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Gilles Manceron, historien français, à L’Expression

«Il y a une part de racisme dans la mémoire française»

Dans l'entretien qu'il nous a accordé, l'historien affirme que la «rente mémorielle» existe, aussi, en France. Cette rente est coloniale. Et c'est elle que le président français devrait combattre.

L'Expression: M. Manceron, allons droit au but: pensez-vous que l'histoire de l'Algérie est réellement écrite sur la haine de la France comme l'a affirmé le président Emmanuel Macron?
Gilles Manceron: La mémoire que les Algériens ont conservée de la colonisation française comprend celle des violences et des crimes qui l'ont accompagnée, alors que la France a présenté sa colonisation comme bienfaitrice. C'est la mémoire française qui contient une part de racisme car les autorités ont présenté la guerre d'Indépendance nationale de l'Algérie comme une entreprise menée par des bandits et des hors-la-loi. On peut s'interroger sur la manière dont l'Histoire nationale de l'Algérie a été enseignée depuis l'indépendance, nos collègues historiens et enseignants algériens en discutent. Mais ce qu'il faut faire, du côté français, c'est abandonner clairement le discours colonial qui a imprégné la population française et a influencé sa mémoire collective. Il s'agit de sortir, en France, de la vision colonialiste de ce passé franco-algérien. Il faudrait que les plus hautes autorités de la République française expliquent aux citoyens d'aujourd'hui que le discours qu'on leur a tenu dans le passé était mensonger. Que l'insurrection déclenchée le 1er novembre 1954 a été l'aboutissement de nombreux mouvements de révolte contre la conquête qui ont commencé dès le débarquement de l'expédition de 1830 et qui étaient autant d'aspirations légitimes à la liberté et à la fin du joug colonial.

En affirmant que la nation algérienne n'existait pas avant l'invasion française, le président français n'est-il pas en train de se nourrir du discours de haine, du racisme, etc. cher à la droite française et par ricochet aiguiser les tensions entre Paris et Alger? N'est-il pas en train d'exploiter lui-même cette rente mémorielle?
En effet, il y a aussi en France une «rente mémorielle», qui est coloniale et c'est à celle-là que le président de la République française devrait s'en prendre. Tel est le travail qu'il faut faire en France et auquel beaucoup d'historiens, d'enseignants et d'associations se livrent. Le président Macron sort de son rôle en s'en prenant à la mémoire et à l'histoire enseignée en Algérie. Ce n'est pas aux hommes politiques d'écrire l'histoire, c'est aux historiens. En se risquant sur ce terrain, il a dit des choses qui sont inexactes sur l'inexistence de nation et d'État en Algérie avant la colonisation française. En réalité, il y avait bien avant la colonisation française des éléments de structure étatique et de prise de conscience nationale dans le Maghreb central qui est devenu l'Algérie.
Pas seulement avec Abdelkader dans l'ouest de l'Algérie, mais aussi, auparavant, avec la résistance d'Ahmed Bey à la prise du beylik de Constantine, avec les révoltes des Ouled Sidi Cheikh, de Mohamed Ben Toumi Ben Brahim dit Cherif Bouchoucha, de Lalla Fadhma N'Soumer, de Cheikh Boubaghla, d'El Mokrani, de Cheikh El Haddad, puis de Cheikh Bouamama et de bien d'autres tout au long du XIXe siècle. La répression massive qui s'est produite dans le Nord-Constantinois en mai-juin 1945, qui a fait des dizaines de milliers de morts, a montré aux Algériens qui souhaitaient participer, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au mouvement général d'émancipation des peuples colonisés, que les autorités françaises ne laissaient d'autre issue aux partisans de la conquête de libertés démocratiques que la voie de la lutte armée. Parmi la génération qui atteignait l'âge adulte à ce moment-là, des hommes qui ont pris la responsabilité de déclencher l'insurrection et ont fondé le FLN. Venant de l'Étoile nord-africaine/PPA/MTLD, ils sont parvenus à impliquer dans ce combat les différentes forces organisées de la société algérienne, les ouléma, l'UDMA et les communistes algériens qui s'affranchissaient progressivement de la tutelle des communistes français. Ce qui fait que le FLN a accompagné l'émergence d'un sentiment national en Algérie. Un sentiment national qui s'est affirmé au fil de la guerre en raison même de la généralisation de l'occupation militaire des espaces ruraux et de la répression brutale des populations des villes. Telles sont les réalités de l'histoire qu'il faudrait avant toute chose affirmer et diffuser en France.

