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Loi sur le séparatisme religieux en France

Les fossoyeurs du vivre ensemble et de la laïcité

L’Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi contre «le séparatisme» islamiste.

Présenté par le ministre de l'Intérieur comme «un texte dur, mais nécessaire pour la République», ce nouvel arsenal législatif valide une posture officielle, résolument laïciste et aux effets incertains. Elle marque la déconstruction progressive de la loi de 1905 qui garantissait la séparation des Eglises et de l'Etat. Dans un contexte national marqué par les attentats djihadistes, la majorité en place affiche une fermeté sans faille face à l'extrémisme mortifère auquel notre pays a payé un lourd tribut. Contrôle des cultes, engagement des associations en faveur de la laïcité, haine en ligne, délit de séparatisme, restriction de l'éducation à domicile, lutte contre les certificats de virginité, la polygamie ou les mariages forcés..., ce projet de loi «confortant les principes républicains», balaye très large, voire trop large, au risque de passer pour une loi «fourre-tout» qui plus est, conforte une impression déjà bien ancrée de cibler la composante musulmane de notre pays. Ces derniers sont pris en otage par les extrémistes religieux qu'on prétend combattre et par les extrémistes politiques pour qui l'islam représente un défouloir conjecturel et une aubaine sans précédent.
Est-il encore utile de rappeler que les milliers de victimes du terrorisme djihadiste sur la planète sont aussi les musulmans de Syrie, d'Irak et bien d'autres zones de conflits déstabilisées par un nouvel ordre mondial promis après les attentats du 11 septembre 2001? En place et lieu de la démocratie, c'est le chaos généré par les puissances occidentales qui ont créé les conditions d'émergence de Daesh et ses acolytes. Dire cela n'est pas une simple vue de l'esprit: la démocratie ne se décrète pas, elle se construit lentement par les peuples eux-mêmes et non par les gendarmes autoproclamés d'un monde globalisé. Le terrorisme se combat aussi à coups de livres, de culture, de connaissance. On ne combat pas l'extrémisme en soufflant sur les braises du ressentiment et en caressant dans le sens du poil une extrême droite métamorphisée en chef d'orchestre. On se souvient des propos récents du ministre de l'Intérieur qui, face à Marine Le Pen, affirmait que l'article 44 de cette loi avait été fait pour «faire en partie plaisir à des représentants du Rassemblement national». Dérapage lexical contrôlé ou involontaire? Le poids des mots et donc des maux, encore et toujours! La messe politicienne est dite! Validant une vérité incisive, l'Exécutif a accéléré la normalisation d'une extrême droite qu'il prétend en même temps combattre pour propulser un Emmanuel Macron dont le meilleur ennemi serait une certaine Marine Le Pen dans la perspective d'un deuxième tour à l'élection présidentielle de 2022.
Une surenchère trumpiste
La posture du «plus royaliste que le roi» s'imposait dans l'arène politique et Gérald Darmanin l'a bien compris, lui qui a déploré la mollesse de Marine Le Pen face à «l'islamisme» lors de leur récent tête-à- tête télévisé. Mais quel sera le prix à payer de cette surenchère? Celui de la fragmentation d'un pays où une nouvelle chasse aux sorcières prend lentement forme sous prétexte de la lutte certes légitime contre l'islamisme mortifère, mais aux dommages collatéraux insoupçonnables. Désormais, l'insulte suprême, voire l'argument rédhibitoire pour faire taire tout débat est la qualification de son interlocuteur du sobriquet «islamiste» ou «islamogauchiste», terme désormais en vogue, imposé dans le discours politique par l'extrême droite française, validé par la droite dite «républicaine» et reprise par un vaste pan de l'échiquier politique. Ainsi, un intellectuel ou politique ayant le souci d'apporter un éclairage rationnel empreint de modération, dès lors qu'il dénonce les amalgames, la haine antimusulmane, les logiques de confrontation, le «clash des civilisations»... sera promptement classé dans ce registre.
D'ailleurs, même le terme «islamophobie» est désormais banni puisque politiquement incorrect. Son utilisation impliquerait des velléités «islamistes» ou à tout le moins une complicité, voire des sympathies djihadistes. Même le Cfcm l'a banni de sa récente charte des principes. C'est dire! Le maccarthisme intellectuel et culturel se manifeste au grand jour à l'endroit de ces compatriotes «différents, dont la visibilité devient une agression visuelle avec ces voiles, ces barbes...», dont «les moeurs et la culture sont incompatibles avec nos valeurs républicaines»... Même les chercheurs et professeurs à l'université n'échappent plus à ces dérives et risquent d'être dévorés par le cauchemar orwellien: il y a peu, la ministre de la Recherche et de l'Enseignement supérieur exprimait son souhait d'une enquête sur «l'islamo-gauchisme à l'université et au Cnrs». Rien que ça! Cette sortie de la ministre a suscité une levée de boucliers de la Conférence des présidents d'université dénonçant une atteinte à la liberté académique et la liberté de recherche.
Une islamisation fantasmée
Il y a bien longtemps que l'on a glissé de la critique légitime d'une religion (l'islam) vers la stigmatisation d'une communauté. On est passé d'une présomption d'incompatibilité avec les «valeurs de la France» à une affirmation assumée, sans gêne, sur les plateaux télévisuels par certains chroniqueurs aux grandes heures d'audience, mais aussi par des dirigeants politiques «républicains», des invités triés sur le volet qui promeuvent inlassablement le mythe d'une islamisation rampante et nourrissent la suspicion à l'endroit de «quartiers gangrénés par les djihadistes», d'élus «compatissant avec les islamistes» ou de zones de non-droit «infestées par les dealers et les commerces halals».
La foutaise de l'islamisation de la France et de l'Europe alimente cette crainte et cette hostilité, qui sont les ressorts de la haine antimusulmane. À son tour, celle-ci produit des discours et des actes menant à un traitement différencié et discriminatoire appliqué aux musulmans sur la base de leur appartenance religieuse réelle ou supposée.
Ce sont ces raccourcis ressassés en boucle au côté de la théorie du «grand remplacement» qui ont fini par s'imposer en vérité médiatique, qui ont armé la main d'Anders Breivik, le terroriste norvégien derrière les terribles attentats du 22 juillet 2011 ou encore le «suprémaciste blanc», Brenton Tarrant, admirateur du «chevalier justicier Breivik», à l'origine des attentats de Christchurch (Nouvelle-Zélande) en 2019 contre les mosquées Al Noor et Linwood, en pleine prière du vendredi, faisant 51 morts, hommes, femmes et enfants. Le manifeste du terroriste néozélandais portait le nom significatif de «The Great Replacement» («le Grand Remplacement»), emprunté à l'écrivain français Renaud Camus.
Dans un contexte anxiogène de crise sanitaire, de repli collectif, de suspicion généralisée, de détresse économique pour des millions de foyers, nous avons un besoin impérieux de «faire nation» et de retrouver l'espoir confisqué par nos dirigeants. La loi «confortant les principes républicains» constitue un danger pour notre pays et notre cohésion.
Elle menace les libertés, met en péril notre vivre ensemble et ouvre la voie au pilonnage de l'Etat de droit. Elle envoie un message détestable à tous ceux qui, attachés à la démocratie et à la laïcité originelle voient leur pays glisser vers un laïcisme dangereux nourrissant le ressentiment, stigmatisant une population tout en validant les thèses essentialistes des extrémistes de tout bord. Présentée comme la panacée contre «l'OPA islamiste», cette loi, si elle se confirmait en deuxième lecture, risque d'amorcer un long voyage au bout de la nuit «républicaine».

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