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Katia Kameli, artiste franco-algérienne, à L’Expression

«Il faut analyser notre histoire...»

Des Fables de La Fontaine à Kalila wa Dimna ainsi, il y a un long chemin que l'artiste a su arpenter patiemment pour arriver aux origines... Elle nous parle plus en détail dans cette passionnante interview qu'elle nous a accordée dans les somptueux jardins des Ouadayas, à Rabat...

Diplômée de l'Ecole nationale des beaux-arts de Bourges puis des beaux-arts de Marseille, artiste hybride et plurielle à la fois en raison de sa double nationalité, Katia Kameli s'est toujours sentie à l'aise dans l'entre-deux, y compris dans son travail, où elle se plaît à mêler souvent la photo à la vidéo qu'elle combine aussi, dans une installation comme résultat final. C'est le cas pour le travail sur lequel elle planche, aujourd'hui et dont un «chapitre», le sixième, est visible en ce moment à la casbah de Rabat dans le cadre de la première biennale d'art contemporain, dédiée aux femmes. Intitulé «Stream of stories», son travail a trait à travers une installation déclinée entre film, et autres objets, aux célèbres fables animalières, à la morale bien contemporaine, dont d'aucuns devraient relire pour comprendre notre époque car le texte est atemporel! Des Fables de La Fontaine à Kalila wa Dimna ainsi, il y a un long chemin que l'artiste a su arpenter patiemment pour arriver aux origines... Elle nous parle plus en détail dans cette passionnante interview qu'elle nous a accordée dans les somptueux jardins des Ouadayas, à Rabat...

L'Expression: Nous sommes à la Biennale d'art contemporain de Rabat où vous présentez une installation en rapport avec Kalila wa Dimna. Pourriez-vous nous en parler?
Katia Kameli: Je présente une installation dans laquelle il y a un film avec plusieurs objets. Elle s'appelle «Stream of stories» et se joue en chapitre. On est au chapitre six. C'est une production faite spécialement pour Rabat. C'est un peu l'histoire des Fables de La Fontaine ou celle de Kalila wa Dimna. Je retrace l'origine des fables. Pourquoi les fables? Parce que c'est complètement universel. On ap-
prend tous des fables dans notre enfance, sans savoir forcément d'où elles viennent et leurs origines. En France quand on nous parle des Fables de La Fontaine on nous parle d'Esope, sans jamais nous dire qu'il y a des sources orientales. Alors que La Fontaine le dit lui-même dans les Fables. Il y a un avertissement où il remercie le sage Indien Pilpay d'avoir nourri le reste de ses fables. Pour résumer, ce sont des fables qui viennent de l'Inde. Au début, ce sont des fables orales qui ont été, par la suite transcrites. Et cela s'appelle le Panchatantra. Les Perses ont entendu parler de ce texte. Ils envoient un émissaire qui s'appelle Bourzouillet chercher le texte auprès de la cour du roi qui est enfermé dans le coffre du Raja et il s'introduit auprès du roi. Il va réussir à faire une transcription vers le perse. Les Arabes envahissent la Perse et comme ils entendent parler de ce texte, veulent une traduction et ils demandent à Ibn Al-Muqaffa d'en faire une traduction qui s'intitulera Kalila wa Dimna, des noms de chacals qui sont les narrateurs en fait. Ce sont ces deux chacals qui veulent approcher du pouvoir. Il faut noter d'ailleurs, qu'un très bon auteur marocain du nom de Kilito a beaucoup travaillé sur Les Mille et Une Nuits, des récits enchâssés, et l'on découvre que Kalila wa Dimna précèdent Les Mille et Une Nuits. En fait, Kalila wa Dimna est l'ancêtre des Mille et Une Nuits. Kalila wa Dimna c'est le premier texte en prose, en arabe!

Quand on regarde le film, l'on com-prend que Kalila wa Dimna c'est très contemporain parce que la liberté d'expression est toujours d'actualité et notamment dans le Monde arabe...très riche en renseignements...
Exactement! Ce livre est en fait un traité politique conçu pour apprendre aux rois à bien diriger leur royaume. Il y a aussi une sérigraphie dans mon installation. J'ai choisi une fable qui s'appelle Les animaux malades de la peste. Si on relit cette fable aujourd'hui, on constate que le roi lion est affaibli parce qu'il a mené un combat dans une histoire précédente. Il demande à ses sujets d'aller chercher de la nourriture car c'était lui qui s'en occupait d'habitude... Il y a un nouveau qui arrive, le chameau dans la version arabe et l'âne dans la version française. On va le mon-
trer du doigt. Tout est de sa faute. La peste ça sera lui. Tout le monde va se mettre d'accord pour finalement le manger. Le nouvel arrivant c'est toujours celui qu'on va pointer du doigt. Je fais ici le rapport avec les migrants par exemple. C'est effectivement très riche.

Cela vous a pris combien de temps pour monter toute cette installation?
C'est une installation qui est très riche, effectivement, parce que cela fait 4 ans que j'y travaille. J'ai fait des recherches dans les bibliothèques. J'ai lu beaucoup de textes, des essais, différentes traductions, lu le Panchatantra, lu le Kalila wa Dimna traduit en français parce que je ne lis pas l'arabe malheureusement.
Un mot sur le manuscrit de Kalila wa Dimna qui se trouve à Rabat et que vous avez pu voir...
Il y a, en effet, un manuscrit de Kalila wa Dimna à Rabat dans la Bibliothèque royale on y a eu accès et eu une version scannée. J'ai fait un fac-similé, j'ai reproduit le manuscrit qui est montré dans l'installation aussi, où l'on trouve également les masques...

