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Certains musulmans affirment que «le jeûne n’est pas obligatoire»

Au coeur d’une polémique

Razika Adnani est philosophe, islamologue. Elle est membre du Conseil d’orientation de la Fondation de l’Islam de France, membre du conseil scientifique du Ccefr (Centre d’Étude du Fait Religieux), membre du groupe d’analyse de JFConseil et présidente fondatrice des Journées internationales de philosophie d’Alger. Elle a contribué aux travaux du séminaire «Laïcité et fondamentalismes» organisés par le Collège des Bernardins. Elle a écrit deux manuels de philosophie en 2001 et 2003, Le blocage de la raison dans la pensée musulmane (en arabe) paru en 2011 aux éditions Afrique Orient, La nécessaire réconciliation, une réflexion sur la violence paru en 2014 aux éditions UPblisher, et Islam : quel problème ? Les défis de la réforme paru en 2017 aux éditions UPblisher (France) et en 2018 aux éditions Afrique Orient (Maroc).

Le mois de Ramadhan tire à sa fin. Les musulmans ont toujours considéré cette pratique comme un des cinq piliers de l’islam qu’ils sont obligés d’observer. Ainsi, les choses paraissaient évidentes pour eux. Cependant, cette année encore comme c’était le cas ces dernières années, le jeûne dans le monde musulman, arabophone notamment, est animé par des débats et des controverses après que certains ont affirmé que le jeûne n’était pas une obligation, mais un choix personnel. De telles infirmations ont divisé les musulmans entre ceux qui approuvent et ceux qui dénoncent ce discours.
Le jeûne dans les textes
Le jeûne est cité dans la sourate La Vache dont le verset 184 qui dit : « Un nombre compté de jours sauf si quelqu’un parmi vous est malade ou en voyage il pourra rattraper le même nombre de jours ultérieurement et ceux qui sont capables de jeûner (mais qui ne jeûnent pas) doivent se racheter en nourrissant un pauvre, celui qui est volontaire pour le bien il lui sera compté, mais jeûner est encore mieux si vous saviez.»
1 Ceux qui affirment que le jeûne n’est pas obligatoire en déduisent que le jeûne est une question de choix étant donné que le verset précise que ceux qui sont capables de jeûner, mais sous-entendu ne jeûnent pas, doivent se racheter en nourrissant un ou s’ils veulent plusieurs pauvres.
Une interprétation qui est affirmée par des commentateurs tel qu’Ibn el-Kathir (1301-1373) qui a écrit : «Quant à celui qui est en bonne santé et qui est capable de jeûner, il avait le choix de jeûner ou de manger. S’il voulait il jeûnait et s’il voulait il mangeait et £rattrapait en nourrissant un pauvre chaque jour s’il pouvait nourrir plus de pauvres c’était encore meilleur …»
Cependant, le jeûne est également cité dans le verset 185 de la même sourate qui prend un ton plus impératif et constitue ainsi la preuve que le jeûne, est une obligation : «(…) celui qui parmi vous est présent en ce mois qu’il le jeûne, le malade et le voyageur rattraperont leurs jours ultérieurement (…)»2.

