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Dr Robert Mazziotta, auteur, à L’Expression

«La colonisation n’a pas été un long fleuve tranquille»

Par petites touches rassemblées, des apports de tout un chacun des deux côtés. C'est ainsi que se constituera le puzzle de la mémoire. Pour le Dr Robert Mazziotta, les acteurs de la réconciliation des mémoires, les historiens, ne doivent pas agir selon des idées préconçues. Il ne s'agit pas d'un règlement de comptes, avertit-il, de même qu'il ne s'agit pas de répartir les torts et de désigner le coupable. «Il faut donner un cadre qui permettra à d'autres historiens de travailler.» «Il faut présenter des faits, sans jugement. Après chacun sera libre de les interpréter.» Telle est la solution préconisée dans cet entretien par Mazziotta. Né en 1942 à Oran, partisan convaincu de la réconciliation des mémoires, le Dr Robert Mazziotta, est chroniqueur à Mare Nostrum une Méditerranée autrement, il est également auteur du livre Les Mémoires réconciliées.

L'Expression: Réserver l'accès et l'ouverture des archives uniquement aux historiens composant la commission mixte de mémorialistes algéro-français, tout en excluant les autres catégories en l'occurrence les étudiants en histoire, les journalistes, les chercheurs, ne constitue-t-il pas un mauvais départ pour l'écriture d'un récit mémoriel et historique des deux pays?
Robert Mazziotta: En préalable et avant de répondre à la question, je souhaite dire que toute action commune me paraît aller dans le bon sens lorsque l'on désire obtenir des avancées dans le rapprochement des mémoires.
Permettre un accès aux archives est un élément qui favorise la transparence et l'on sait que celle-ci est indispensable au processus de réconciliation.
Cet accès devrait être le plus large possible et chaque citoyen qui s'intéresse à cette question devrait pouvoir accéder aux archives officielles sachant que certains délais de libération pour des archives particulières sont légitimes. Les journalistes, les chercheurs, les étudiants doivent avoir la possibilité de vérifier une source auprès des archives officielles.

Comment faire pour que cette commission soit autonome des pouvoirs politiques? Ne doit-elle pas être choisie par les historiens des deux pays autrement par exemple?
Pour avoir une idée de ce que sera l'autonomie de cette commission, il faut savoir précisément quels en seront la composition et le mode de fonctionnement Les historiens vont-ils travailler ensemble ou en deux équipes séparées? De plus, on ne peut pas ne pas s'interroger, non sur leur compétence car il est vraisemblable que ceux qui en feront partie seront compétents, mais sur leur légitimité. Qui désignera les membres de cette commission? Seront-ils choisis par leurs pairs ou par les dirigeants politiques de chaque pays? Dans ce dernier cas, comment ne pas se poser des questions sur leur impartialité? On pourrait alors craindre l'élaboration d'une histoire officielle, édulcorée, qui ne serait acceptée ni par les uns ni par les autres.Les membres de la commission doivent venir à ce travail sans idée préconçue. Il ne s'agit pas d'un règlement de comptes, il ne s'agit pas de répartir les torts et de désigner le coupable. Il faut donner un cadre qui permettra à d'autres historiens de travailler. Il faut présenter des faits, sans jugement. Après chacun sera libre de les interpréter.

Le débat et les tensions politiques opposant de temps à autre Alger et Paris n'auront-ils pas une influence sur le travail des historiens des deux côtés?
Si la commission est autonome, libre dans son travail de recherche, les tensions politiques ne devraient pas influencer son travail. Chacun peut comprendre que cette liberté n'est pas forcement naturelle et qu'il s'agit là d'un combat que les historiens devront mener pour l'obtenir. Il faut espérer que l'action des politiques sera de promouvoir le travail de la commission en lui laissant sa liberté d'action et d'en faire un outil, parmi d'autres, pour faciliter un rapprochement.

Travailler uniquement sur les archives étatiques officielles suffit-il pour réconcilier les mémoires?
Je crois qu'il s'agit d'une démarche utile, nécessaire mais qui ne peut être suffisante. Même si l'on ne sait pas tout, on connaît tout de même beaucoup de ce qu'il s'est passé pendant la période de la colonisation et en particulier celle de la guerre d'Algérie.
Certains sujets restent encore dans l'ombre, comme la question des essais nucléaires ou le problème des disparus. Pour autant, penser que les historiens vont trouver dans les archives des faits nouveaux dont la découverte et la révélation pourraient faire évoluer les mentalités des uns et des autres me paraît assez illusoire, mais je peux me tromper.
De nombreux historiens, des Français et des Algériens, ont déjà travaillé sur ces sujets. De nombreux livres ont été publiés.
L'histoire est connue mais est-elle portée à la connaissance des nouvelles générations? La commission d'historiens aura-t-elle une action sur la façon dont l'histoire est racontée dans les manuels scolaires? Car il y a ce que rapporte les historiens et il y a ce qu'en feront les politiques, la façon dont cela sera rapportée dans la société civile. Dans son livre, Guerre d'Algérie, le trou noir de la mémoire», Sébastien Boussois analyse le mécanisme de l'effritement des mémoires et le peu de connaissance des nouvelles générations à propos de la guerre.
À cet égard, il faut saluer la démarche du journaliste Kamel Lakhdar Chaouche et du quotidien L'Expression qui, depuis plusieurs mois, rassemblent et publient des témoignages d'historiens, Algériens ou Français, ou de témoins, avec une liberté d'expression et dans un objectif de rapprochement des mémoires.
Ce travail, à ma connaissance, n'a pas d'équivalence dans la presse française et je le regrette. Je suis persuadé que le chemin de la réconciliation passera en partie par ce type d'initiative qui fait participer historiens, journalistes et société civile.

Pourquoi y a-t-il souvent cette attraction et répulsion des mémoires algéro-françaises?
La période de la colonisation n'a pas été, comme certains nostalgiques voudraient le faire croire, un long fleuve tranquille. Elle est émaillée de répressions sanglantes en réponse à des revendications légitimes, d'injustices et d'occasions ratées. De plus, la séparation entre les deux pays s'est faite dans les pires conditions que l'on puisse imaginer. Ensuite, chaque partie a sélectionné une partie des faits en les interprétant à sa convenance et cela aboutit, comme l'a bien expliqué Benjamin Stora, à des mémoires opposées. Ceux qui ont vécu la guerre d'Algérie ont tous souffert, parfois d'une façon si violente qu'il leur a été impossible de sortir du ressentiment vis-à-vis de l'autre partie. Cela se transmet aux nouvelles générations dans une mémoire collective. Il faut un travail individuel et collectif pour faire évoluer la façon de penser, faire accepter de prendre en compte la position, les motivations de l'Autre. Ce travail n'a pas été fait. Revient-il aux historiens? Ils peuvent certainement y contribuer mais il ne faut pas leur en laisser toute la responsabilité. Par ailleurs, en Algérie, la France a parfois servi de responsable devant des problèmes qui se posaient et cela n'a pas contribué au rapprochement des mémoires.
Du côté français, selon les circonstances politiques, il y a eu des périodes d'ouverture et de fermeture. Actuellement, le président français est confronté à la poussée de l'extrême droite en France qui s'accompagne d'une nostalgie de la période coloniale. Chacun des deux pays doit composer avec sa part d'ombre, il y en a eu, beaucoup, des deux côtés. Et cela n'est pas facile. Cela explique pourquoi la réconciliation des mémoires ne s'est pas faite et pourquoi encore aujourd'hui, 60 ans après l'indépendance de l'Algérie, elle ne se fait pas selon une trajectoire rectiligne.

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