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Mékaïkia s’en est allé dans la discrétion

Tayeb était calme et juste

Il y a quelque chose de plus fort dans la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants...» Jean d’Ormesson

Puis-je dire que Dieu m'a mis sur le chemin des thrènes, pour qu'à chaque fois, lors d'un départ de proches, de frères ou d'amis, mon inspiration soit mise à rude épreuve pour traduire au gré de ma plume les idées qui me bousculent et les émotions qui m'étreignent? N'est-ce pas pénible que d'aller dans cet exercice, surtout quand le défunt se trouve être un proche ami et, de surcroît, une âme sincère, qui croyait en ce qu'elle faisait et en ce qu'elle accomplissait comme charge, tous les jours, pour voir sourire les autres?
En effet, c'est d'autant plus pénible et contraignant quand il faut s'étaler jusqu'aux détails pour revisiter Tayeb Mékaïkia, mon ami depuis notre enfance et ce camarade de classe, connu pour sa générosité de coeur, cet homme qui marchait droit jusqu'à son trépas, parce qu'il tenait à vivre dans la vertu et la noblesse. Oui, c'est pénible, assurément, de revisiter si vite la mémoire de celui qui vient à peine de nous quitter, alors que le pouvoir des larmes n'a pas encore effacé le chagrin du deuil.
C'est pénible, en effet! Et là, je m'abandonne au plus convaincant de mes instincts, celui qui oscille entre la fraternité et la sincère amitié, et m'incite à choisir la bonne forme d'expression, pour déployer ma compassion, ma sensibilité, ma bienveillante sympathie et, profondément, ma pénible douleur devant cet irrévocable destin prescrit par le Tout-Puissant et auquel toutes les créatures, en ce bas monde, sont indubitablement et éternellement soumises. C'est ce que je ressens, pardon, ce que nous ressentons tous, avec grande émotion et tristesse, mais avec l'assentiment et la dignité des croyants. Mon frère Tayeb, aujourd'hui, nous sommes effectivement tristes, comme le sont tes parents, et tes proches et tous ceux qui t'ont connu. Mais, toi-même, en fidèle musulman, si tu pouvais t'exprimer, ne dirais-tu pas à tous, en les voyant affligés par tant de chagrin, de ne pas pleurer ta disparition, parce qu'en fait tu n'es pas mort, selon le bel adage des gens du Moyen-Orient: «Celui qui produit ne meurt pas!».
Oui, Tayeb, tu n'es pas mort, parce que tu as laissé de grands souvenirs qui, demain, témoigneront, assurément, de ta hauteur d'esprit, de ta noblesse morale, de ta grandeur intellectuelle, de l'élévation de ton âme et de tes sentiments... N'est-ce pas suffisant tout ce potentiel de valeurs qui a été ton produit ici-bas, et qui fera que tu resteras vivant dans l'esprit de tes parents, de tes amis et de tous ceux qui t'ont connu et aimé?
Nos années à l'internat
Maintenant, mon frère Tayeb, ouvrons la page de ta vie. Elle était humble, mais laborieuse; ce qui nous permet de lire, comme dans un livre, ton parcours de l'enfant jusqu'à l'adulte..., de l'élève attentif à l'école, assidu dans ses études secondaires et supérieures, de même que responsable dans sa carrière professionnelle. Cette vie exemplaire - loin de moi les discours dithyrambiques - a été la tienne Tayeb, toi qui, dans ton calme olympien, discret, attentif, précautionneux, as choisi ta manière de mener une vie paisible, avec des idées claires et la raison qui habite les gens modestes et simples. Appelons-les plutôt...,
les sages.
Dans ce chapitre, mon frère Tayeb, je ne peux ignorer cette magnifique période - et l'épithète lui sied- où nous avions passé, ensemble, de nombreuses années en internat. Une période, pour le moins que je puisse dire, active et, parfaitement riche, en matière d'apprentissage de la vie, de la morale, mais aussi en événements qui nous ont sensibilisés, mobilisés et réunis autour d'un combat autrement plus bénéfique et salutaire pour notre devenir, à travers deux domaines fondamentaux que sont notre éducation dans le monde des sciences et de la culture et notre participation à la cause essentielle de notre Algérie, son émancipation à partir de sa souveraineté nationale.
