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TERRE DES FEMMES DE NASSIRA BELLOULA

La mémoire éprouvée de nos femmes...

Il y a presque un siècle, le duc d'Aumale écrivait en juin 1844: «Les Djebels-Aurès ne sauraient être considérés comme soumis, la résistance y est seulement décomposée et non détruite.»

Le fond, fort significatif de cette citation, c'est Nassira Belloula qui nous le rappelle dans son émouvant et édifiant roman Terre des femmes (*), - ici, néanmoins, tout est loin des idées, si lumineuses soient-elles, développées dans les associations féministes ou paraissant dans les revues du même titre dans certains pays. Ici c'est une suite de récits en flash-back de vies de femmes algériennes, exemplaires d'abnégation, d'intelligence, de courage, d'amitié et... d'amour, face à la souffrance. Ce sont des vies aux multiples conditions sur une terre, la leur, la nôtre, celle de l'humanité entière et où, au vrai, nulle part la femme a sa juste place, pas même parfois où cacher ses blessures.

La femme écrivain entre fiction et histoire
Nassira Belloula nous renvoie à un pan de l'Histoire, avec H, de 1847 à 1955, spécialement à un moment crucial où il faut se déterminer: soit continuer de résister soit se soumettre au corps expéditionnaire formellement issu de l'«armée d'Afrique», créée sous la Monarchie de juillet 1830. La romancière fait témoigner «ses» femmes principales (Zwina, Tafsut, Yélli, Tadla et Aldjia) choisies pour ce qu'elle savait vraiment d'elles, à travers cinq générations: quelque chose d'unique et leur filiation commune, à partir du premier personnage femme nommée Zwina, jusqu'au dernier, la femme Nara, fille de Aldjia. Elles sont toutes de l'Aurès, en quelque époque qu'elles vivent. Leur mémoire est fertile, sans doute trop endolorie par des événements anciens et contemporains, variés et particuliers, des contraintes sociales violentes, des modes de vie sans liberté personnelle ou avec trop de liberté - telle la femme «azria», une courtisane - et surtout par le poids des sombres et séculaires traditions que la trahison de l'homme absurde, imbu de la masculinité de sa personne, entretient toujours.
Nassira Belloula sait de quoi elle parle. «De mon éducation, a-t-elle déclaré ailleurs, je garde une sensation de perpétuel danger. J'ai la peur des choses et des hommes. Je n'ai jamais su si ma peur était réelle. J'étais prisonnière de cette éducation basée sur la méfiance et l'interdit.» Elle est née le 13 février 1961, à Batna. Elle a grandi à Alger, au milieu d'une famille nombreuse, va à l'école primaire. En 1970, son père est obligé de s'installer à Aïn-Touta (Mac Mahon durant la colonisation) dans la wilaya de Batna. Elle ne s'adapte pas à sa nouvelle vie. Pourtant, elle fréquente heureusement le lycée technique à Batna puis l'École Nationale des Cadres de la Jeunesse. Après son mariage, elle élève ses deux filles. Toutefois, en 1993, elle est journaliste dans la presse indépendante algérienne et tient une rubrique sur le thème société et culture. En 2010, elle s'installe à Montréal et collabore à Radio-Canada. En 2011, elle prépare à l'Université de Montréal un diplôme en Histoire et actuellement un diplôme en littérature comparée.
Les souvenirs de son long séjour à Aïn-Touta et de la découverte de la vaste région du massif de l'Aurès et de ses populations lui reviennent en pensée et alimentent ses sujets de prédilection en écriture. Parallèlement, elle aura publié plusieurs ouvrages:
romans (La Revanche de May, Visa pour la haine,...), récits (Rebelle en toute demeure, Djemina,...), poèmes (Les Portes du soleil,...), essais (Algérie, le massacre des innocents, Les Belles Algériennes, confidences d'écrivaines,...).
Mais revenons à la source d'inspiration de Nassira Belloula qui déclarait ailleurs: «J'aime beaucoup jongler avec le récit et l'histoire dans mon écriture, il a donc été important pour moi de me documenter sur l'histoire de l'Algérie (...), surtout que l'ouvrage Terre des femmes, bien qu'il reste une fiction, a besoin d'un certain cadre historique. Je voulais aussi donner le regard de l'autre côté du colonisateur. C'est pour cela, par exemple, que lorsque je parle de massacre, je mets aussi la citation exacte du général qui l'a commis.»
Ah! qu'il disait donc vrai, le duc d'Aumale! Celui-là même que glorifiaient, en 1930, «les Cahiers du Centenaire» parmi «Les Grands Soldats de l'Algérie» et qui avait marché sur les traces de ses frères, le duc d'Orléans, le duc de Nemours et le prince de Joinville. Ils étaient tous les quatre, fils de Louis-Philippe qui, précisent les mêmes «Cahiers», «réalisa presque entièrement sous son règne, de 1830 à 1848, la conquête militaire de l'Algérie et les envoya à maintes reprises participer aux expéditions. Il tenait à ce qu'ils fassent l'apprentissage du métier des armes; il voulait aussi montrer à l'armée et au pays qu'ils savaient partager les dangers et les peines des enfants du peuple.»
Le duc d'Aumale, lieutenant-colonel au 24e de ligne, servit avec zèle la conquête lorsque Bugeaud entreprit de soumettre Abd el Kader.
Après «La prise de la «Smalah [Zoumalâ', en arabe]» (1843), selon les conditions décrites dans les archives de l'armée d'Afrique, mais se référer plutôt aux études revues et corrigées par nos historiens, il fut nommé général de division.
En novembre 1844, il s'installa à Constantine et, accompagné de son jeune frère le duc de Montpensier, il commençait, en février 1844, à connaître la région du massif de l'Aurès dans toute son étendue, y compris à l'évidence «les Djebels-Aurès», et particulièrement l'esprit des populations qui ne cessaient d'organiser et de réorganiser la résistance à l'armée de la France coloniale. On se doute bien, on le sait, que la guerre contre les populations de l'Aurès - et du reste de l'Algérie - n'était ni une promenade de santé pour les soldats français conquérants ni une vie paisible ou réjouissante pour le peuple algérien.

