Must Rousnam, alias Mustapha Benmansour, musicien et producteur, à L'Expression
«J'offre une perspective contemporaine à notre patrimoine»

Autodidacte, passionné de musique, le jeune Mustapha Benmansour est plus qu'un Dj, comme le témoignent ses différentes collaborations. La musique électronique n'est qu'un prétexte à lui, pour rendre hommage, embellir, voire même faire rayonner notre musique algérienne au niveau local et à l'international. Voilà un artiste qui aime travailler sur la base de matériaux proches de sa culture en y introduisant du nouveau, tout en suivant l'air du temps. En cela, notre jeune musicien émérite aime faire des recherches et travailler sans arrêt pour donner le meilleur de lui-même en terme de création artistique. Dans cet entretien, il nous parle de son travail, son actualité riche en expériences inédites, mais aussi de ses motivations et de ses projets...
L'Expression: Vous venez de sortir un nouvel opus décliné en musique électronique sur fond de chanson kabyle. Pourriez-vous nous en parler?
Must Rousnam: Oui, bien sûr. Ce nouvel opus s'intitule Uffiy. Ce morceau a été créé pendant la période de Covid-19 en collaboration avec la talentueuse Celia Zidelmal, qui est originaire de Béjaïa. Nous avons choisi de reprendre une chanson emblématique d' Idir et de sa fille Tanina Cheriet, afin de rendre hommage à cet immense artiste. Au milieu du morceau, nous avons improvisé et ajouté le chant traditionnel Achwiq, un style de chant utilisé pour exprimer des sentiments de joie. Notre objectif était de donner une nouvelle couleur et une atmosphère à cette chanson en y apportant une touche progressive de house électronique, tout en préservant l'essence et l'émotion de l'original. Nous espérons que cette version apportera une nouvelle énergie et une joie renouvelée à cette belle oeuvre. Uffiy est désormais disponible sur toutes les plates-formes de streaming.
Votre musique se démarque des autres sons électro dans le sens où vous mélangez souvent des accords issus du terroir ou patrimoine algérien. Pourquoi donc? Et comment définissez-vous votre style?
Depuis mon enfance, mon amour pour la musique algérienne, notre culture et notre patrimoine n'a cessé de croître. Plus je m'immerge dans ces richesses, plus je découvre des trésors incroyables. L'Algérie est un pays vaste, où chaque région possède sa propre culture unique. En parcourant seulement 200 km, on peut découvrir des traditions et des sonorités totalement différentes. La musique algérienne est d'une originalité extrême, avec des rythmes, des gammes et des modes uniques qui ne se trouvent nulle part ailleurs. Par exemple, dans l'est de l'Algérie, on trouve le bendir et gasba dans le chaoui, ainsi que la zorna dans le naïli. En allant vers l'Ouest, on découvre le kalouz, le tabl et le rbab dans les medahates. Dans le Sud, les styles sont tout aussi variés et riches, comme le chellali de la région du Touat et l'ahlil de Timimoun. Cette diversité est si vaste que je pourrais en parler sans fin. Ce que je fais avec ce patrimoine, c'est d'étudier ces styles, m'imprégner de leur essence et plonger dans leurs cultures, tout en conservant leur authenticité. Avec mes compositions, je préserve les instruments traditionnels tout en les intégrant dans un contexte moderne. Par exemple, lorsque j'utilise gasba dans un morceau inspiré du bedoui, je la laisse comme l'instrument principal, le «lead», tout en ajoutant des basses profondes et des synthétiseurs modulés qui suivent le groove de la gasba. Cela crée une texture sonore où la tradition rencontre l'innovation. Malheureusement, notre musique traditionnelle peut sembler pauvre en termes d'instruments et d'arrangements. Par exemple, Cheikha Remitti se produisait avec un percussionniste et un joueur de gasba, mais elle réussissait à captiver son public et à créer une ambiance magnifique. Khaled, quant à lui, a enrichi le raï en y intégrant des instruments acoustiques, des sections de cuivres et de violons, et en collaborant avec de nombreux artistes internationaux. Avec l'électronique et la technologie moderne, nous pouvons aller encore plus loin et créer des oeuvres extraordinaires. Je fais découvrir aux jeunes une nouvelle sonorité, à la fois locale et innovante. Mon objectif est de les faire écouter et danser sur leur propre musique, tout en leur offrant une perspective contemporaine sur leur patrimoine. Mon style, que je pourrais appeler «Algerian Electro Music», est une véritable fusion entre l'ancien et le nouveau, le local et le global. J'espère ainsi offrir une nouvelle dimension à notre musique algérienne.
Comment êtes- vous devenu musicien /producteur de musique? Parlez- nous un peu de votre parcours et formation?