Dans ce cadre-là, et dès ton arrivée au Lycée franco-musulman de Ben Aknoun, ce grand et fameux établissement - là aussi, il n'y a pas d'excès dans mon langage -, tu n'as pas hésité d'aller en besogne et parfaire ton niveau d'instruction, pour lequel tu te donnais entièrement. Tu savais, évidemment, d'où est-ce que tu venais pour savoir où est-ce que tu allais.
Car, fils de prolétaire, issu d'une famille de nationalistes, ton père, Si Mohamed Mékaïkia, un ancien du PPA/MTLD, patriote convaincu, voulait te voir relever, à ton âge, le défi des sciences et de la culture, pour que plus tard tu saches comment agir en tant que personnage qui puisera ses racines dans la civilisation arabo-islamique, en retenant ce qu'elle a de meilleur, sur le monde.
Ainsi, ton père, en envisageant pour toi, un tel avenir - c'était le voeu de tous nos parents -, et après t'avoir prescrit le dévouement, comme arme essentielle pour tes études, de même que pour les bonnes causes, il a scellé ton avenir dans ce lycée qui incarnait, à juste titre, le sanctuaire du savoir.
Le résultat est que tu as été parmi les bons élèves de cet établissement, qui a vu passer tant de promotions, dont de nombreux cadres qui, plus tard, ont pris les rênes de l'Algérie indépendante, et ont brillé par leur charisme et leur compétence dans la gestion des hautes responsabilités. Sans oublier, évidemment, ces braves élèves - et ils sont nombreux -, ceux qui sont tombés au champ d'honneur, pour que vive notre pays dans la paix, la liberté et la dignité.
Notre lycée en est fier, jusqu'à l'heure, de ce palmarès de dévouement et de sacrifice, un palmarès façonné par ceux des promotions qui nous ont précédés, dans ce Lycée franco-musulman que les colonialistes ont baptisé le «Nid de vipères».
De la lucidité, du courage et de la franchise
Mais toi, mon frère Tayeb, dans ce mouvement de rupture radicale, dans ce climat généralisé d'insatisfaction populaire où l'oppression colonialiste faisait rage, pouvais-tu, à l'instar de ta famille, constituée, notamment de preux nationalistes, et de tes amis qui se mobilisaient pour la bonne cause..., te permettre d'être loin de ce mouvement qui allait transformer fondamentalement notre société? Pas du tout! Parce que la révolution exigeait une mobilisation organisée et des actions collectives. Et c'est ainsi, que tu ne pouvais te départir d'une participation franche et concrète à la lutte de Libération nationale, avec tes moyens que lui consacraient ta volonté et ton engagement. En fait, tu t'es engagé dans la cellule de la SU (Section universitaire) du FLN, qui devenait nécessaire pour tous les jeunes qui avaient le sens de la responsabilité et qui, déjà, à cet âge-là, n'ont pas abdiqué devant les forces coloniales. Pour cela, tu vas me permettre, frère Tayeb, dans cet hommage qui t'est consacré à titre posthume, de faire cette révélation, pour l'ensemble de nos amis de la Médersa, pour ce qui est de tes activités militantes, au sein de notre organisation du FLN, alors que tu avais à peine 15 ans. Je ne trahis aucun secret, mais je pense qu'il est temps, aujourd'hui, de dire comment, sans saisir le danger, tu apprenais comment faire naître cet homme algérien nouveau... par ton efficiente participation dans le groupe. Et là, tu démontrais par ta lucidité que tous les problèmes brûlants, que nous abordions, avec courage et franchise, dans notre cellule de la SU-FLN, n'étaient pas des débats de salon. C'était les contraintes de vl'époque qui nous les posaient; et nous étions conscients que c'est dans la mesure où nous allions vers l'action, vers la transformation constante, que nous les ferions avancer. Mon frère Tayeb, je continue sur ces moments forts que nous avons vécus ensemble au sein de cette cellule-FLN, dans notre mythique Médersa. Nous avions fait le serment de poursuivre la mission de ceux qui nous ont précédés dans le combat et qui se sont engagés dans le chemin de la révolution.
Ils étaient nombreux ces braves Médersiens des trois lycées, Alger, Constantine et Tlemcen, qui ont pris leur responsabilité pour une Algérie indépendante. Ils avaient pour noms les Bénali Boudghène (colonel Lotfi), Amara Rachid, H'mimed Ghebalou, Abdelkader Allal, Saci Boulefaâ, Ali Lounissi, et autres Mustapha Stambouli, Boualem Bessaih, Hacène Boudissa, Salah Mekacher. La liste est encore longue.
