projeté lors de la
19e édition des Rencontres cinématographiques de Béjaia, ce film documentaire n'est pas passé inaperçu, voire même a provoqué des remous dans la salle, preuve en est que le sujet tel que formulé par la réalisatrice reste encore tabou en Algérie, car il y aura toujours des hommes qui élèveront la voix pour dire qu'il n'existe aucune violence faite aux femmes en Algérie, comme ce fut le cas, hélas, durant le débat, arguant que c'est juste le regard de l'étranger qui se plait à envenimer les choses et à semer la zizanie. Rencontrée après sa diffusion, nous avons pu discuter à bâtons rompus avec la réalisatrice qui est revenue sur la genèse du film et le message d'Imène Chibane...Un film hommage où le maître-mot est la sororité...

L'Expression: La Promesse d'Imène est le titre de votre dernier documentaire qui revient sur les traces d'Imène Chibane, militante disparue en 2019. Qu'est-ce qui vous a poussée d'abord à faire ce film?
Nadia Zouaoui: J'étais en contact avec Imène Chibane parce qu'elle est de ma région. Mon premier film, réalisé en 2006, à savoir Le voyage de Nadia, a poussé beaucoup de filles à me suivre. Avec Imène, on se parlait beaucoup et elle me disait que mon film l'a beaucoup aidée à réfléchir. Elle est devenue bloggeuse. On se parlait souvent. Aussi, sa maman était l'élève de mon père, qui est professeur de français, son grand-père était l'imam du illage. Il Y avait déjà ça, entre nous, après il ya eu ce féminisme qui nous reliait parce qu'on est toutes les deux outrées par la violence que subissent les femmes. En 2015, quand il y a eu le meurtre de Razika Chérif, j'avais écrit un article, on a commencé à se parler, à réfléchir sur une démarche féministe, c'est-à-dire sur comment faire pour changer les choses. Je me souviens qu'en 2019, trois mois avant sa mort, elle m'avait dit: «Il faut que tu fasses un film sur mon combat». Elle m'a dit qu'il faut que je fasse un film sur les jeunes féministes qui se battent contre la violence en Algérie, je lui ai répondu que c'est trop dur l'Algérie... Deux mois après, à peine, elle décède. J'étais tellement choquée. Ça a pris quelques mois et après j'ai commencé à parler à ses amies, à sa maman et tout le monde trouvait que c'était une bonne idée de faire un film sur elle. Pendant la pandémie de la Covid, j'ai commencé à écrire, à chercher les financements, j'ai fait de la recherche, je suis venu deux fois en Algérie, j'ai parlé à ses amies, je suis partie à la quête sur ses traces, je n'avais pas grand-chose pour faire le film. Je l'ai vraiment construit avec rien, heureusement qu'il y avait ses copines qui ont accepté de participer..

On sent effectivement que le documentaire a été réalisé avec des bouts de ficelle, mais renforcé néanmoins grâce aux témoignages des amies d'Imène à travers les images à elles et leur parcours. Pouvez-vous nous parler justement des autres femmes qui existent dans ce film?
Ces autres femmes ont toutes été influencées par Imène. Deux sont ses copines d'université, elles ont fait l'université d'architecture de Béjaia. il y avait aussi Ludmila Akache, une féministe qui fait du documentaire qui a connu Imène quand elles ont organisé une conférence à l'université de Bouira, un huit mars et qui avait fait beaucoup de remous, parce que c'était une conférence où elles ont remis en question le code de la famille etc., Il y avait également Isma Tegrine qui est maintenant animatrice à Berbère tv, qui est aussi une brillante enseignante de tamazight et également une femme de lettres. Elle fait des émissions littéraires... Ce sont toutes des filles qui ont connu Imène et ont partagé avec elle, non seulement leur passion pour le féminisme, mais aussi leur sensibilité contre l'injustice et les violences faites aux femmes.

