Bouira en été
Tribulations d’un journaliste
Pour mieux attirer l'attention de nos chauffeurs, nous avons eu recours à cette astuce qui consiste à écrire le nom de la ville sur un papier et le brandir aux yeux de ces derniers. Chemin faisant, pour nous donner plus de chance encore, nous changeons fréquemment de place...

Certains regrets naissent de voeux non exaucés ou d'espoirs déçus. Nous aurions souhaité qu'il y ait eu plus de pluie. Nous nous en voulons d'avoir prononcé un mot qui a tant peiné un ami, de n'avoir pas fait assez de bien quand nous en avions l'occasion. Parfois, exagérant notre part de responsabilité dans un drame, nos regrets deviennent de vrais poisons ou de vrais boulets que nous traînons notre existence durant.
Notre regret est que le ciel ne soit pas bleu. Qu'il fasse chaud dès le lever du jour, cela ne nous tracasse pas. Nous sommes en été. Il fait toujours chaud, en cette saison. Mais que le ciel ait cet aspect gris, presque blanc, voilà qui éveille en nous plus qu'un regret, une inquiétude.
Cet état céleste dérange, en effet. Cela fait plusieurs jours qu'il dure. Il fait presque peur.
À la deuxième session de l'APW, on a passé tous les secteurs en revue. Et on s'est félicité des résultats que personne ne conteste. La crise de l'eau vécue en 2023 ne se pose plus avec la même acuité. Quant à l'agriculture, tout le monde sait quel malheur a frappé ce secteur que chacun considère comme névralgique. Même si la wilaya encouragée par l'État tente de diversifier sa palette économique en fondant beaucoup d'espoir sur le secteur industriel et en accueillant avec enthousiasme tous les projets d'investissement, il n'en reste pas moins que l'agriculture demeure la principale ressource pourvoyeuse de richesse et d'emploi. Le wali en a, à cette session, dressé un bilan très positif en rappelant la superficie emblavée cette année, et même s'il n'a pas fourni de chiffres sur la production, il a donné les prévisions qui la situent largement au-dessus du million de quintaux. Ce secteur occupe donc une place privilégiée dans les programmes de développement de la wilaya, de sorte-cela a été annoncé à cette session-que ses périmètres irrigués vont prochainement prendre plus d'extension encore, grâce aux moyens mis en oeuvre pour leur mise en valeur.
Tout de même on se dit, avec quelque regret, en considérant tous ces efforts: «Que fait-on pour l'environnement? Quelle mesure prenons-nous afin qu'il y ait moins d'émission de CO2, de gaz à effet de serre? Moins d'usines qui polluent, mais moins, aussi, de voitures qui sont de véritables petites usines polluantes ambulantes. Le principal indicateur, le bon, le meilleur reste le ciel. Quand le ciel est bleu en été, cela voudra dire que les saisons sont respectées, cela voudra dire surtout plus de pluie en automne, en hiver et au printemps. Et non cette situation qui se caractérise par un profond changement climatique génératrice de catastrophes naturelles. Mais était-ce la question? Celle qui nous turlupine ce matin et qui nous turlupinait hier, est de décider si je dois assister à la deuxième journée de la session d'APW ou de couvrir la visite de l'inspecteur régional de la police centrale annoncée la veille dans un communiqué de la police? Cette question n'est toujours pas résolue, alors que nous arrivons au siège de la wilaya. L'absence de véhicules et le silence qui nous accueille éveillent en nous une foule d'autres questions: et si la session d'APW a été interrompue comme la dernière fois par la visite d'un des ministres qui ont jeté leur dévolu sur notre wilaya? Et si cette tuile nous tombant dessus, nous arrivions trop tard?
Communiqués contradictoires et embarras
Rassuré par le communiqué de la police qui nous avertit que la visite de l'inspecteur régional de la police du centre dans la wilaya de Bouira, ce jeudi 18 juillet est pour dix heures, nous nous disons ce matin qu'il n'y a pas de raison de nous hâter. Nous pensons disposer d'assez de temps pour nous présenter à la session de l'APW, glaner quelques informations, et nous rendre au rendez-vous de la police. Le programme comporte un seul point: l'inauguration d'une sûreté à Ahl El Ksar, rattachée à la sûreté de daïra de Bechloul. Le communiqué tombait, ce mercredi à 10h14. C'est la seule information que nous possédons ce jeudi. Or, en arrivant vers 9 heures à la cellule de communication, qu'est-ce que nous apprenons? Qu'il y en avait eu deux après. Le premier, tombé à 20h15, fixait le départ à 9h. Le second, tombé à 20h25, sans changer l'horaire du départ, précisait cependant que le rassemblement, au niveau du siège de la wilaya, «était pour 8h30. Cette succession de communiqués contradictoires est consternante. Le dernier, émanant de la wilaya, ne démentait pas le premier qui provenait de la même source. Il apportait une précision. Mais il n'est pas plus respecté que le premier. Selon la chargée de la cellule de communication, le cortège en direction de la commune d'Ahl El Ksar s'est ébranlé vers 8h30. Devant notre intention et notre insistance de nous y rendre, cette dernière met en garde: «Il faut une heure de marche pour s'y rendre. Avant que vous n'y soyez, tout sera terminé.»