Vous êtes au sixième chapitre, qu'en est-il du reste?
Je suis effectivement au sixième chapitre. Comme j'ai été invitée à Rabat, je savais qu'il y avait ce manuscrit ici à la Bibliothèque royale. Ca m'a permis aussi, grâce à cette invitation, de pouvoir faire un nouveau chapitre à partir de ce manuscrit. C'est un projet qui va continuer. Si je suis invitée ailleurs. Admettons par exemple à Istanbul. Je sais que dans les librairies et bibliothèques d'Istanbul, il y a aussi des versions turques de Kalila wa Dimna, je peux refaire une version, un autre travail de recherche et d'analyse pour comprendre comment ces textes sont aujourd'hui par exemple perçus en Turquie.

Quels sont d'ailleurs les cinq premiers chapitres?
Le premier je l'ai monté plus comme un cabinet de curiosité. J'ai montré toutes mes recherches. Il y avait déjà quelques éléments. il n'y a pas le travail sur l'iconographie, ni le travail sur le texte comme il l'est maintenant. Cela je l'ai montré en Suède. Le deuxième chapitre, je l'ai montré à Londres au Mosaic Rooms. Après j'ai été invitée à Glasgow, j'ai fait une performance, à partir de textes et on a travaillé sur une interprétation par rapport au contexte local et écossais. J'ai montré aussi des éléments de manière muséale avec une performance à côté et puis je l'ai montré à Paris dans une petite version au Plateau (Espace d'exposition Ndlr) et là, on a fait un travail avec des marionnettes. On a fait un film d'animation avec des marionnettes. Après il y a eu le cinquième chapitre, que j'ai montré l'année dernière à la biennale de Rennes et là, j'ai trouvé qu'en fait, Les Fables de La Fontaine avaient été traduites en breton. On a travaillé sur la version bretonne, tout en intégrant les éléments précédents. Au chapitre six, on a refait une interprétation par rapport au contexte local et par rapport à ce manuscrit qui est dans la Bibliothèque royale et le fait que l'on soit dans un royaume.

Et Kalila wa Dimna et l'Algérie dans tout ça?
Ca serait bien, mais je ne sais pas si on a une version en Algérie de Kalila wa Dimna. Ce serait bien sûr intéressant d'analyser ça et savoir si les Algériens connaissent l'histoire véritable de Kalila wa Dimna. Et puis on sait bien que l'Algérie est un pays qui parle et le français et l'arabe, mais je ne suis pas sûre que tous les Algériens fassent le rapport entre Kalila wa Dimna et Les Fables de La Fontaine. Ce serait bien de rappeler aux gens ce qu'il y a dans Kalila wa Dimna, parce que cela a inspiré aussi Le Prince de Machiavel... C'est une chercheuse qui a travaillé sur une version perse qui me l'a expliqué.

On croit savoir que vous avez d'autres projets à côté et cette fois en rapport direct avec l'Algérie?
Oui j'ai un autre projet qui s'appelle «Le roman algérien» que j'ai développé aussi en chapitres. Le premier chapitre questionne les Algériens sur leur relation à l'image et leur relation à l'histoire à travers le kiosque qui est à côté de la Grande Poste. Il est géré par monsieur Farouk Azouz qui vend des images, des cartes postales originales et aussi des reproductions d'images d'hommes politiques etc, il vient tous les matins avec ses petites caisses et il reconstruit une histoire de l'Algérie. Ca m'a permis d'interroger différentes personnes, des historiens comme Daho Derbal, Samir Toumi qui en fait, évoque ce kiosque aussi dans Alger, le cri j'interroge aussi Wassila Tamzali, des passants, différentes strates de personnes, des étudiants pour connaître leur relation à l'image et à l'histoire, parce que d'une certaine manière, on leur a volé leur histoire parce qu'il y a des personnages politiques notamment qui ont disparu des manuels scolaires. Dans le deuxième chapitre, je fais appel à Marie-Josée Mandzin qui est une philosophe française, née en Algérie. Elle a un rapport très fort avec l'Algérie. C'est une philosophe des images, qui fait une sorte de mise en abîme, en la voyant regarder le film et l'analyser. Dans le troisième chapitre que j'ai tourné récemment, au mois de juin, je fais revenir Marie-Josée Mandzin à Alger et elle rencontre Louisa Ammi, une photographe algérienne qui a traité de toute la décennie noire. Le troisième chapitre est ce qu'on appellera l'image manquante. Quand je l'ai construit, j'ai écrit ce film, je ne savais pas qu'il y aurait le Hirak en Algérie, une révolution. Je me suis adaptée. A travers Louisa qui est toujours photo-reporter aujourd'hui, on démarre des années 1990 et on arrive à aujourd'hui. Et on se rend compte que, finalement, si on regarde bien les clichés, on se retrouve dans les mêmes schémas. Quand on regarde les images des manifestations des années 1990, on peut les lier à ce qui se passe aujourd'hui. Et je pense qu'il ne faut pas oublier notre histoire. Il faut qu'on analyse aussi les années 1990. Et qu'on analyse aussi les années de l'indépendance pour pouvoir comprendre ce qui se passe aujourd'hui et ne pas faire les mêmes erreurs.

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