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L’expert de la sécurité sociale et des conflits sociaux, Noureddine Bouderba, à L’Expression

«La réforme de la retraite provoquera une fracture sociale»

L’expert et spécialiste de la sécurité sociale et les conflits sociaux, Noureddine Bouderba, avertit quant à un «rafistolage» d’un système de retraite qui n’obéit pas à la réalité socio-économique du pays. Il défend mordicus et sans ambages l’approche fondée sur la viabilité financière du système de retraite en vigueur qui est basé sur la répartition et la solidarité intergénérationnelle qui constitue la matrice, voire la trame de fond dudit système.
Bouderba sait ce qu’il dit, il utilise des chiffres dont les grandes institutions internationales attestent de leur véracité. C’est ce qui lui permet de dire sans coup férir que «le déficit de la sécurité sociale en Algérie n’est pas structurel».
La «réformette» que vise à mettre en branle le gouvernement, inhérente au système de retraite, ne sert que les forces de l’argent. Pour l’expert rigoureux sur les questions de la sécurité sociale et les conflits sociaux, Noureddine Bouderba en l’occurrence, le gouvernement «veut opter pour la solution simple qui consiste à puiser dans les poches des retraités», la démarche est saillante, c’est une approche néolibérale visant la paupérisation et la précarisation des larges couches laborieuses, surtout la frange qui ne dispose que d’une petite retraite.
Bouderba termine l’entretien en avertissant quant à une éventuelle fracture sociale aux conséquences néfastes et incontrôlables.

L’Expression : Le risque de faillite de la Caisse nationale des retraites est plus que jamais présent. A qui incomberait cette faillite ? Est-ce l’absence de la bonne gouvernance de l’Exécutif et son approche prédatrice qui sont responsables de cette situation ?
Noureddine Bouderba : Le déficit de la sécurité sociale en Algérie n’est pas structurel. La viabilité financière du système actuel basé sur la répartition et la solidarité peut être assurée sans toucher aux droits des actifs et des retraités notamment en matière d’âge de départ et de niveau de pension. Ce déficit a certes des racines anciennes, mais toutes choses égales par ailleurs, il a été provoqué par la mise sur le compte de la CNR de dépenses, en grande partie indues, liées à des départs massifs en retraite provoqués par les autorités publiques et par la politique imprudente et injuste en matière de revalorisation annuelle des pensions entre 2009 et 2014. Cela s’est traduit par un quadruplement des dépenses de la CNR qui sont passées de 350 (en 2010) à 1282 milliards DA (en 2018) alors que sur cette période les salaires n’ont augmenté que de 50 % et le nombre de retraités, y compris les départs provoqués par les autorités, n’a augmenté que de 48 % ? Aujourd’hui on veut faire payer aux travailleurs et aux retraités les conséquences d’une politique injuste et des erreurs de gestion.

Pensez-vous que le recours par le gouvernement à des assises nationales sur la sécurité sociale est un viatique qui pourrait juguler la crise endémique qui frappe la caisse des retraites ou plutôt une espèce de fuite en avant et une manière de se désengager de ses responsabilités ?
Je ne pense pas que le contexte se prête à ce genre d’assises qui ont besoin d’un climat propice au dialogue et à la concertation. Il faut, pour cela, que le pays soit doté d’institutions stables et légitimes. Il faut aussi que tous les acteurs soient mis au même niveau d’information sur la situation des caisses. Or, en dépit de la loi, c’est le secret absolu pour les comptes de la sécurité sociale, si l’on excepte les quelques chiffres contradictoires qui sont divulgués épisodiquement. Les véritables raisons du déséquilibre sont occultées. On fait semblant d’ignorer que les pouvoirs publics ont toujours puisé dans les caisses pour financer la politique sociale depuis 1985 à ce jour ne permettant pas au système de sécurité de gérer ses réserves au mieux de ses intérêts. Contrairement à certaines thèses erronées, l’état qui continue à ce jour à puiser dans les fonds de la sécurité sociale n’a remboursé, entre 1999 et 2005, qu’une infime partie des sommes mises indûment sur les comptes de la sécurité sociale.