Mais comment avoir la conscience en paix? Si celle-ci était tranquille du côté des communiqués qui, quand ils ne se contredisaient pas, tombaient à une heure indue, il y a le boulot et le devoir exige qu'il soit fait sans délai. Au commissariat central où l'espoir de trouver un moyen de nous tirer d'affaire n'aboutit qu'à perdre de précieuses minutes. La cellule de communication est fermée et tous les chefs avaient fait le déplacement à Ahl El Ksar.
Le regret (nous en parlions plus haut), le sentiment mêlé de honte d'avoir manqué quelque chose d'essentiel nous jette sur la route en direction d'Ahl El Ksar. Les moyens de transport manquent. Pour se rendre dans cette commune, il faut attendre le bus pour la gare routière. Et une fois là- bas, attendre encore celui d'Ahl El Ksar. Les paroles de la chargée de communication nous reviennent en mémoire: jamais nous n'y serons à temps. Il ne reste d'autre alternative que de nous rendre à pied à oued D'Hous. L'espoir est de tomber sur un véhicule (taxi ou bus) qui se rende dans cette commune.
Négligence ou cas de force majeure?
Pour mieux attirer l'attention de nos chauffeurs, nous avons eu recours à cette astuce qui consiste à écrire le nom de la ville sur un papier et le brandir aux yeux de ces derniers. Chemin faisant, pour nous donner plus de chance encore, nous changeons fréquemment de place. Cette stratégie, comme celle du papier brandi n'a pas plus réussi. Et nous voilà, passant d'un endroit à un autre parvenu à la sortie du marché, sur la RN5. Là, un monsieur vient nous marquer sa solidarité. Il ne comprend pas qu'avec cette chaleur, il ne se trouve personne pour nous venir en aide. Mais où sa colère ne connaît pas de borne, c'est lorsqu'un fourgon de la gendarmerie s'arrête et nous demande ce que nous faisons sur la route.:
-Qu'est-ce qu'ils vous veulent, ceux-là?
-Ils veulent savoir ce que je fais là.
-Fallait-il qu'ils vous le demandent pour savoir?
Nous nous sommes fait un ami dans cette mer d'indifférence sur laquelle nous voguons ce matin. Mais cette interpellation des gendarmes nous a été bien utile. En découvrant notre identité, ils nous ont appris que la visite est terminée.
Gros-Jean comme devant
Il n'est pas loin de midi lorsque nous rebroussons chemin. Le trajet du retour vers la cellule de communication de la wilaya, paraît avoir triplé. Cependant, tout long qu'il paraît ce jeudi, il ne nous semble pas assez nos ruminations. Nous n'avons trouvé rien de bon à faire qu'à ressasser nos regrets: ceux de n'avoir pas vérifié quand même notre boîte e-mail, d'avoir trop traîné les pieds avant de sortir de la maison, d'avoir manqué le «coche pour Ahl El Ksar, de nous être donné toute cette peine pour rien...
Il n'est pas loin de midi. L'air est brûlant et ce n'est que maintenant que nous nous en apercevons. Oued D'Hous réduit à une grande rigole, dont l'eau noire coule assez paresseusement sous le pont retient à peine notre attention. Nous savons qu'un peu plus bas, cette eau va subir un traitement de fond qui va lui permettre de retrouver un peu de limpidité et de son goût. C'est la plus grande station d'épuration de la wilaya. Nous est également connu le rôle qu'on attend d'elle et des autres stations en 2025 pour la récupération des eaux usées en vue de leur utilisation pour l'irrigation, une fois purifiée. Le wali en parlait le mercredi dernier, en abordant le sujet des périmètres irrigués et de leur extension prochaine. Ces stations, au nombre de quatre (pour ne parler que des plus importantes et du rôle qu'on leur attribue dans l'irrigation), il nous a paru qu'elles revêtent, aux yeux du wali, autant d'importance que les silos, dont il vient d'en lancer un, d'une capacité d'un million de quintaux, une semaine plus tôt à El Hachimia, ainsi que les centres de stockage, dont il a posé la première pierre à El Esnam le 4 juin dernier, lors de la visite du ministre de l'Agriculture.
En prenant un raccourci, nous avons évité le pont Sayeh, mais traversé la voie ferrée qui coupe la ville de Bouira en deux: l'ancienne ville, à l'Est, et la nouvelle, à l'Ouest, avec Draâ El Bordj, l'Ecotec, l'université, la zone d'activité, les 140 Logements etc. et ainsi de suite jusqu'à la forêt d'Errich, au nord.
Le projet de double voie qui a longtemps défrayé la chronique locale tarde à se concrétiser. La trémie que nous empruntons, débouche en face de la BDL, puis du commissariat central. Un coup d'oeil dans la cour calme nous avertit que la visite n'est pas finie.
L'attente devant la porte de la cellule ne dure pas longtemps. Les journalistes qui ont couvert la visite de l'inspecteur régional de la police du centre sont rentrés. Il confirme le premier point du programme.
À Ahl El Ksar, le wali et son hôte ont inauguré une sûreté urbaine. Le second point est un service pour le matériel de sécurité inter-wilaya, à El Hachimia (point non mentionné dans ce programme), dont l'accès n'est pas ouvert aux civils ni à la presse.