Les docteurs de la religion face aux textes
Devant une telle situation, on peut affirmer que les docteurs de l’islam se sont trouvés dans des conditions de travail qui n’étaient pas faciles. Pour sortir de cette difficulté, presque tous ont considéré que le verset 185 abrogeait le verset 184. Le principe de l’abrogé nassikh et de l’abrogeant manssoukh est utilisé pour sortir de certaines situations juridiques et théologiques complexes où, au sujet d’une même question, deux positions différentes, voire contradictoires sont présentées. C’est la position qui a été retenue par les musulmans au point où, dans certains pays musulmans, ne pas jeûner est passible de poursuite judiciaire.
Un choix qui a certainement d’autres raisons que la disposition des deux versets étant donné que la transcription du Coran n’a pas été soumise à un ordre chronologique quelconque. Cependant, il est difficile de négliger l’ambiguïté du verset 184 dans l’explication de ce choix. En effet, à la lecture de ce dernier, on se demande pourquoi celui qui est capable de jeûner doit se racheter s’il ne jeûne pas. L’obligation de se racheter n’implique-t-elle pas que le jeûne est une obligation ? Pourquoi le malade et le voyageur doivent-ils rattraper ultérieurement les jours manqués si le jeûne n’est pas obligatoire ? Ces incohérences nous permettent de supposer qu’une erreur s’est introduite dans le verset 184 lors de la transcription du Coran. Ainsi, au lieu d’écrire : « (…) ceux qui ne sont pas capables de jeûner doivent se racheter en nourrissant un pauvre (…) », le transcripteur a écrit « (…) ceux qui sont capables de jeûner doivent se racheter en nourrissant un pauvre (…) ». À préciser qu’en arabe la négation s’exprime en un seul mot constitué d’une seule syllabe (áÇ).
Quelle que soit la situation, les musulmans d’aujourd’hui ont le droit d’interroger les textes religieux non seulement au sujet du jeûne, mais aussi des autres questions qui les interpellent. Cela participera assurément à dissiper beaucoup de dogmatisme. Cependant, déclarer avec fermeté que dans le Coran le jeûne n’est pas obligatoire sans évoquer le verset 185 de la sourate «La Vache» comme le font certains, ni chercher à expliquer pourquoi une telle démarche est objectivement possible non seulement ne convainc pas les adeptes de cette religion, mais provoque également des résistances.
Il n’y a certainement aucune raison de fermer les portes de la recherche, car le travail des premiers musulmans ne peut être une vérité absolue. Cependant, il n’y a aucune raison non plus de douter, en tout cas pour une grande partie d’entre eux, qu’ils ont fait le travail qu’ils pensaient être le meilleur pour les musulmans et avec les éléments de compréhension dont ils disposaient.
Cependant, ceux qui affirment avec certitude que dans les textes le jeûne n’est pas obligatoire, appartiennent à l’école coraniste qui ne reconnaît que le Coran comme source de savoir et de législation dans le domaine religieux. Ils prônent généralement l’idée que tous les problèmes que rencontrent les musulmans au sujet de leur religion n’ont rien avoir avec l’islam et qu’ils découlent uniquement d’une interprétation erronée des textes coraniques.

Le jeûne, une question de choix ?
Parmi les « Coranistes », certains se distinguent en affirmant que non seulement le Coran, donc l’islam, porte en lui toutes les solutions aux questions qui se posent, mais aussi celles permettant aux musulmans d’entrer dans l’ère de la modernité. Leur objectif, comme Mohamed Chahrour, est de démontrer que les musulmans n’ont pas besoin de chercher des solutions à leurs problèmes en dehors de l’islam ni de séparer la politique de la religion comme l’a fait l’Occident pour évoluer. L’évolution et la modernisation des musulmans se feront au sein de l’islam et par l’islam. Pour eux, le Coran, avant que les commentateurs ne corrompent son discours, portait en lui toutes les valeurs modernes. Ainsi, concernant le jeûne, ils affirment que le fait qu’il ne soit pas une obligation, comme le prouvent les textes, permettraient aux musulmans de l’annuler. Ils nourriraient à la place un pauvre conformément à l’islam. Cela serait une bonne manière pour lutter contre la pauvreté selon Mohamed Chahrour.

Acrobatie intellectuelle
Pour prouver le bien-fondé de leur position, ces « Coranistes, à leur tête Mohamed Chahrour, s’adonnent à un jeu de rhétorique et d’acrobatie intellectuelle qui séduit un grand nombre de musulmans qui rejettent le traditionalisme ou épris de modernité, mais ne règle en rien les problèmes qui se posent à eux en ce début de XXIe siècle. Leur discours non seulement est fragile devant les traditionalistes qui ont leurs propres arguments, mais peine également à tenir sur le plan de la cohérence. Il suscite ainsi des polémiques interminables, stériles et sans aucun intérêt pratique pour les musulmans. Entre ceux qui ne reconnaissent pour le Coran que les valeurs du VIIe siècle et veulent les placer en dehors du temps, et ceux qui l’arrachent à son contexte et le projettent dans l’époque contemporaine, si les musulmans doivent attendre que les différences soient résolues pour savoir quelle position ils doivent prendre vis-à-vis des problèmes qui se posent à eux et à l’humanité aujourd’hui, ils
risquent d’attendre trop longtemps. Les musulmans ont tout à fait le droit d’envisager une autre organisation sociale, morale et économique pour leur pays. Cependant, la manière la plus efficace et la plus rapide pour y parvenir est de séparer la politique de la religion. Cela n’exclut pas de faire un travail sur l’islam à condition qu’il soit celui d’une pensée libre qui est capable de faire une lecture objective des textes et de l’histoire de la pensée musulmane pour une « véritable réforme» de l’islam. Cette dernière est nécessaire pour compléter et consolider la neutralité de l’État.

1. Les mots ou les passages en italiques sont ceux qui prêtent à confusion et dont la traduction n’est ni évidente, ni facile. «L’attention du lecteur est attirée sur le fait qu’en arabe la version originale du Coran est rédigée sans ponctuation…De ce fait, présenter une version avec une ponctuation revient déjà à proposer une interprétation du texte.»

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