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Révélations explosives sur les essais nucléaires français

Reggane, In Ikker: Les morsures d’une histoire coloniale

Lettre ouverte à Bruno Retailleau Par Louis Bulidon*

«Je m’exprime ici en tant que vétéran des essais nucléaires dans le Sahara algérien et témoin incontournable de l’échec du tir Béryl. Arrivé au seuil de ma vie je n’ai cessé de dénoncer la responsabilité de mon pays qui n’a toujours pas reconnu sa dette à l’égard de l’Algérie renonçant à indemniser ses victimes la loi Morin de 2010 n’étant qu’un faux- semblant. Les autorités françaises ont fait peu de cas de ma collaboration avec l’artiste plasticien algérien Ammar Bouras pour présenter son œuvre illustrant la montagne aux tirs d’In Ekker et mon témoignage sur Béryl à la 12ème Biennale d’art contemporain de Berlin du 12 juin au 18 sept 2022. Ce travail a été salué par la presse et en particulier dans Le Monde sans susciter plus d’émoi dans l’entourage élyséen. Quels que soient les désaccords entre la France et l’Algérie relevant de la conduite de sa diplomatie étrangère, vous ne pouvez prétendre au nom de votre fonction de ministre de l’Intérieur tourner la page sur ce passé peu glorieux de notre pays héritage de la colonisation. »

Parmi ces dizaines de milliers d'irradiés d'Algériens, citons le cas de ce quinquagénaire, qui, durant son Service national, à Reggane, fut préposé à la surveillance d'un souterrain, où l'armée française avait mené «des expériences atmosphériques (1960-1961), puis des essais souterrains à In-Ekker (1961-1966)». À sa démarche individuelle, rapportée par le quotidien français, Le Monde, auprès des autorités françaises, datée de 2013, afin d'être indemnisé «pour avoir été contaminé sur un ancien site d'essais nucléaires français au Sahara», le miinistère français de la Défense lui opposa une sèche fin de non-recevoir: «(...) Votre demande ne peut être que rejetée». Fermez le ban! Ainsi, la raison d'État se drapa, de ce qui s'apparenterait, à une feuille de vigne, législative, ni plus, ni moins et qui stipule, que pour être éligible à une indemnité il faut «avoir résidé sur un site d'expérimentation nucléaire (Sahara algérien, Polynésie française) et ce, durant la période des essais ou, dans le cas de l'Algérie, immédiatement postérieure à la période1960-1967.» Pourtant, la loi française n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, de programmation militaire, avait supprimé ces distinctions et étendu la condition de lieu à tout en généralisant la condition de date, mais pour la seule Polynésie française, il est vrai.
Mais dans le cas de l'Algérie, la puissance coloniale d'alors, n'avait daigné dresser un bilan des pertes humaines, animales mais aussi environnementales. Et comment pouvait-il en être autrement quand on sait qu'au lendemain de l'explosion de la bombe «A» à Reggane, la presse affirmait que «cette expérience s'est déroulée dans les conditions de sécurité prévues».
(Journal du Dimanche du 14 février 1960).
Toujours dans cet esprit de deux poids, deux mesures et toujours dans le Pacifique, c'est à Papeete, en l'occurrence, que des éléments de langage, bien affûtés, en amont, sous les lambris de l'Élysée, ont clairement dévoilé les termes de l'équation à géométrie variable. au cours du discours du 27 juillet 2021 du président Emmanuel Macron: «La nation a une dette à l'égard de la Polynésie française. Cette dette est le fait d'avoir abrité ces essais, en particulier ceux entre 1966 et 1974, dont on ne peut absolument pas dire qu'ils étaient propres, non». Combien de fois la gouvernance française aurait-elle eu l'occasion de dire ces mots, uniquement ces mots, à l'endroit de l'Algérie où pas moins de 17 essais nucléaires ont été réalisés dans le Sahara?