Un documentaire reste un film engagé, parce qu'il ya un parti pris. On a, à juste titre, l'impression qu'il y a une colère - assez compréhensible-qui est dirigée envers tous les hommes. Ceci étant dit, vous avez réussi à l'atténuer à un moment donné, quand Ludmila Akache parle de son frère avec lequel elle s'était disputé au début et finit par se réconcilier avec lui et faire la paix. Il lui demande des excuses, affirmant que c'est la société qui leur impose une certaine forme d'attitude à avoir envers les femmes... Une nuance qu'apporte votre film pour ne pas tomber dans cette caricature qu'on peut se faire quand on regarde à froid le film comme d'aucuns l'ont jugé comme étant un réquisitoire contre les hommes...
Ces filles, si elles ont réussi et ont été loin, et elles ont toutes témoigné de cela, c'est grâce à leur papa, ce sont les papas qui veulent que leurs filles réussissent. On voit Nesma avec son père qui lui explique la chanson d'Idir, qui l'a poussée à étudier... Dans le scénario, il n a y avait pas d'homme par ce que c'est un voyage entre quatre filles qui se retrouvent après la mort de leur amie. Entre temps, j'ai essayé de donner vie à des moments de violence qu'Imène a écrit et notifié sur son blog. J'ai essayé de scénariser, mais avec rien du tout; c'est un peu ça le défi du film. Souvent, on fait des films qu'avec des hommes et je me suis dit, pourquoi ne pas faire un film qu'avec des femmes? Je ne comprends pas pourquoi ça dérange....

Le témoignage est très important et vous avez accompagné ces images avec le fil conducteur qui est la voix d'une des filles qui lit les textes d'imène. Un mot là-dessus...
Les textes du blog d'Imène sont extrêmement forts, parfois très durs. Imène écrit magnifiquement bien. Au début, j'ai voulu avoir la voix d'imène à l'aide de l'intelligence artificielle, mais à l'époque quand j'ai fini le film, c'était encore un peu robotique. Je trouvais que c'était fort que ce soit Imene qui lit ses textes car ces derniers sont forts et j'ai décidé de les faire lire par quelqu'un d'autre. Je vous invite d'ailleurs à les voir sur son blog qui existe encore. J'ai pris juste quelques textes, je les ai même atténués un peu...

Elle s'adresse à sa fille future, plutôt aux autres femmes qui viendront après
Sa fille c'est un peu les futures générations...

C'est quoi aujourd'hui l'héritage d'Imène finalement? Que devient son message?
Oui c'est magnifique comment ses copines l'expliquent. Toutes estiment que si elles ont réussi, c'est grâce à Imène. Il faut noter qu'Imène, était la première de sa famille partie habiter toute seule à Alger, sa petite cousine est aussi activiste, elle est sur les médias sociaux, les autres aussi, Linda est une femme d'affaires, elle a quitté aussi l'architecture comme Imène. Quand je suis venue en 2017, Imène travaillait dans une société d'architecture, puis elle l'a quittée. Elle était en larmes, elle m'a dit: « J'ai fait architecture pour construire des maisons, pas pour ramener du café aux hommes!». Elle était révoltée par ça; elle disait que les gens écoutent le maçon mais pas elle, parce qu'elle est une femme! «Il n y a personne qui t'écoute!» disait -elle. Elle a un peu laissé tomber l'architecture pour écrire, car elle trouvait que la plume était une façon pour elle de se battre. Elle était très courageuse. Linda a laissé tomber l'architecture aussi pour ça. Une autre amie est partie au Canada pour devenir architecte. Une autre, qu'on ne voie pas dans le film, est à New York. Elle a refait ses études. Elle est architecte aussi.
Ludmila fait des documentaires, puis, il y a Nisma qui est devenue très active sur les médias sociaux et à la télévision berbère. Ce sont vraiment des filles incroyables. Quand je présente ce film à Montréal, les gens me disent: «Elles sortent d'où ces filles?!» Elles viennent d'un petit village mais elles sont incroyables! Ce film n'est pas négatif, au contraire, ces filles sont une leçon pour ces autres grandes féministes. Elles sont des leçons de vie.

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