Comment produire des compétences
Le «Pacte pour l'avenir» des Nations unies met l'accent sur «la nécessité d'assurer à tous une éducation de qualité et l'apprentissage tout au long de la vie», objectif de développement durable N°4 de l'Agenda 2030 de l'ONU, visant à produire à la longue des compétences, seules à même de réaliser le programme de développement durable de leurs pays respectifs. Consciente que la compétence est un enjeu de souveraineté nationale, l'Algérie doit faire face, à l'instar d'autres pays, à un défi majeur: adapter ses formations et politiques publiques pour développer et conserver les compétences qui garantiront sa souveraineté nationale. Le fait que les compétences constituent un enjeu de souveraineté nationale implique nécessairement de les placer au coeur des politiques publiques.
En tout temps, l'homme a toujours été considéré comme le véritable «nerf de la guerre» plus que les ressources financières. Staline à qui on disait que le Pape était puissant avait répondu «de combien de divisions dispose- t' -il?» Juste pour rappeler que la puissance d'un pays réside avant tout dans son potentiel humain suffisamment formé. Autre souvenir qui me revient à l'esprit: l'ambassadeur en Algérie d'un pays européen venu faire ses adieux au Premier ministre à la fin de sa mission, lui a dit en ma présence en ma qualité de Conseiller, «le nombre d'étudiants algériens venus étudier dans mon pays est nettement inférieur à celui de vos voisins qui, plus avisés, envoient en formation à l'étranger dans les grandes écoles et les universités prestigieuses de plus en plus d' étudiants pour renforcer leurs capacités dans toutes les disciplines afin de les préparer à faire face aux nouveaux défis du monde à venir». De quel potentiel humain dispose-t-on et quelle stratégie mettre en oeuvre pour le renforcer, le valoriser et le développer sur le plan quantitatif et qualitatif, afin de mieux affronter la compétition et l'adversité étrangères dans une lutte sans merci sur le plan politique, économique et sécuritaire? Les compétences algériennes sont nombreuses dans le pays et à l'étranger. Elles gagneraient à être recensées et mobilisées. En Algérie, l'enjeu principal est de garder dans le pays les cadres formés en veillant à leur insertion dans les meilleures conditions possibles, sur le plan matériel et professionnel, dans les différents secteurs d'activité en fonction de leur spécialité. Il faut en même temps actualiser toutes les formations, compte tenu des évolutions technologiques accélérées dans tous les domaines. Il existe, par ailleurs, un réservoir d'hommes et de femmes parmi les cadres de la nation, en retraite, qui ont occupé des responsabilités au niveau national et local et qui ont accumulé un savoir-faire précieux dans différents domaines, qu'il faudra utiliser dans des missions spécifiques ou dans la gestion de dossiers en fonction de leur expérience. À l'étranger, la diaspora algérienne recèle une expertise considérable dans différentes disciplines, notamment dans le domaine scientifique, juridique et économique. Le pays a tout à gagner à la mobiliser pour se renforcer, en mettant en oeuvre une politique d'intéressement en liaison avec les consulats pour nouer les contacts et assurer le suivi.
L'autre objectif à poursuivre est le développement de nouvelles compétences. La formation des compétences en Algérie est primordiale, car les bouleversements des métiers comme des technologies, qui connaissent des évolutions fortes ces dernières années comme la robotisation, l'informatisation et maintenant «l'IA isation», accélèrent l'obsolescence de ces compétences. Une étude de l'université de Harvard en 2022, qui m'a formé, démontrait que la compétence principale à l'avenir, serait «d'apprendre à apprendre». Cette stratégie de la connaissance repose sur notre capacité à construire les voies et moyens pour, non seulement identifier le plus tôt possible les compétences stratégiques, mais surtout pour mettre en place des dispositifs de formation initiale et continue suffisamment agiles et accessibles pour les déployer en temps opportun afin d'éviter l'obsolescence rapide des compétences techniques, évaluée selon les cas de 18 mois à 3 ans, alors qu'auparavant elle était estimée à 20 ans. Notre modèle d'enseignement crée de l'obsolescence liée essentiellement à la lenteur de l'évolution des programmes soumis à des contraintes administratives de moins en moins compatibles avec la vitesse de transformation des organisations et donc de leurs compétences. Nos ressources naturelles, budgétaires et démographiques étant par nature limitées, le choix de l'excellence est le seul possible avec trois actions majeures: adapter nos enseignements, coordonner les politiques publiques et les initiatives privées dans le domaine de la connaissance, protéger notre employabilité par l'adaptation constante. Une autre voie pour accroître la formation de compétences est l'envoi de nos meilleurs étudiants à l'étranger avec des bourses d'étude de post graduation et une coopération scientifique et technique renforcée avec les universités des pays développés.
Le risque que les étudiants une fois formés à l'étranger ne reviennent pas au pays doit être apprécié par rapport au bénéfice que le pays pourrait en retirer à court ou moyen terme. Il suffirait d'assurer un meilleur suivi de leur parcours d'études et de leur assurer les meilleures conditions d'accueil et d'engagement professionnel pour réduire ce risque. La pire des solutions est de ralentir le nombre de ces envois qui réduirait l'acquisition de nouvelles connaissances pour notre pays. Quant à la coopération inter-universités, l'idéal, serait que chaque université algérienne ait au moins un accord de collaboration avec une université étrangère dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Pour relever ces défis et démontrer par les actes que la compétence est un enjeu de souveraineté nationale, il est nécessaire de reconnaître le capital humain comme l'actif principal de l'État, que l'investissement dans l'humain est aussi important que celui dans les nouvelles technologies, l'un et l'autre étant interdépendants. On ne peut mieux résumer l'enjeu, puisque l'homme politique et stratège athénien Thucyclide, dont la principale oeuvre est la guerre du Péloponnèse, affirmait pour sa part que «la force de la cité n'est pas dans ses vaisseaux, ni dans ses remparts, mais dans le caractère de ses citoyens», autrement dit de leurs compétences.