Emmanuel Macron: «On l'a fait ici parce que c'était plus loin»
Dans des temps anciens, des moines, se réunissant épisodiquement, devaient se frapper la poitrine avec le poing et avouer publiquement leurs coulpes, c'est-à-dire leurs fautes, ou leurs péchés vis-à-vis d'un frère ou de la communauté. Un témoin, qui avait fait le voyage présidentiel, de 2021, en Polynésie, confiera, mi-amusé, qu'il avait eu l'impression que «Frère Emmanuel», ce jour-là, battait lui aussi sa coulpe sur ces terres d'Outre-mer: «Devant vous, ce soir, je veux là aussi, assumer, tout assumer; assumer sans facilités, assumer avec vérité et responsabilité.(...) Je pense que les choix faits à l'époque par le général de Gaulle, de doter la France de la puissance nucléaire et de la dissuasion étaient des choix forts, utiles à la nation et qui nous servent aujourd'hui.(...) Pour se doter, il fallait faire des essais. Et c'est vrai que ces essais ont été faits sur le sol algérien, à l'époque, puis en Polynésie française. Et je vais vous dire très franchement les choses.(...) On l'a fait ici parce que c'était plus loin; on l'a fait ici parce qu'on se disait: c'est perdu au milieu du Pacifique, ça n'aura pas les mêmes conséquences. C'est vrai. C'est vrai.»Et là aussi, le chef de l'État français qui s'était distingué naguère, par son fameux «en même temps», aurait pu se paraphraser en déclarant à Alger: «On l'a fait ici parce que c'était plus loin; on l'a fait ici parce qu'on se disait: c'est perdu au milieu du SAHARA ALGÉRIEN, ça n'aura pas les mêmes conséquences. C'est vrai. C'est vrai.»

