Transhumances d’Aomar Khennouf
Rien n’arrive par hasard
Sans subjectivité lyrique il met le lecteur dans le comble de l’émotion.
Le livre a toujours un univers à nous faire découvrir même s'il nous semble au départ issu d'une écriture automatique, comme dans le genre autobiographique, là où l'écrivain n'invente pas ou ne transforme rien. Car l'écriture est toujours mouvement et, le plus souvent, elle n'emprunte pas de ligne droite. Mais, a-t-on vraiment besoin d'aller dans les profondeurs des êtres ou faire de bouleversantes transformations des réalités pour écrire? Aomar Khennouf est un écrivain qui a fait un pacte, pour ainsi dire, avec la réalité dans son écriture. Un pacte peut-être pour la simple raison qu'il possède toute la matière «humaine» dans sa propre vie. Il n'a nul besoin d'aller ratisser large et nulle envie de se faire harceler par de grandes illusions. Son univers s'imbrique assez largement d'ailleurs avec celui de l'Algérie des années 70, 80 et même un peu 90. Et cela lui suffit amplement à écrire des histoires souvent personnelles mais dont les rebondissements dépassent ce côté anecdotique pour toucher à toute une époque. Que ce soit dans Transhumances ou dans Rien n'arrive par hasard, parus aux éditions «Les presses du Chelif», l'aventure est celle d'un jeune homme plein de rêves et de toutes les volontés pour «réussir». Un parcours qui ne se détache pas des grandes transformations qu'a connues l'Algérie dans ces années-là.
La politique, comme lors de la mort du président Boumediène, La nationalisation des hydrocarbures, les constructions d'usines et bien sûr son parcours d'étudiant à l'Inforbat (institut de formation en bâtiment) de Rouiba.
L'auteur nous raconte avec affection son itinéraire d'étudiant puis de cadre dans des usines et dans différentes régions du pays. Mais en racontant on sent cet attachement aux péripéties qui ont jalonné sa carrière, à quelques infortunes mais aussi quelquefois à des bonheurs simples vécus au rythme de sa vie. Il combine des anecdotes, de petites histoires restées comme des débris dans la mémoire avec les grandes dates historiques que tout le monde connaît.
Une sorte de portrait multiple où l'on retrouve des films vus qui l'ont marqué, des livres lus dont l'écho résonne encore dans son cerveau, des rencontres marquantes et des voyages à l'intérieur ou à l'extérieur du pays. La réalité ou la proximité du réel qu'il raconte ne l'empêche pas de faire un peu dans la romance.
Les épisodes de Tebessa consignés dans Transhumances révèlent un écrivain nourri au romantisme. Sans subjectivité lyrique il met le lecteur dans le comble de l'émotion.
Ce livre qui se termine à l'année 1981 nous plonge ou replonge (selon l'âge du lecteur), au-delà de l'histoire personnelle de l'auteur, dans les premières vingt années de l'Algérie après son indépendance. Ces années de tous les espoirs pour cette génération qui avait eu la chance de fréquenter des écoles et des instituts dignes de ce nom, de trouver encore des salles de cinéma dont les films étaient généralement l'oeuvre des intellectuels de gauche du monde entier. Et puis surtout il y avait dans l'esprit de cette génération-là un incommensurable espoir pour l'avenir car elle avait encore en mémoire (une conviction partagée par tous), que les héros, nos héros, à l'heure de leur mort, souriaient pour que vive l'Algérie dans la dignité et la fierté.
Lounès GHEZALI*