François Bayrou accuse l’Algérie d’agression contre la langue et la culture françaises
Vérités pour «vérités»
Le Premier ministre français doit savoir que les Algériens considèrent cette langue comme un «butin de guerre».

«Le gouvernement algérien a développé contre la langue française, la culture française, une politique particulièrement agressive», a déclaré le Premier ministre français, François Bayrou, dans une émission de la chaîne de télévision CNews. «Est-ce normal pour des pays qui ont ensemble des accords super privilégiés?» s'est-il interrogé. Le questionnement du Premier ministre français n'a pas lieu d'être, d'abord parce que le volume horaire hebdomadaire du français dans les écoles publiques algériennes est de trois heures. Cela veut dire que cette langue est bel et bien enseignée en Algérie. Si l'État était francophobe, pourquoi maintiendrait-il le français qui, en douze ans, entre 2013 et 2025, n'a perdu qu'une heure et demie de cours? François Bayrou le sait-il ou s'est-il laissé intoxiqué par l'interprétation que fait l'extrême droite française sur l'interdiction dans les écoles privées de l'enseignement du programme français?
Qu'il sache donc que, dans toute République, et l'Algérie en est une, au même titre que la France, il est inconcevable d'enseigner aux enfants un programme étranger. Bayrou, certainement mal informé par l'ancien ambassadeur de France Xavier Driencourt, confond souveraineté d'un pays et la langue française qui, du reste, n'a jamais fait l'objet d'attaques de la part de l'État. Le Premier ministre français doit savoir que les Algériens considèrent cette langue comme un «butin de guerre». L'écrivain Kateb Yacine, auteur de cette déclaration, restée pour la postérité, était un écrivain de langue française. Tout francophone qu'il était, Kateb a écrit un magnifique texte sur l'Émir Abdelkader à l'âge de dix-sept ans. L'homme a révolutionné la littérature et l'écriture théâtrale. Il s'abreuvait de la langue de Molière pour détruire toutes les thèses colonialistes. Ce grand Algérien n'a jamais été anti-Français, puisqu'il en a adopté la langue, mais il était foncièrement anticolonialiste. Au même titre que Jean-Michel Apathie, et bien d'autres aujourd'hui.
La tradition francophone n'a pas disparu avec l'indépendance du pays. Mais Bayrou doit savoir que l'Algérie n'est pas française. Elle ne l'a jamais été. Et si dans la tête de certains elle fut française, elle ne l'est plus depuis le 5 juillet 1962. Qu'elle ait adopté la langue arabe comme langue nationale et officielle, ainsi que le tamazight ne doit pas attrister les élites françaises. Que le français recule en Algérie ne signifie pas qu'il y a une volonté d'en finir avec ce «butin de guerre». Des dizaines de journaux et de sites électroniques utilisent cette langue pour véhiculer l'information et la culture algérienne. Il n'existe aucun complexe en Algérie face au français. Il n'est tellement pas question de s'en défaire qu'annuellement des centaines de livres sont publiés dans cette langue. Mieux encore, l'on a constaté un renouvellement de génération. Il serait fastidieux de citer les noms de ces auteurs et autrices, mais il est un constat avéré que l'âge moyen d'un écrivain en Algérie n'est pas de 80, ni 90 ans.
Beaucoup de jeunes ont fait leur entrée dans le monde de la littérature francophone et ont la trentaine, tout au plus. Bayrou peut venir visiter le Salon international du livre d'Alger pour le constater de visu. Et pas qu'Alger, les Salons de littérature, il y en a plusieurs à travers le pays. Et dans ces manifestations, la langue française est bien représentée au même temps que l'arabe, le tamazight et l'anglais. Oui, les jeunes Algériens découvrent d'autres horizons. N'y ont-ils pas le droit?
Le Premier ministre, François Bayrou, peut se balader à Alger et ailleurs, et s'adresser aux Algériens dans sa langue. On lui répondra sans animosité aucune. Et ce sera en français, qui est une langue domestique en Algérie. Mais juste la langue. Le reste est authentiquement algérien. Il n'a pas à s'attendre à autre chose. Le français est une langue que l'Algérien maîtrise et dont l'État n'a jamais eu une intention agressive à son encontre. Comment peut-on le suspecter, alors que la Déclaration du 1er Novembre 1954 a été d'abord écrite en français? Boudiaf, Ben M'hidi et Didouche ont conçu ce document fondateur de l'État algérien indépendant. Ils n'ont pas pensé comme le feraient les supplétifs de l'armée française.
Et c'est là que Driencourt et consorts veulent voir autre chose que ce qu'il y a réellement en Algérie. Les quelques écrivains francophones à l'esprit «colonisé» ne sont pas la norme, n'en déplaise à l'extrême droite. L'Algérie a enfanté Yasmina Khadra qui rafle des prix en même temps que leurs protégés. Il le fait dans la langue française mais, surtout, en Algérien fier de sa nation.
Cela pour dire qu'il n'y a jamais eu de cabale contre cette langue et la culture qu'elle véhicule. Pour preuve, l'Institut français d'Algérie demeure ouvert et travaille en toute liberté. Les Algériens y vont en masse. Mais n'allez pas penser, Monsieur Bayrou, que cela relève de l'allégeance. Les jeunes de ce pays prennent des cours en anglais, en chinois, en coréen... L'Algérie ne fait pas la chasse au français, mais cette langue n'a pas d'exclusivité auprès des millions de citoyens qui l'apprécient pour ce qu'elle est, et certainement pas pour ce que veut en faire l'extrême droite française. L'argument de la culture et de la langue que brandit Bayrou ne passe pas. Il a menti aux journalistes de CNews et à l'opinion publique française. Venant d'un homme censé avoir de la «bouteille», ce genre de mensonge est inacceptable parce qu'il est fait en connaissance de cause.