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Conflit du Haut-Karabagh

Les enjeux de la configuration d’alliances stratégiques

Sous les auspices du secrétaire d’État Anthony Blinken, des discussions ont été menées les 3 et 4 mai 2023 à huis clos à Washington DC entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie à propos de l’enclave du Nagorny Karabagh.

L'Arménie et l'Azerbaïdjan se disputent la souveraineté de la région sur fond de tensions de moyenne intensité entre la Russie et la Turquie. L'enjeu du conflit du Haut-Karabakh dépasse la question territoriale puisqu'il met en concurrence, par alliance interposée, les deux grandes puissances de la région caucasienne, historiquement rivales, que sont la Russie et la Turquie. Allié traditionnel de l'Arménie, Moscou est en position de force sur ce dossier. Principal fournisseur d'armes des deux parties, il peut utiliser le conflit comme un levier de pression sur la scène diplomatique. Il craint toutefois un débordement du conflit et une déstabilisation du Caucase du Sud. Si le président Poutine a joué, du moins en apparence, la carte de l'apaisement, le président Erdogan a quant à lui pris fait et cause pour Bakou.
Parce que la scène géopolitique du conflit du Haut-Karabakh est un carrefour stratégique entre les aires d'influence d'Ankara, de Moscou et de Téhéran, notamment pour l'acheminement des hydrocarbures, sa résolution ne peut intervenir qu'au niveau international. Le groupe de Minsk, coprésidé par la France, les États-Unis et la Russie, est chargé de trouver une issue à ce conflit. Mais la militarisation rampante de l'Azerbaïdjan et, surtout, l'implication croissante de la Turquie et de la Russie, rendent pour l'instant très improbable toute solution de paix à moyen terme.
Si Israël et l'Azerbaïdjan ont établi des relations diplomatiques en avril 1992, il n'existe pas pour autant, jusqu'à aujourd'hui, de représentation diplomatique azerbaïdjanaise en Israël. Bien que les Israéliens aient ouvert une ambassade à Bakou dès 1993, les Azerbaïdjanais ont de leur côté repoussé à plusieurs reprises l'ouverture de leur représentation diplomatique à Tel-Aviv, préférant s'en tenir au canal de communication intergouvernemental, pratique et informel, offert par le bureau de représentation de la compagnie aérienne nationale Azerbaijan Airlines sur place. Ce rapprochement vient formaliser une entente qui prend forme dès la fin des années 1980, lors de la première guerre du Haut-Karabagh (1988-1994), lorsque les Israéliens fournissent aux forces azerbaïdjanaises des lance-missiles sol-air Stinger. En 2009, le président Ilham Aliev, décrivait la relation bilatérale avec Israël comme étant «immergée aux neuf dixième». En visite en 2012 à Bakou, Avigdor Lieberman, qui occupe alors le poste de ministre israélien des Affaires étrangères, qualifie la relation que son pays entretient avec l'Azerbaïdjan de «plus importante pour Israël que celle existante avec la France». Après la chute du mur de Berlin et le démantèlement de l'Union soviétique, l'élection à la présidence azerbaïdjanaise du pro-turc Aboulfaz Eltchibeï a été contre-productive pour la relation avec l'Iran. Le nouveau président avait fait campagne sur l'idée d'un rapprochement de son pays avec la Turquie et Israël, et avait appelé les Azéris iraniens au soulèvement et à la lutte pour leur indépendance. Il est utile de rappeler qu'au plan ethnique, il y a plus d'Azéris en Iran qu'en Azerbaïdjan (respectivement 15millions et 8 millions). Considérée comme «minorité loyale» au pouvoir central à qui elle a fourni de nombreux cadres jusqu'au plus haut niveau de l'État iranien, les Azéris iraniens ont pu être suspectés d'incarner potentiellement une «cinquième colonne», d'autant plus que le dossier du Haut-Karabagh a constitué jusqu'à aujourd'hui un défi pour la politique étrangère de l'Iran.
