Kanun Hükmü fait polémique au Festival d’Antalya en Turquie
Décidément, le cinéma souffre toujours de la politique. Les médias internationaux ont fait état de l’interdiction d’un documentaire turc de Nejla Demirci, 2023, qui devait être projeté à l’occasion de la 60e édition de l’Antalya Altýn Portakal Film Festival (Turquie) organisé du 7 au 14 octobre 2023 et qui a été déprogrammé par les organisateurs, officiellement en raison d’une procédure judiciaire en cours à l’encontre de l’un des deux personnages présentés dans le documentaire, lesquels ont été licenciés durant l’état d’urgence décrété par le gouvernement après la tentative de coup d’État manquée de 2016. Les licenciements du docteur Yasemin Demirci et du professeur Engin Karataþ, comme ceux de plus de 130000 fonctionnaires, sont précisément le sujet du documentaire controversé. Après que la réalisatrice a rappelé sur Twitter que le film a déjà fait l’objet d’une interdiction au moment de la production, une décision annulée par les tribunaux au nom des libertés d’expression et artistique, certains observateurs laissent entendre que les pouvoirs publics et la municipalité ont sans doute fait pression sur les organisateurs, le ministère de la Culture et du Tourisme comptant parmi ses principaux sponsors... Finalement, le 29 septembre 2023, le maire d’Antalya annonce carrément l’annulation du Festival. Le film qui divise beaucoup en Turquie, est un documentaire intitulé Le décret (Kanun Hükmü en turc), de Nejla Demirci, qui narre à la fois une histoire très personnelle pour cette réalisatrice, mais aussi et surtout une histoire de la Turquie des dernières années. Le film raconte la lutte de deux fonctionnaires – une médecin et un instituteur, respectivement la sœur de Nejla Demirci et l’un de ses amis – qui ont été limogés par décret présidentiel après le coup d’État manqué de juillet 2016. Limogés, cela veut dire licenciés, déchus de tous leurs droits sociaux, privés de passeport et souvent empêchés, de fait, de retrouver un travail, sans autre explication que des soupçons de «liens» avec le terrorisme. C’est ce qui est arrivé à plus de 125000 fonctionnaires turcs dans les années d’état d’urgence qui ont suivi le putsch avorté. Seule une poignée d’entre eux (18000) ont pu retrouver leur poste. Nejla Demirci raconte qu’elle a mis des années à faire ce film, car elle a dû lutter contre des interdictions de tournage, des gardes à vue, des intimidations de la part de policiers et d’autres officiels qui l’accusaient de faire de la «propagande terroriste». Elle a fini par s’adresser à la Cour constitutionnelle, qui lui a donné raison. Puis arrive la nouvelle de sa sélection au Festival d’Antalya. Dans un premier temps, cela a poussé les organisateurs à revenir sur leur décision, car en réalité, aucune procédure judiciaire n’est en cours. Le ministère de la Culture et du Tourisme, l’un des principaux sponsors de l’évènement, a alors aussitôt décidé de se retirer du festival, et le ministère des Sports de ne plus prêter la salle qui devait accueillir l’évènement. Le 28 septembre, le directeur du festival a annulé une seconde fois la sélection du documentaire, faisant état de «menaces» et annonçant qu’une enquête avait été ouverte contre lui. Dans la foulée, la mairie d’Antalya – un membre de l’opposition – a indiqué devoir se résoudre à annuler le festival.