J'ai commencé à m'intéresser à la musique dès mon plus jeune âge. Ma curiosité naturelle m'a poussé à explorer les secrets de la création musicale. En 2009, Internet était encore un terrain de découverte, et j'ai commencé à installer tous les logiciels de musique que je pouvais trouver. Les tutoriels étaient rares sur YouTube, mais cela ne m'a pas arrêté. J'ai commencé par un logiciel, en manipulant chaque bouton pour essayer de créer mes premières compositions. Autodidacte dans l'âme, j'ai toujours préféré apprendre par moi-même. Au fil des années, ma passion pour la musique s'est approfondie. Je me suis intéressé à l'acoustique et j'ai appris à jouer du piano et de la guitare. En tant que guitariste, j'ai eu l'occasion de collaborer avec plusieurs groupes et orchestres. J'ai également participé à des masterclasses professionnelles avec Khalil Baba Ahmed, enrichissant ainsi mon savoir-faire. Avec le temps, mon intérêt s'est tourné vers les instruments locaux. J'ai étudié le mandole, le oud, et enfin, le guembri, pour lequel j'ai développé un véritable coup de coeur. Aujourd'hui, je combine mes compétences en électronique et ma passion pour les instruments traditionnels. Sur scène, je crée des rythmes avec mes contrôleurs tout en jouant du guembri, intégrant des éléments électroniques pour donner vie au style gnawa. Le résultat a été bien accueilli par le public, qui a apprécié cette fusion de tradition et de modernité.
Où vous situez-vous donc parmi tous les producteurs algériens?
En tant que producteur de musique algérienne, j'allie innovation technique et richesse de notre patrimoine musical. Sur scène, mon PC constitue le coeur de mon système, me permettant d'orchestrer et de manipuler des sons, des rythmes, des effets et des oscillateurs numériques à l'aide de contrôleurs. Je complète cette expérience en jouant des solos au piano, ajoutant des harmonies et un accompagnement en direct. De plus, je joue du guembri, tout en intégrant des éléments électroniques pour apporter une nouvelle dimension à la musique gnawa. L'improvisation est également essentielle dans mon travail, me permettant d'explorer et de libérer ma créativité en temps réel. Je travaille avec des samples traditionnels algériens, les intégrant dans mes compositions tout en les modernisant grâce à des techniques électroniques. Cette approche crée des oeuvres qui respectent notre patrimoine tout en offrant une perspective contemporaine. Mon objectif est de proposer une vision actuelle de notre musique traditionnelle. Je souhaite offrir au public une expérience qui les reconnecte profondément à leurs racines, les invitant ainsi à redécouvrir et apprécier leur patrimoine musical sous un nouveau jour. Mon ambition est de faire évoluer notre musique tout en restant fidèle à ses racines, pour offrir des expériences musicales enrichissantes.
Quels sont vos projets dans ce domaine?
Bien que je mène une carrière solo sous le nom de scène Must Rousnam, je suis également engagé dans diverses collaborations, tant avec des artistes nationaux qu'internationaux, en utilisant mon nom véritable, Mustapha Benmansour. Récemment, j'ai eu l'opportunité de travailler avec Nidhal Yahyaoui, un chanteur tunisien spécialisé dans le patrimoine chaoui tunisien. Il m'a contacté en raison de mon respect pour la musique traditionnelle. En tant que Tlemcenien, je n'étais pas très familier avec cette culture, mais j'ai accepté le défi avec enthousiasme. Je me suis immergé avec passion dans cet univers inconnu. En 2022, nous avons réalisé une résidence artistique à Tunis, où nous avons travaillé sur des compositions et effectué des recherches approfondies. Nous avons donné notre premier concert en avant-première avec un ensemble composé de quatre percussionnistes (jouant du tbal et du bendir), un joueur de gasba, un guitariste, et moi-même avec mes contrôleurs et machines pour les sonorités électroniques, accompagnés du chanteur. Ce concert, présenté au Théâtre Al Hamra à Tunis, a marqué le début de notre projet. En 2023, Nous avons lancé notre album intitulé Lasmar Khouya, disponible sur toutes les plates-formes. Ce disque mêle des éléments électroniques et rock à des instruments traditionnels. Cette expérience a été extrêmement enrichissante, et nous avons eu l'occasion de présenter notre travail lors de tournées en Tunisie, ainsi qu'à des festivals internationaux tels que ceux de Hammamet et de Dougga. Nous avons également eu l'honneur de participer au Festival Masa à Abidjan, où notre projet a été chaleureusement accueilli. Pour mes projets à venir, je travaille actuellement sur un nouvel album dédié à la musique algérienne, avec de nombreuses collaborations prévues. J'ai hâte de partager ce projet, qui, je l'espère, apportera une nouvelle perspective à notre riche patrimoine musical. Ce travail sera lancé au cours de cette année, et je suis impatient de le dévoiler aux auditeurs.