Une filiation féminine révolutionnaire
Dans ce contexte historique réel et débordant largement allusivement sur la société algérienne postcoloniale, le problème (si c'en est un) de la femme algérienne soulève ce qu'est sa condition, sa qualité, ses droits et ses devoirs dans une société à une époque donnée. Que le roman Terre des femmes de Nassira Belloula nous présente une saga continuellement vivace et intelligente à travers le temps, la société et l'espace de l'Aurès, ne peut que nous intéresser, nous ranimer l'esprit pour savoir et comprendre ce que nous sommes, ce qu'est notre histoire. Notre passion est de nous connaître sans ambiguïté, sans grandiloquence, sans fatuité et sans nous diminuer aussi! L'écrivain algérien, plus que jamais, doit être un pédagogue. Oui, il doit éduquer et instruire! Nassira Belloula fait oeuvre utile avec son roman Terre des Femmes.
De quoi s'agit-il? Il faut dire que le choix de l'unité de lieu pour faire revivre une situation dramatique (au sens grec drâma, action) valorise exceptionnellement le caractère violent des événements vécus par les personnages, toutes des femmes de l'Aurès, Zwina, Tafsut, Yélli, Tadla, Aldjia et Nara, la dernière de la lignée. Le drame de chacune de ces six femmes occupe l'essentiel de leur vie dans l'événement. Chaque histoire est développée dans un chapitre spécifique de la vie du personnage et suivant un lien constant et dans un décor sublime de l'Aurès, ce qui exacerbe la puissance tragique du récit et secoue la conscience du lecteur d'aujourd'hui. L'ensemble constitue une sorte d'échantillon de vies particulières aux personnages et à leur lieu de résidence ou de leur région, mais chacune d'elles a vécu l'événement et l'a assumé différemment: l'arrivée de l'armée française à Constantine et sa région, l'Aurès (Batna, Biskra, la révolte de cheikh Bouziane à Zaâtcha, le soulèvement de 1870,... la révolte de 1916 (contre la circonscription), et les années 1930,... 1945,... 1954, 1955,...
La structure de ce roman relève d'un découpage spécifique inattendu: les chapitres ont pour titre le nom des personnages et s'enchevêtrent en sections où le même récit semble se renouveler sous une forme différente et pourtant il porte, et la diffuse, une action dramatique riche en informations et en suspens. Ainsi se succèdent et s'emmêlent littérairement: Zwina: Village de Nara, dans le vaste pays des Chaouis, un soir de printemps de l'an 1847. - Tafsut, Village de Tagoust, les Aurès, un jour de printemps de l'année 1854. - Yélli, Sur les rives de l'oued Maâfa, 1870. - Tadla, Mac-Mahon, village colonial, 1915. - Aldjia, Village Nègre, Batna, 1940. - Nara, Village de la Maâfa, Mac-Mahon, 1955... «Nara regarda son fils, le premier garçon né depuis la naissance de Zwina, il y avait exactement cent vingt-six ans, soit plus d'un siècle de filiation féminine, qui fut rompue par la naissance d'un fils dans les maquis.»

(*) Terre des femmes de Nassira Belloula, Chihab éditions, Alger, 2014, 187 pages.

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