Mais trêve de science-fiction, ce n'est pas la France de Jean Moulin, Simone Veil, Gisèle Halimi, voire de Jean Ferrat, qui tient le haut du pavé, mais celle de la haute finance toujours prête elle, à monnayer ses principes, pour sauver ses intérêts. Attention quand même, l'Histoire hexagonale, depuis 1968, a montré que les pavés pleuvent surtout au mois de mai...
Cependant, certains députés français n'ont pas attendu, et c'est tant mieux, le joli mois de mai, comme le dirait la chanson, pour dénoncer cet état de fait: Le 15 septembre 2020 et dans une question posée, à l'Assemblée nationale, le député François-Michel Lambert (Libertés et Territoires - Bouches- du-Rhône)
alertait la ministre des Armées «sur le manque d'informations précises relatives à la présence de déchets nucléaires et non nucléaires laissés par la France en Algérie».
Le parlementaire français, signalait par la même «qu'entre 1960 et 1966, la France a, en effet, réalisé 17 essais nucléaires en Algérie, territoire alors français puis indépendant. Ces essais atmosphériques et souterrains ont été effectue´s sur les sites de Reggane et d'In Ekker, dans le sud du pays.» et M. Lambert d'ajouter que «si, aujourd'hui, les connaissances sur ces essais, les accidents et leurs conséquences sont plus nombreuses, il manque toujours des informations précises concernant la présence de grandes quantités de déchets nucléaires et non nucléaires laissés par la France. Ces déchets ont, pour la plupart, été enfouis volontairement dans les sables.»
Rejoignant ainsi, dans ses conclusions, le sénateur Christian Bataille de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques français, qui, vingt-trois ans plutôt, en 1997, reconnaissait que «sur la question des déchets qui auraient pu résulter des campagnes d'essais réalisées au Sahara, il n'existe aucune donnée précise».
À vrai dire c'est la Fondation Heinrich Böll, qui ira encore plus loin, via la branche française de l'Ican (International Campaign to Abolish Nuclear Weapons), qui, dans un rapport intitulé «Sous le sable, la radioactivité!», établira un état des lieux qui donne une idée sur le degré d'irresponsabilité (pour ne pas dire plus) des militaires de l'époque en charge de ces essais nucléaires. Le rapport s'ouvre par une question-programme: «Pourquoi alors ouvrir à nouveau cette boîte radioactive maintenant? Avec leur étude sur les essais nucléaires français en Algérie dans les années 1960, Jean-Marie Collin d'Iqan France (International Campaign to Abolish Nuclear Weapons France) et Patrice Bouveret de l'Observatoire des Armements fournissent de nombreuses raisons techniques et politiques qui expliquent «pourquoi nous ne pouvons et ne devons pas clore le chapitre des essais nucléaires».
Premièrement, il existe un héritage radiologique qui s'applique à tous les anciens sites d'essais nucléaires. Une explosion nucléaire produit en effet d'importants effluents radioactifs qui représentent un risque sanitaire important pour les populations avoisinantes pendant de nombreuses années, voire des décennies, après l'explosion. Que sait la population locale
de ces résidus toxiques présents dans le Sahara algérien?».
Dans cette étude publiée par les ONG (Ican France et l'Observatoire des armements) en juillet 2020), pour la première fois, il y est dressé un inventaire de l'ensemble de ces déchets, notamment radioactifs, présents sur ces sites, pour que le «passé nucléaire» ne reste plus enfoui dans les sables, demandant instamment «de bien vouloir faire publier le plus rapidement possible une carte des zones où ces déchets ont été enterrés, afin de mettre un terme aux dangers que courent les générations actuelles et futures de ces zones».
Selon les données disponibles dans un rapport de 266 pages daté de 1996, classé «confidentiel défense», versé aux archives du ministère de la Défense et non déclassifié, (Rapport sur les essais nucléaires français 1960-1996, tome 1),
«il n'a été retrouvé aucune synthèse et aucun compte rendu donnant l'état radiologique dans lequel les champs de tir ont été restitués [en 1967] à l'autorité algérienne». Cette phrase traduit une situation bloquée dans laquelle nous sommes toujours, soixante ans après le 13 février 1960, date du premier essai nucléaire français à Reggane.
En réalité, les quatre essais nucléaires atmosphériques (Gerboise bleue, blanche, rouge, verte) ont provoqué des dépôts de particules radioactives dans le désert du Sahara, mais aussi, comme il a été révélé en 2014, dans toute l'Afrique du Nord et même subsaharienne. En fait, même le continent européen fut touché, puisque 13 jours après le premier essai nucléaire (13 février 1960), des retombées radioactives ont atteint les côtes espagnoles et «des particules chaudes dans les précipitations et dans l'air au sud-ouest de la Suède» ont également été détectées au début du mois de mars 1960.
À noter également, comme lors du troisième essai (Gerboise rouge, 27 décembre1960), la présence d'animaux vivants: «un millier de rats et de souris et quelques chèvres», placés autour du point zéro pour voir «comment ils ont résisté à l'épreuve. Les examens portant surtout sur l'état de leurs cellules sanguines». Lors de l'explosion de Gerboise verte (25 avril 1961), on alla jusqu'à simuler une guerre nucléaire. «Juste après l'explosion, des manoeuvres en char, mais aussi à pied ont été organisées à proximité du point zéro [...] pour tester les matériels de protection, mais aussi et surtout connaître les réactions des hommes de troupe dans une ambiance fortement radioactive.» Cent quatre-vingt-quinze hommes furent ainsi volontairement exposés aux retombées radioactives. En plus de ces essais nucléaires, des expérimentations nucléaires complémentaires avec dispersion de plutonium furent réalisées. Ce sont les expériences dites «Augias et Pollen». Trente-cinq expériences Augias ont été réalisées sur le site de Gerboise rouge entre 1961 et 1963, utilisant chacune une quantité maximum de 25 grammes de plutonium. Douze expérimentations furent réalisées dans des cuves en acier, «afin de pouvoir éventuellement récupérer le plutonium de la première série». Une première série de 6 expériences fut effectuée du 28 avril au 7 mai 1961 en remplissant les cuves à moitié de sable puis en y posant un couvercle fermé. Dans la seconde série, du 14 avril au 28 avril 1962, il est cette fois indiqué que «le sable fut remplacé par du carbonate de sodium pour, théoriquement, mieux récupérer le plutonium». L'utilisation des termes «éventuellement» et «théoriquement» s'est avérée particulièrement appropriée, étant donné que ces cuves ont été tout simplement enterrées!»
Il est utile de signaler que la démarche de l'Ican, comme stipulé, vise à provoquer un débat «qui aborde les trois dimensions des essais nucléaires: leur irresponsabilité du point de vue de l'environnement et de la santé publique, leurs effets déstabilisateurs d'un point de vue politique et leur injustice d'un point de vue postcolonial Ce n'est pas un hasard si la France a testé sa première arme nucléaire en Algérie, qui était encore une colonie française en 1960». Tout cela montre une fois de plus une asymétrie du pouvoir et une injustice que l'on retrouve tout au long de l'histoire du nucléaire.. 

(à suivre)

*Louis Bulidon: ingénieur chimiste, retraité, il est l'auteur du livre Les irradiés de Beryl»
(Ed. Thaddée) où il y témoigne de son affectation en Algérie sur un site d'essais nucléaires dans le désert du Hoggar, théâtre, le 1er mai 1962, du plus grand fiasco atomique français...

 

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