Partenariat avec Tel-Aviv
Au plan économique, Bakou et Tel-Aviv ont noué un partenariat sous-tendu par des échanges réalisés dans deux domaines stratégiques: la coopération militaro-technique et l'énergie. Le matériel acheté par l'Azerbaïdjan aux industriels israéliens de l'armement l'a été pour les raisons suivantes: diversifier et équilibrer les contrats d'armements avec ceux passés auprès de la Russie, acquérir et maintenir une supériorité qualitative sur les forces pro-arméniennes dans le Haut-Karabagh, et être en mesure de défendre les installations énergétiques offshore en mer Caspienne contre de potentielles manoeuvres d'intimidation de l'Iran, une menace comparable à celle qu'exerce l'Iran contre Israël en Méditerranée orientale. La coopération militaro-technique israélo-azerbaïdjanaise vise aussi, du point de vue de Tel-Aviv, à acquérir une marge de manoeuvre à l'égard de l'accroissement militaire russe en Syrie. Elle a également pour objectif d'équilibrer les transferts d'armements réalisés (ou que les Russes pourraient réaliser) vers la Syrie et, le cas échéant, vers l'Iran en fournissant en matériels de pointe l'Azerbaïdjan, l'adversaire d'un allié de la Russie, l'Arménie. Une approche relativement similaire avait été mise en oeuvre à la fin des années 2000 par Israël avec la Géorgie dirigée alors par Mikhaïl Saakashvili, qui s'était en son temps équipée en drones israéliens, avec toutes les conséquences y afférentes.
Le conflit du Karabagh se trouve à la croisée des intérêts d'acteurs aux ambitions régionales concurrentes. Les convergences de vue de la Turquie et d'Israël sur le dossier du Karabagh s'expriment ainsi essentiellement contre ceux de l'Iran et la Russie, qui sont leurs compétiteurs géopolitiques à différents niveaux au Moyen-Orient. Si l'Iran est considéré par Israël comme sa première menace existentielle, l'arrivée de la Russie en Syrie tend à contenir un peu plus la Turquie dans le dispositif militaire russe qui s'étend du Caucase au Levant, en passant par la mer Noire. La liberté d'action d'Israël est aussi entravée par l'irruption de la Russie dans son voisinage immédiat depuis septembre 2015. La présence militaire de la Russie en Syrie complique la tâche des Israéliens pour leurs frappes contre des objectifs désignés comme iraniens ou pro-iraniens sur le territoire syrien. Israéliens et Turcs se retrouvent dans des camps opposés dans le contexte de la Méditerranée orientale, sur fond de compétition pour la mise en valeur des ressources gazières offshore. La réactivation du conflit du Karabagh apparaît comme un produit de la politique étrangère expansionniste turque. La contribution d'Israël à la victoire azerbaïdjanaise, outre qu'elle fragilise les positions de Téhéran dans le Caucase du Sud en affaiblissant son partenaire arménien, érode aussi l'influence russe dans la mesure où Tel-Aviv a accompagné le succès militaire conduisant à l'établissement d'une tête-de-pont militaire turque en Azerbaïdjan, sous le regard de la Russie. Car l'accord de cessez-le-feu, signé sous les auspices de Moscou en novembre 2020, entérine de facto l'implantation militaire turque dans le Caucase. Selon des observateurs avertis, vu de Tel-Aviv, il s'agit donc d'un pari qui s'est révélé gagnant et qui tend à canaliser, à défaut de les dériver, les ambitions turques qui s'expriment en Méditerranée orientale en direction des régions à populations turcophones du Caucase et d'Asie centrale. En somme, il y avait un objectif,celui d'orienter la géopolitique d'Ankara vers des zones où les intérêts vitaux d'Israël sont moins en jeu en facilitant la victoire de Bakou. Cette implantation turque dans le Caucase, estiment certains observateurs,va contribuer à atténuer le complexe d'enclavement turc, dont la doctrine dite de la «Patrie bleue». Le dénouement victorieux de la campagne militaire de Bakou et l'établissement sur les rives de la mer Caspienne d'une plateforme pour la projection de l'influence politico-militaire turque appliquent une pression sur les marges russe et iranienne, et viennent ainsi mettre au défi leur influence établie au sein d'une zone enclavée; jusqu'à cette guerre, l'Azerbaïdjan s'appuyait sur un accord avec l'Iran pour accéder à son enclave du Nakhitchevan via le territoire iranien. Ce n'est désormais plus nécessaire dans la mesure où l'accord du 10 novembre 2020 crée un corridor entre l'Azerbaïdjan et le Nakhitchevan, à travers le Haut-Karabagh et la partie encore contrôlée par les Arméniens. L'Iran se voit donc privé d'un potentiel levier sur son voisin azerbaïdjanais. La Turquie joue donc dans cette crise un rôle de contrepoids pour Israël face aux influences russe et iranienne qui se sont accrues en Syrie au cours des années 2010.
