Un état d’esprit vaut bien un programme
À y regarder de plus près, et à l'aide d'une loupe algérienne, l'observation de la vie politique nationale, depuis le 20 septembre 1962, date de la première Constituante, jusqu'à la huitième législative, celle du 4 mai 2017, montrait déjà que le système fonctionnait bon an, mal an, avec des fortunes diverses, jusqu'à frôler la faillite politique, celle qui a engendré la décennie rouge, dans les années quatre-vingt-dix... Constat qui ne pourrait satisfaire que les adeptes du «verre à moitié plein» face à ceux qui relèvent le «verre à moitié vide». Un cas d'école sur lequel aucun amphi de sciences-po n'aurait voulu se risquer à en faire un objet d'étude. Une autre façon, à dire vrai, de faire du sur-place. De gérer un provisoire durable, sans craindre de déboucher sur cette fameuse régression féconde. Cet oxymore qui a failli faire son chemin, au début des années 1990, via cette frange de l'intelligentsia de ces temps troubles, parée, qu'elle se voyait, pour «cette obscure clarté qui tombe des étoiles» (Le Cid, Corneille). Tout un programme. Justement, et à propos de programme, c'est qu'il y a eu pléthore de «programmes», enchâssant des plans quinquennaux à n'en plus finir! Sur le papier, leur caractère prométhéen était bien réel, mais c'est à l'épreuve du temps que les choses ont commencé à se corser, rejoignant tout ce qui semble avoir été frappé de ce mal endémique national, celui des finitions inachevées...
Ainsi, il aura fallu, et pour sortir de ce cercle vicié, l'avènement de Abdelmadjid Tebboune à la tête de l'État pour que soit annoncée la dissolution de l'APN, répondant ainsi «aux doléances du Hirak qui a appelé à la rupture avec l'ancien système et l'élection d'une nouvelle Assemblée».
Mais il faudra remonter, quand même, jusqu'à l'été 1965 pour repérer un effet miroir à cet état d'esprit, à travers ces propos de Houari Boumediène: «La mauvaise gestion du patrimoine national, la dilapidation des deniers publics, l'instabilité, la démagogie, l'anarchie, le mensonge et l'improvisation se sont imposés comme procédés de gouvernement.»
En fait, et à soixante années d'écart, nous avons donc la preuve de l'utilité d'un état d'esprit car il reste le meilleur garant de l'application d'un programme. Les meilleurs dirigeants sont ceux qui ont du caractère, c'est connu. «Le propre de la démocratie est d'être volontaire et la démocratie est d'abord un état d'esprit...» énonce justement la philosophie politique. Un état d'esprit fait «avant tout d'un intérêt profond pour le destin de la communauté à laquelle on appartient et du désir d'y participer à tous les niveaux». On le voit, la lettre aura surtout besoin de l'esprit pour avancer. Recontextualisée dans la sphère algérienne, cette pensée expliquerait bien l'indigence, pour ne pas dire l'inanité, d'un certain discours partisan. En effet, nous sommes les témoins d'une standardisation, chez certains, des réflexes (ne parlons plus ici de réflexion). D'où ce silence assourdissant, entre deux rendez-vous électoraux, de nombre de partis politiques. Se situant du coup à une portée de l'antichambre où démagogie et opportunisme partagent un concubinage forcé. Sauf que les citoyennes et les citoyens de ce pays ambitionnent toujours de vivre dans une Algérie nouvelle, et ils y croient dur comme fer. Et ils ont été majoritaires dans leur choix en 2019. Libre de toutes entraves partisanes et en candidat indépendant, Abdelmadjid Tebboune aura donc toute latitude de poursuivre ce qu'il a commencé à entreprendre durant son premier mandat (2019-2024). «Je vous ai montré la voie ardue - la seule, j'en suis sûr - qui mène au sommet, et je vous ai dit les grands horizons qu'on y trouve», a dit un jour un homme politique du siècle dernier. Cette même phrase pourrait refléter, en septembre 2024, un certain état d'esprit qui vaut bien un programme.
Le jeu en vaut largement la chandelle pour être donc à peu d'encablures du statut plein et entier de pays émergents. En disant cela, nous ne sommes pas en train de faire notre propre cinéma, comme dirait l'homme de la rue. L'état actuel du cinéma national ne permettant aucunement de la légèreté sera d'ailleurs l'objet d'une prochaine chronique. Et en cette période de «bilans et perspectives», ce serait justice que de se faire l'écho du désarroi des professionnels de la profession, de leur détresse même. Quand on pense que Abdelmadjid Tebboune a été le premier homme politique, depuis l'indépendance, à tenir un propos responsable et novateur sur le cinéma et la meilleure façon de leur rendre compétitif économiquement. «Nous allons renforcer ou plutôt relancer l'industrie cinématographique qui a perdu sa place depuis des années et des années» (28 juin 2017). Idée réitérée dès son arrivée à El-Mouradia, en 2019. Cela reflète aussi la présence d'un état d'esprit, d'un esprit ouvert sur son temps, un esprit en éveil.