Lors de sa rencontre avec les médias, le président algérien a assuré que la relation entre son pays et la France reste particulière évoquant ainsi les accords d'Évian de 1962. Qu'en est-il de votre lecture personnelle?
La colonisation s'est accompagnée d'injustices et de crimes, mais elle a fait aussi que se sont tissés des liens entre les deux pays et les deux sociétés. Aujourd'hui, beaucoup d'Algériens parlent le français. Il y a eu de nombreux mouvements migratoires qui ont favorisé des échanges. Le Mouvement national algérien dans sa forme moderne s'est construit d'abord en France, dans l'émigration, au contact du mouvement ouvrier français, avant de se développer en Algérie. La relation entre les deux peuples ne comporte pas seulement des épisodes tragiques, elle comprend aussi des échanges positifs dans de multiples domaines. Elle est ancienne et profonde. Il n'y a pas que les relations d'État à État, qui portent sur des données économiques, politiques et stratégiques. Il y a les liens humains, qui sont nombreux et qui persistent, même dans les périodes où les relations diplomatiques entre les deux Etats connaissent des crises.

Où aboutira cette crise diplomatique entre Paris et Alger? Va-t-elle s'estomper ou au contraire s'exacerber avec la montée en puissance de la campagne électorale aux couleurs de l'extrême droite pour la présidentielle d'avril prochain?
La question de la prochaine élection présidentielle française en avril 2022 a des conséquences sur les relations entre la France et l'Algérie dans la mesure où le président français a fait le choix de rallier dans cette perspective une partie de la droite française qui reste très imprégnée de la nostalgie de l'époque coloniale. Cela complique ses projets de reconnaître la vérité sur la domination que la France a exercé à l'époque coloniale.
Mais, à mon avis, tout cela relève d'une conjoncture qui ne pourra pas durer éternellement. À la crise actuelle succéderont forcément, de nouvelles avancées et de nouvelles évolutions positives. Les étapes ultérieures dans l'histoire de chacun des deux pays les favoriseront peut-être. En tout cas, à moyen terme ou à long terme.

À l'occasion du 60e anniversaire des événements tragiques du 17 octobre à Paris, pensez-vous que le président Macron devrait faire un nouveau geste d'apaisement sachant que des conférences-débats sont au menu à travers la France. Il est même prévu une marche, dimanche prochain, à Paris, pour commémorer cette date du 17 octobre 1961?
En effet, le président Macron doit s'exprimer sur cette répression tragique qui est intervenue au moment où la guerre s'achevait et où elle allait aboutir à l'indépendance de l'Algérie reconnue par les accords d'Évian. Il faut aussi qu'il s'engage sur l'accès des citoyens des deux pays, et d'ailleurs, aux archives. Ces deux dernières années, en dépit des promesses du président de la République, l'accès aux dossiers relatifs à la guerre d'Algérie est resté soumis au bon vouloir de l'administration française, qui refusait de déclassifier totalement ces archives malgré les demandes des historiens.
C'est une question essentielle, car on ne peut dépasser les affrontements hérités de la période coloniale qu'en établissant les réalités de cette histoire. Ce qui implique le libre accès aux archives, sans les restrictions imposées en France au prétexte du «secret défense».
Cette bataille pour l'ouverture des archives françaises concerne les historiens français au même titre que les historiens algériens. C'est un patrimoine que les deux pays doivent partager et qui concerne l'histoire des deux pays. L'accès aux archives, dans les deux pays, est indispensable pour écrire l'histoire, et donc pour espérer qu'ils puissent sortir de leur affrontement colonial et ouvrir une nouvelle page de leur histoire.

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