Défi
Le succès militaire de Bakou dans la campagne de 2020 dans le Haut-Karabagh pose un défi à la relation israélo-azerbaïdjanaise qui va devoir être revisitée, car le plateau litigieux étant désormais quasi-intégralement passé sous contrôle azerbaïdjanais, un des piliers de la relation bilatérale se trouve fragilisé. En outre, si l'Iran constitue une source de préoccupation permanente pour l'Azerbaïdjan, la convention d'Aktaou sur le statut de la mer Caspienne en a cependant diminué la dangerosité. L'affaissement du premier pilier risque de compromettre l'équilibre du deuxième: le partenariat économique. Le Karabagh reconquis, le besoin de Bakou en armes de dernière génération technologique va se faire moins pressant et les ventes d'armements risquent de s'essouffler sur le moyen terme, selon le rapport du Sipri.
Bakou devrait cependant, chercher à conserver sa supériorité qualitative sur l'adversaire arménien, surtout dans la perspective de l'échéance de l'accord du 10 novembre 2020 fixée à 5 ans. En la matière, tout dépendra de ce que Moscou voudra bien transférer comme matériels à l'Arménie afin d'en rééquiper les forces étrillées par le conflit de 2020.
Dans le cas où le bureau commercial de l'Azerbaïdjan venait à ouvrir en Israël, il pourrait être considéré comme une étape intermédiaire avant l'ouverture d'une représentation diplomatique azerbaïdjanaise en Israël. Resterait alors à déterminer dans laquelle des deux villes - Tel-Aviv ou Jérusalem - Bakou ouvrirait son ambassade. Ceci nous dirige donc vers le troisième pilier qu'est celui des enjeux liés à l'image des deux pays. L'établissement de relations fécondes avec l'Azerbaïdjan a été d'autant plus profitable à Israël qu'il s'agit d'un des rares pays musulmans avec qui le dossier israélo-palestinien ne domine pas l'agenda bilatéral. Autrement dit, la relation politico-économique israélo-azerbaïdjanaise restait hermétique à toutes les crises qui ont affecté ce dossier. Selon des observateurs avertis, aux yeux de Tel-Aviv cet aspect constituait une vraie valeur ajoutée de sa relation avec l'Azerbaïdjan et lui permettait de prétendre entretenir des liens apaisés avec un pays musulman chiite et non arabe. De son côté, Bakou entendait tirer parti de sa proximité avec Israël afin d'améliorer sa réputation à Washington et y atténuer l'influence du lobby arménien. Avec la signature des accords d'Abraham et la normalisation en cours des relations entre Israël et les monarchies du Golfe, le paradigme des relations israélo-azerbaïdjanaises est amené à évoluer profondément.
En somme, la quête de désenclavement de l'Azerbaïdjan, situé à la confluence des trois empires, perse, ottoman et russe, devrait toutefois se poursuivre, et son partenariat avec Israël y conservera toute sa place. De son côté, Israël devrait continuer à inclure l'Azerbaïdjan dans sa stratégie de nouer des alliances périphériques contre l'Iran. Partenaire privilégié de la Turquie et d'Israël, l'Azerbaïdjan pourrait essayer de réconcilier les deux pays qui s'ignorent ou s'affrontent diplomatiquement dès qu'une crise surgit en terre de Palestine. La présidence azerbaïdjanaise s'est déjà déclarée prête, fin avril 2021, à abriter un sommet trilatéral si Ankara et Tel-Aviv le souhaitaient.
Par ailleurs, sous les auspices du secrétaire d'Etat Anthony Blinken, des discussions ont été menées les 3 et 4 mai 2023 à Washington DC entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie à propos de l'enclave disputée du Nagorny Karabagh. Le chef de la diplomatie américaine a déclaré a la cloture des discussions à huis clos: «Les deux parties ont abordé des sujets très difficiles ces derniers jours et elles ont réalisé des progrès tangibles vers un accord de paix durable».

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