Ma qabla El Masrah (Avant théâtre)
Une œuvre étonnante
Toute l’œuvre a été déclinée dans un mode, certes, non muet, mais duquel la parole a été presque totalement retranchée.
Ma qabla El Masrah (Avant théâtre), mise en scène par Abdellatif Benahmed d’après une réinterprétation de l’œuvre éponyme de Abderahmane Kaki, déroulée, vendredi soir, au 2eme jour, du festival international de théâtre de Bejaia, a fortement étonné et séduit d’abord à cause de sa forme artistique, empruntée au théâtre expérimental ensuite pour la performance époustouflante de ses acteurs. Toute l’œuvre a été déclinée dans un mode certes non-muet, mais duquel la parole a été presque totalement retranché au point de poser au public de sérieux problèmes d’appréhension voire de compréhension. Et les quelques intonations ou bribes de mot énoncés ne l’ont été que pour mieux renforcer la communication non verbale, de ses protagonistes, qui par ailleurs gesticulaient et s’agitait comme des possédés. Du reste, presque à la fin de la pièce un des acteurs distribués, s’en est révolté en enjoignant ses compères à prendre la parole. « Ahadrou, Ahadrou… Ettekelmou » (parlez… parlez) leur disait-t-il sur un ton de supplique, et désireux manifestement, de sortir de cette ambiance de cimetière et retrouver en eux une vertu proprement humaine.
En fait toute la prouesse du spectacle réside dans cette forme d’expression, qui fait la part belle à la narration sensorielle et qui de plus laisse résonner les non dits et les silences qui souvent emplissent les gens. Ceux-ci, étant davantage portés à s’exprimer par le geste que par le verbe , notamment quand il s’agit de refléter l’intensité des sentiments qui les habitent, leurs angoisses et leurs passions.. Ainsi durant 90 minutes, au-delà de la performance de leurs talents, les acteurs de la pièce (ils sont une vingtaine) ont réalisé une vraie performance athlétique, se dépensant sans compter, se déployant et courant à tout va, afin de rendre intactes toute les subtilités et la finesse de l’intrigue qui les occupent. Et cette dernière n’est ni anodine, ni banale. Elle cristallise, une page douloureuse de la guerre d’indépendance, notamment aux premières heures du déclenchement de la révolution ou le peuple a subi d’innommables exactions et des violences inouïes. Il n’ya pas de mots employés pour décrire les affres vécues, mais les scènes mises en œuvre et les mines d’afflictions affichées y sont éloquentes et bouleversantes pout s’en rendre compte. Livrés en trois actes, représentés symboliquement par un filet, ensuite « un voyage » et enfin une cabane, l’œuvre globalement, au-delà de la tragédie qu’elle véhicule à des allures de leçons de vie, mettant en valeur, les vertus de la foi et de la lutte et le sacrifice pour la justice, l’engagement pour la promotion du bien et la lutte contre le mal et l’attachement aux valeurs de beauté et de l’amour, le tout décliné sobrement loin de toute morale ronronnante.