Kamel Moula, président du Conseil du renouveau économique algérien, à L’Expression
«Nous avons besoin d’un nouveau contrat social»
Le directeur général des laboratoires Venus, Kamel Moula, est le premier président du Conseil du renouveau économique algérien Crea. Une nouvelle organisation qui s'implante dans le décor de la sphère patronale, dans l'espoir d'être un nouveau jalon déterminant dans l'édifice économique national. Au cours de cet entretien,Kamel Moula répond aux principales interrogations soulevées à la suite de la naissance de ce nouveau syndicat patronal. Il lève toutes les équivoques inhérentes aux aspects politiques et rentiers, mais éclaircit la trajectoire que devra emprunter son organisation dans la participation à l'effort d'édification et de développement national. Sans ambages, il répond à nos questions en toute transparence et avec beaucoup de détermination. Ecoutons-le.

L'Expression: La création du Conseil économique du renouveau algérien Crea intervient dans un contexte politique et socio-économique, quelque peu tendu. Quelles sont les motivations ayant prévalu à cette création?
Kamel Moula: Le contexte économique mondial et la situation économique dans notre pays sont effectivement une grande source d'inquiétude pour les opérateurs algériens. La récession mondiale, la pandémie et ses conséquences sur la flambée des prix des matières premières, la difficulté à créer une stabilité de la réglementation, la bureaucratie et maintenant la guerre en Europe, tout cela génère un climat des affaires morose et laisse les chefs d'entreprise dubitatifs quant aux perspectives d'avenir.
Parallèlement, l'Etat lance des messages au secteur économique pour le mobiliser et l'assurer de sa volonté nouvelle de créer les conditions nécessaires pour libérer les énergies et les initiatives. Nous avons fait le choix d'accompagner cette volonté, en nous rassemblant dans le Conseil du renouveau économique algérien, afin d'être une force de proposition et d'actions. Nous mutualisons nos expertises, nos ressources, nos projets pour le seul intérêt du pays.
En quoi votre nouvelle organisation peut-elle être différente ou bien constituer un plus dans la sphère socio-économique, a priori?
Le Conseil du renouveau économique (Crea) est fondamentalement différent dans le sens où dès sa fondation, il rassemble le secteur public et le secteur privé. C'est une première dans l'histoire économique de notre pays. Et, finalement, c'est le secteur économique, sans distinction qui est rassemblé autour des mêmes objectifs: trouver les moyens de dépasser la crise, stimuler la croissance, mais aussi développer des perspectives économiques favorables et durables pour le pays. Compte tenu des difficultés que le pays traverse et du nombre d'entreprises qui ne sont représentées ni dans une organisation patronale, ni dans une association professionnelle, le Crea peut être une lumière au bout du tunnel pour ces entreprises qui se démènent seules dans leurs problèmes.
Le Crea dispose-t-il d'une feuille de route innovante et foncièrement en rupture avec les pratiques rentières?
L'innovation réside dans le fait que secteur public et secteur privé sont rassemblés autour d'un projet, celui de développer l'économie du pays pour améliorer à terme le quotidien des citoyens. Cela veut dire que nous nous retrouvons tous dans une économie de marché. Pas dans une économie administrée pour les uns, et une économie sans réelle définition pour les autres. Une économie de marché sous-entend des mots clés comme compétitivité, croissance, concurrence. Et là nous sommes face à une réelle rupture avec le passé. Ensemble, nous avons des priorités absolues telles que rétablir la confiance entre les opérateurs économiques et les pouvoirs publics, mais aussi se constituer en tant que partenaire incontournable face à la quête de la souveraineté et la sécurité économique du pays.
La confiance sera rétablie lorsque les pouvoirs publics seront en concertation permanente avec les entreprises avant toute décision législative ou réglementaire, mais également en mettant tout leur poids dans la balance pour se défaire de la résistance au changement de l'administration publique. La souveraineté et la sécurité économique du pays seront assurées lorsque notre pays disposera d'industries autonomes et d'une production nationale des intrants, qui se substitueront aux importations. Les chefs d'entreprise, pour peu qu'on libère leurs énergies, peuvent être des acteurs majeurs dans cette perspective économique. Voilà notre feuille de route.
Quels sont les objectifs que vous assignez à votre organisation?
Nous sommes un Syndicat patronal national qui rassemble des entreprises, tous secteurs confondus, qui ont fait leurs preuves, chacune dans sonr coin depuis plusieurs décennies. C'est le contexte économique difficile qui rassemble ces entreprises. Elles sont citoyennes et patriotes, mais également conscientes que si elles ne font rien pour améliorer le climat des affaires, elles vont à leur propre perte. Ce qui aurait des conséquences dramatiques pour des milliers de salariés et leurs familles.
Nous voulons oeuvrer à une transition économique, qui produit des biens et des services, en dehors de la rente pétrolière pour assurer une stabilité économique au pays et aux citoyens.
Quels seront vos rapports avec les autres organisations syndicales, notamment le Capc et la Cgea?
Des rapports courtois et amicaux. Nous pouvons aisément nous retrouver autour de l'ambition commune du progrès social et économique, de la nécessité de réformes structurelles qui ouvrent des perspectives d'avenir au développement des entreprises et de la création d'emploi. Le Conseil du renouveau économique algérien ne vient pas en supplément des autres organisations patronales, mais en complément. Je crois beaucoup à l'intelligence collective et je suis convaincu que nous allons nous retrouver sur des propositions communes.
Pensez-vous que le clivage public-privé relève désormais du passé?
Le président de la République a lui-même pris acte des difficultés du secteur économique dans son ensemble. Et il a tout à fait compris que les entreprises publiques et les entreprises privées évoluent dans le même monde et qu'elles sont impactées par les mêmes facteurs. Nous avions donc tout intérêt à nous rassembler pour répondre ensemble aux défis qui nous sont communs. Aujourd'hui nous parlons de l'entreprise comme une entité qui doit produire de la richesse pour mieux la redistribuer. Qu'elle soit publique ou privée n'a plus d'importance.
Face à la situation socio-économique actuelle, le Crea va-t-il réclamer la réactivation du contrat social et à siéger au même titre que l'Ugta?
Nous espérons fortement être invités à la table. Nous salarions des milliers de personnes et nous savons bien que les conditions de travail varient d'un secteur à un autre, voire d'une entreprise à une autre. Nous sommes pour des entreprises modernisées dont la production répond aux normes internationales, mais nous sommes aussi culturellement pour des conditions de travail dignes pour les salariés. Par ailleurs, nous voulons fédérer les entreprises autour d'une stratégie nationale de retour à l'emploi et à ce niveau, l'Etat doit jouer son rôle d'accompagnateur. Face à la crise, nous avons besoin d'inventer un nouveau contrat social qui tienne compte des entreprises et des salariés.
Un dernier mot?
Au travail!