Crise france-algérie
Que faire ?
De 1640 à 1820, 57 traités et conventions au moins furent conclus entre la France et la Régence d’Alger.
![Le froid caractérisant les relations algéro-françaises ne date pas d'aujourd'hui.](https://www.lexpressiondz.com/storage/images/article/d5bfabb5d4475b9b06a965b1ffcb33ce.jpg)
Pourquoi la relation franco-algérienne peine-t-elle à tenir? Qui obstrue la voie du rapprochement tracée en 2000 au plus haut niveau des deux États? Que faire? Les réponses passent forcément par le devoir de comprendre. D'entrée de jeu, c'est l'ineffaçable fait colonial qui entre en ligne, mais sa vertu explicative a moins d'impact qu'autrefois. Aussi faut-il fureter à la recherche d'autres éléments. Et voici qu'ils se révèlent avec le revirement de la politique maghrébine de la France qui a généré une crise diplomatique inédite, et aussi le glissement plus à droite de ses autorités qui a induit des sentiments inamicaux envers l'Algérie devenue un bouc émissaire face aux déboires internes. Mais ceux-ci ne suffisent pas à expliquer une telle animosité. Aussi faut-il faire un détour par la corrélation entre l'actualité et une histoire qui a façonné deux factualités françaises.
D'une part, une France éclairée, produit de la Révolution de 1789 qui a transformé les idées des penseurs du XVIIIe siècle en droits universels et, d'autre part, celle assombrie de la contre-révolution, hostile au changement. La première, idéaliste et généreuse, a été de tous les combats pour la justice, depuis l'abolition en 1848 du Code noir sur l'esclavage (1685 et 1723) et la défense de Dreyfus (1894-1906), jusqu'au Manifeste des 121 intellectuels hostiles à la guerre d'Algérie (1960), en passant par le Réseau Jeanson (1956-1960) et autres. La seconde, conservatrice et intolérante, est persuadée que la civilisation est l'apanage des «races supérieures» qui l'apportent aux «peuplades primitives» par le biais de la colonisation (dixit J. Ferry, 1885). Mais les deux se réfèrent au fait national qui s'est cristallisé en parallèle avec le fait colonial (XIXe siècle). Si ce dernier s'inscrit dans le sillage de l'expansionnisme européen des temps modernes, l'autre a vu le jour avec ladite Révolution qui a provoqué un passage de souveraineté des monarques vers la nation. D'où une montée en puissance du nationalisme au triple sens du mot:
1- le sens démocratique et républicain porteur des valeurs universelles de 1789;
2- le sens émancipateur de l'anticolonialisme;
3- le sens réactionnaire du traditionalisme «défini par l'H istoire, la langue, la religion» (R. Rémond, 1974), et que la défaite contre l'Allemagne (1870) a poussé vers le nationalisme intégral pétri de «chauvinisme, xénophobie, exclusion et fermeture qui conduisent à l'intolérance et (à) l'écrasement de toutes les différences».
(cf. F. Beautier & consorts, 1992). C'est dans ce climat des années 1880 que s'est consolidée l'idée d'une Algérie irréversiblement française dont argueront plus tard les «nationaux-populistes» du Front national fondé en 1972 par les néofascistes d'Ordre nouveau (N. Lebourg, 2016), ainsi que l'OAS (1961).
Autant dire que les causes structurelles de l'obstruction mentionnée supra se situent dans le côté sombre des factualités sus-évoquées. Mais leur côté éclairé n'a pas perdu ses droits puisque durant le demi-siècle écoulé (1974-2024), six chefs d'État français ont visité l'Algérie en écho à une volonté partagée de retisser des liens qui, faut-il le rappeler, remontent à un passé lointain.
De fait, c'est de 1640 à 1820 que 57 traités et conventions au moins furent conclus entre la France et la Régence d'Alger (cf. H. DJIAR, 2012). Les choses ne se détérioreront qu'à partir de 1820, peu avant l'agression du 14 juin 1830 qui se solda par l'occupation (1830-1962) et une guerre de libération (1954-1962). Celle-ci amorce une ère nouvelle.
Mais ni lesdites visites, ni celle effectuée en 2000 à Paris par l'ancien président algérien, ni même les efforts de l'actuel président n'ont abouti à cette relation singulière si longuement recherchée et tellement possible.
Somme toute, un tel piétinement résulte de cinq fautes politiques et psychologiques majeures commises par le lobby anti- algérien:
1- le rejet du verdict de l'Histoire et le fait de remuer sans cesse les cendres de la nostalgie à travers une rancoeur, des idées ténébreuses, des contre-vérités, une haine de l'immigré et des préjugés tenaces;
2- le fait de laisser sous-entendre que l'indépendance est une défaite de la France et non de sa protubérance terrifiante qu'est le système colonial;
3- le fait de faire croire que le contentieux mémoriel est insoluble alors même que d'ex-puissances coloniales l'ont apuré;
4- le fait de cautionner un discours extrémiste ancré dans le nationalisme intégral d'un Ch. Maurras (1868-1952) pour qui «la Révolution de 1789 avait contribué à instaurer le règne de l'étranger et de l'anti-France»;
5- le fait de réduire un grand sujet comme l'Algérie à un souffre-douleur et à de vulgaires calculs électoraux. En vérité, ces fautes découlent d'une mentalité coloniale et d'une illusion qui veut que les problèmes actuels soient ceux du siècle dernier, que l'Algérie soit celle d'autrefois et que la coopération doit être pensée selon les schémas d'hier.
Dans ce contexte où la relation bilatérale est à coup sûr la cible d'une cabale, le premier pas à faire par ceux qui ont à coeur les valeurs de 1789, c'est de la sauvegarder contre quiconque s'autorise à «flatter la xénophobie raciste d'une partie de l'opinion, pour créer dans cette opinion une peur psychotique» (E. Pisani, 2013) qui arrange les affaires des réactionnaires vindicatifs en mal d'affirmation.
*Membre du Conseil de la nation