Alors, sur leurs pas, les «potaches» que nous étions, avions accompli d'importantes missions, à partir de 1959... Tu avais à peine
15 ans, Tayeb, nous aussi d'ailleurs, avec notre chef de cellule Abdallah Ghebalou, et les regrettés Mustapha Kourdali, son frère Abderrahmane Kourdali, Zoubir Zekkour, de même que d'autres qui sont encore de ce monde, Hassène Ayouaz, Seddik Bouallal et moi-même, sans oublier bien sûr, l'impétueuse Anissa Touhami, qui était en section métropolitaine, et dont la participation n'était pas dédaignable.
Ces valises chargées de médicaments pour les moudjahidine
Ainsi, mon frère Tayeb, pour revisiter ta mémoire, je veux te rappeler, entre autres, l'odyssée de ces valises chargées de médicaments avec lesquelles nous prenions des risques en traversant moult barrages de gendarmerie, de police et de garde-mobile. Dieu en est témoin de notre angoisse devant ces murs d'airain, pour que ces chargements parviennent à notre soeur, la militante Zoubida Benmokaddem, la coordinatrice de ces activités. Et c'était le regretté Abdallah Ghebalou, qui lui remettait finalement, dans le cadre du cloisonnement recommandé par le FLN, ces lots de produits précieux destinés à nos moudjahidine.
Rappelle-toi donc, mon frère Tayeb, ce travail considérable dans notre cellule de la SU-FLN, dont il nous est impossible, aujourd'hui, de l'évaluer et de le quantifier, tellement nous étions galvanisés par notre fougue de jeunesse et notre détermination à voir notre pays se libérer de l'oppression du colonialisme. Ainsi, ce que nous avions réalisé, hier, en termes de missions, relève du miracle, s'il venait à être estimé présentement. Et nous étions ensemble, mobilisés pendant longtemps, jusqu'à ce mois de février 1962, lorsque le lycée a été fermé et envahi par des sections de parachutistes, suite à notre grande manifestation, après l'assassinat de notre maître d'internat Moulay Hanin et de notre professeur de sport Mohand Saâdi. Rappelle-toi également, mon frère Tayeb, ces huit mois d'absence du lycée, jusqu'à la rentrée scolaire d'octobre 62, où chacun devait rentrer chez soi, à Alger, Blida, Cherchell et Médéa - tu sais de qui je parle - non sans poursuivre localement son contrat avec le FLN dans les cellules urbaines, sous le commandement de responsables locaux. Cependant, cet arrêt des cours, n'a eu aucune incidence sur nos études du fait que nous étions de bons élèves qui savions nous reprendre pour concilier les deux éminentes missions dont nous étions chargés: celle de nos études pour notre avenir, et celle de nos activités militantes pour notre devenir... Oui, mon frère Tayeb, j'ai beaucoup de choses à dire te concernant, mais à cette occasion, il ne s'agit nullement de discours pédants en des tournures alambiquées. Non! Je me suis efforcé d'être simple avec toi, puisque tu nous étais toujours très proche dans ta manière de voir les choses, dans ton amour pour le pays, dans ta constance politique, autour de faits, que d'autres appréhendaient avec légèreté et désinvolture. Tu étais l'homme intelligent, affable, celui qui savait mettre les gens bien à l'aise. Et c'est nécessairement cette bonne disposition qui faisait de toi l'interlocuteur patient, respectueux, celui qui savait écouter et, surtout, conclure dans le bons sens.
Vois-tu, Tayeb, c'est très difficile de perdre un frère comme toi! C'est douloureux, en même temps qu'éprouvant, lorsqu'il faut retirer sa plume, la tremper dans l'encrier de ses larmes et remuer avec une profonde nostalgie ce passé ô combien élogieux pour les jeunes que nous étions dans cette magnifique Medersa de Ben Aknoun... Mais, dans la ferveur de ce jour béni, entourés de proches et amis, notre douleur a laissé place au courage et à la résignation des croyants que nous sommes. Oui, nous avons accepté cet arrêt de l'Omniscient et du Miséricordieux... Dors en paix, Tayeb, les Médersiens que nous sommes et qui ne t'oublierons jamais, te disent que ta mémoire sera toujours parmi nous.

De Quoi j'me Mêle

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