Que signifie le recours de l’Exécutif à la réduction du taux de la pension de retraite à 60% du salaire au lieu de 80% ? Cela ne porterait pas un coup dur aux Algériens disposant d’une petite retraite ?
Au service des forces de l’argent, le gouvernement veut opter pour la solution simple qui consiste à puiser dans les poches des retraités tout en exploitant davantage les actifs, y compris ceux ayant commencé à travailler tôt et/ou occupé des postes pénibles. Remarquez que rien n’est envisagé côté recettes puisque la seule solution serait la réduction des pensions de 25 % et la suspension pour 10 ans des revalorisations annuelles qui sont censées contenir l’érosion du pouvoir d’achat. Certains prévoient même d’éliminer une partie des ayants droit du bénéfice de la pension de réversion au décès du travailleur ou du retraité. Cela porterait un coup dur à toutes les petites et moyennes retraites.

Vous ne craignez pas que le dossier qui a trait à la «réforme» du système de la retraite puisse être le brasier qui enclenchera le front social et le plongera dans un cycle incommensurable de protestations et de grèves ?
Les travailleurs et les Algériens se posent la question pourquoi le déficit de la CNR a doublé par rapport à 2016, au lieu de disparaître comme promis par le gouvernement lors de la suppression de la retraite avant 60 ans. Il se demande où est passé le dossier de la réduction de l’âge de départ à la retraite pour pénibilité dont la commission présidée par un ministre avait été installée, en grande pompe, il y a plus de 2 ans. Ils ne comprennent pas pourquoi au moment où le gouvernement propose de repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans tout en réduisant les pensions de 25 % pour le régime général, il va maintenir la retraite sans condition d’âge et la retraite proportionnelle des cadres supérieurs de l’Etat et des députés, après 20 ou 15 années de travail seulement, avec en sus un salaire à vie. Cette politique pénalisera les travailleurs qui ont commencé à travailler tôt, ceux qui ont occupé des postes pénibles et les femmes. Elle augmentera dans une très large proportion la pauvreté et les inégalités au sein de la population âgée. Un véritable détonnant pour la fracture sociale et pour un autre Hirak.

Quelle solution préconisez-vous alors ?
Le système algérien de sécurité sociale par répartition, basée sur la solidarité intergénérationnelles est le meilleur système au monde à la condition qu’il soit bien géré et piloté. C’est grâce, entre autres, à ce dernier que le taux de mortalité a été réduit de 17 % à 5 % et l’espérance de vie ramenée de 50 à 76 ans entre 1970 et aujourd’hui. La pauvreté et les inégalités des personnes âgées ont été sensiblement réduites ces dernières décennies. C’est grâce à ce système que la cohésion sociale et nationale, en dépit de l’offensive néo libérale, a été maintenue durant la décennie noire. Aujourd’hui c’est le système de retraite qui est ciblé.
Demain ce sera au tour du droit à un revenu de substitution en cas de maladie, maternité, invalidité et même de se soigner. Ce système qui date de 1983 vient à peine d’arriver à maturité et la structure démographique de l’Algérie est une aubaine pour le consolider et lui assurer une pérennité pour au moins 2060. En 2020, il y aura moins d’un Algérien sur 10 âgé de 60 ans et plus contre plus d’un Français sur quatre par exemple. En 2060 cette proportion sera de 37 % en France. Comment expliquer dès lors que l’Algérie prévoit, pour 2020, d’augmenter à 65 ans l’âge de départ à la retraite alors qu’en 2060 cet âge ne dépassera pas 64 ans en France. (source Ocde 2017).
La pérennité pour au moins 30 ans du système actuel en Algérie, sans toucher aux droits des travailleurs est possible, à la condition d’avoir une politique économique orientée vers l’emploi productif et durable et non vers l’import import, vers la lutte contre l’emploi informel et contre l’évasion sociale dans le secteur formel ainsi que contre les exonérations sans contrepartie. C’est dans ce sens que doivent être orientées les réformes pour mettre en œuvre une véritable politique de mobilisation des ressources au profit du système tout en clarifiant, en matière de dépenses, la relation entre la sécurité sociale et l’Etat pour séparer les dépenses de type de solidarité nationale à prendre en charge par ce dernier et les dépenses de droit contributif à la charge des caisses. Elles doivent aussi démocratiser le pilotage et la gestion des caisses dont les dépenses de fonctionnement peuvent être divisées par deux. Ainsi les recettes du système peuvent facilement être doublées et les dépenses sociales réduites du tiers sans toucher aux droits des retraités.

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